Les listes des différents partis sont désormais connues pour la course aux places de députés européens. Voici l’analyse des candidats en position éligible, ou proches de l’être en cas de circonstances favorables, suffisamment proches de l’agriculture pour être capables de suivre les débats sur la Pac, et plus généralement pour défendre l’agriculture française au Parlement européen.
A en croire les sondages actuels, la victoire à cette élection devrait se jouer en France entre le parti présidentiel, La République en Marche, et le « tenant du titre », le Rassemblement national. Avec Les Républicains en embuscade, mais à distance, pour l’instant. Pour autant, le nombre d’élus français au Parlement européen est suffisamment conséquent pour que l’on examine toutes les listes susceptibles d’atteindre la barre des 5 %. Car telle est la règle, à partir de 5 % des suffrages, on a 5 élus (et plus au-delà), mais à 4,9 %, on n’en a aucun. Vous avez plus de détails sur le fonctionnement et les enjeux pour l’Europe dans cet article de Frédéric Hénin. Ici, portrait des hommes et des femmes susceptibles d’intégrer ensuite la commission agriculture du Parlement européen et donc de jouer un rôle sur le contenu de la future Politique agricole commune (Pac).
Commençons par le parti actuellement au pouvoir en France, La République en Marche. Deux agriculteurs y figurent en positions éligibles « à coup sûr » (à moins d’une catastrophe pour ce parti qui n’est pas envisagée par les sondages aujourd’hui) : Jérémy Decerle y est numéro 4, et Irène Tolleret numéro 9. La seconde est viticultrice en charge de l’agriculture dans une communauté de communes de l’Hérault. Le premier est plus connu, puisqu’il a démissionné de son poste de président du syndicat national des Jeunes agriculteurs pour intégrer la liste. Eleveur bovin en Saône-et-Loire, il a défendu de nombreuses positions en tant que président des JA qui semblent difficilement compatibles avec les idées défendues dans la liste qu’il a intégrée. Entre autres, il s’est opposé aux accords de libre-échange entre l’Europe et différentes parties du monde, c’est-à-dire qu’il a émis une opinion différente de celle du Président de la République en la matière. Je vous cite, entre autres exemples, une tribune qu’il a co-signée avec Christiane Lambert le 10 juin 2018 : « (…) Le gouvernement ouvre grand les portes à l’importation distorsive de produits alimentaires qui ne respectent pas les standards de production français, par la signature ou l’acceptation d’accords de libre-échange (CETA, Mercosur, Mexique, Australie, Nouvelle-Zélande…). Le CETA permet, par exemple, l’importation de produits contenant 46 molécules interdites en France… Stratégie édifiante qui va encore accélérer le déclin de l’agriculture française qui, rappelons-le, emploie avec l’ensemble des secteurs qui lui sont liés 14 % des actifs. Un moteur essentiel de l’activité économique des territoires ruraux. Ainsi, le gouvernement exige toujours plus des agriculteurs en leur imposant des contraintes supplémentaires et « en même temps », il les expose à une concurrence déloyale mortifère. Un « en même temps » qui ne fonctionne pas… » Quand le sujet des accords de libre-échange arrivera sur la table, quel sera son rôle ? Les faire accepter au monde agricole français, ou s’opposer au parti qu’il vient d’intégrer ?
Autre aspect, la présence dans la même liste de plusieurs écologistes « pur jus », dont Pascal Canfin en numéro 2, lesquels ont souvent manifesté un dédain ostensible pour les pratiques agricoles en vigueur en France de nos jours. Officiellement, Jérémy Decerle et Pascal Canfin ont déclaré qu’il était temps de rapprocher écologie et agriculture, en pratique cela demande des éclaircissements, tant les « échanges » ont été véhéments jusqu’alors.
En numéro 12 sur la liste du Rassemblement national (et donc vraisemblablement élue, rappelons que le FN avait obtenu 24 des 74 sièges pourvus par la France en 2014, cette fois il y en aura 79), Maxette Pirbakas-Grisoni n’est certes pas connue en métropole. Et pour cause, elle est présidente de la Fdsea de Guadeloupe ! Elle cultive des légumes, melons, racines et tubercules. D’après différents communiqués ou commentaires, elle sera appelée tant à représenter les agriculteurs au Parlement européen, qu’à défendre les régions ultramarines (dont font partie nos départements d’outremer). A noter que le FN avait deux élus au sein de la commission agriculture du Parlement européen : Jacques Colombier et Philippe Loiseau. Aucun des deux ne figure sur la liste du RN, particulièrement renouvelée par rapport à sa devancière.
Les élus LR ont une position particulière. Puisque le groupe PPE (qu’ils représentent pour la France) est majoritaire au Parlement européen. Il est donc très important qu’il y ait parmi eux au moins un député capable suivre les débats sur les affectations budgétaire de la future Pac 2020-2026. Ces deux derniers mandats, ils avaient deux députés européens siégeant à la commission agriculture : Michel Dantin et Agnès Le Brun, puis Michel Dantin et Angélique Delahaye. Devenu maire de Chambéry entre-temps et confronté au cumul des mandats, Michel Dantin a choisi cette fois de ne pas se représenter pour le Parlement européen. Etrangement, Angélique Delahaye (sortante donc) n’a été positionnée qu’en 16e position sur la liste, difficilement éligible si l’on tient compte des sondages actuels, à moins d’une forte mobilisation de cet électorat. Alors qui ? Finalement Anne Sander, députée européenne sortante également mais qui n’a pas suivi l’agriculture lors du mandat qui s’achève, se verra confier la mission d’en assumer la responsabilité cette fois. Elle est en huitième position sur la liste, et connue en Alsace pour appartenir à une famille d’agriculteurs célèbres. L’équipe d’attachés parlementaires de Michel Dantin, parfaitement au fait des dossiers, lui sera dévolue. Cette huitième position devrait suffire à être élue, sauf si la présence aux 4e et 5e positions de Nadine Morano et Brice Hortefeux, députés européens sortants sans bilan et qui semblent visiblement chasser davantage le salaire que l’activité, ne devait faire perdre de nombreux électeurs en route…
Historiquement, l’UDI est le parti français le plus européen. Mais depuis Simone Veil, ce parti de centre droit s’est étiolé et peine à maintenir une simple représentativité. Ce sera tout l’enjeu de ce scrutin pour lui : atteindre les 5 % des suffrages exprimés pour positionner 5 élus. En cinquième position, et donc en position éligible si ces 5 % sont atteints, Olivier Mevel présente un profil intéressant pour l’agriculture française. Cet économiste breton s’est en effet intéressé de très près aux pratiques commerciales concernant les produits d’origine agricole. Il y a peu, il a postulé pour devenir président de l’observatoire des prix et des marges. Mais ce poste, acquis sur désignation gouvernementale, est resté à Philippe Chalmin. Il n’empêche, cet épisode a révélé un homme dénonçant que la guerre des prix au niveau de la distribution s’opérait au détriment des producteurs agricoles. Olivier Mevel est un économiste reconnu qui travaille sur les marges et leur rééquilibrage. Par ailleurs, sur son compte LinkedIn, il propose un pouvoir renforcé du Parlement européen (par rapport au Conseil de l’Europe et à la Commission européenne) pour que « l’état de l’opinion publique européenne » soit davantage respecté.
En onzième position sur la liste Europe Ecologie les Verts, Benoit Biteau est une figure à classer parmi les « paysans hors système ». Auteur du livre Paysan résistant ! chez Fayard en 2018, il a livré son credo : ce fils d’agriculteur productiviste (en Charente-Maritime) a repris l’exploitation familiale pour la relancer selon des méthodes écologiques, notamment agronomiques, puisqu’il est à la base ingénieur agronome lui-même. Il se vante d’avoir obtenu d’excellents résultats ainsi, et propose donc politiquement d’aller dans cette direction pour toute l’agriculture française, et européenne.
Si l’on regarde les députés européens français actuels siégeant à la commission agriculture du Parlement européen, on s’aperçoit que la très grande majorité va être renouvelée. Et s’il ne devait en rester qu’un, pourquoi pas Eric Andrieu ? En position éligible dans la liste socialiste menée par le philosophe Raphaël Glucksmann, il est soumis à la même pression qu’Olivier Mevel cité plus haut : sa liste doit obtenir les fameux les 5 % pour qu’il soit élu. C’est possible, mais pas assuré, pour lui non plus. Durant le mandat sortant, il est surtout intervenu sur le dossier des pesticides ou encore pour s’opposer aux accords de libre-échange.
Du côté de la France insoumise, en 11e position et donc possiblement élue, Laurence Lyonnais est annoncée issue d’une famille de paysans bio en circuits courts. Elle-même est attachée territoriale et semble placer le droit des femmes en première position dans son action, mais serait capable de suivre des débats sur l’agriculture.
Du côté de Debout la France, la 12e place ne devrait pas être éligible, c’est celle de Florence Italiani, agricultrice des Hauts-de-France, transfuge du FN. Plus tôt sur cette liste, en 5e position, on note la présence de Bruno North, président du Cnip (centre national des indépendants et paysans).
Les Gilets jaunes devaient présenter trois listes. L’une d’entre elles, Gilets Jaunes Citoyens, aurait dû avoir deux agriculteurs parmi les 5 places éligibles (en cas de 5 %). Mais elle n’a pas été déposée, dissoute par son leader sans explication. Finalement, il ne devrait y avoir qu’une seule liste Gilets jaunes, sans agriculteurs dedans, en tout cas pas aux places éligibles.
Les autres listes, plus petites, semblent avoir peu de chances d’atteindre les fameux 5 %.
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