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ETA : TROUVER LA BONNE DISTANCE DE CHANTIER

ENTREPRISE – TROUVER LA BONNE DISTANCE

Le risque machine se situe loin derrière le risque humain dans le cas de chantiers délocalisés loin de ses bases

Nécessaires à la rentabilité des parcs de machines, les chantiers distants nécessitent d’anticiper et d’avoir une organisation très solide. La distance place le facteur humain au centre des enjeux. Et il n’y a pas de machine arrière…

C’est le facteur humain qui régit pour beaucoup l’organisation, ou pas, de chantiers réalisés loin de ses bases. Ces chantiers sont réalisés soit pour exploiter des phénomènes de contre-saison, soit pour faire valoir des prestations et des machines singulières. « Avant les questions liées à la logistique, au déplacement des machines, aux solutions d’hébergement, la première des préoccupations concerne le personnel »,analyse Xavier Vache, spécialisé dans la stabilisation et le traitement de sol. « Si vos salariés sont réticents à accepter de longs déplacements, en distance comme en temps, il faut être prudent dans ses engagements. Une règle qui s’applique également au chef d ’entreprise car je suis moi-même du voyage ».

Les hommes, avant les machines

Le risque humain est probablement le premier point de fragilité des chantiers délocalisés. Alors qu’on aurait pu penser que le risque machines était le principal point de faiblesse loin de ses bases. « Le matériel que l’on déplace sur de longues distances est souvent récent, »relativise Patrick Mathieu, qui réalise du battage à 200 km de son entreprise en jouant sur les décalages de maturité. « Une panne peut se produire à tout moment, mais on ne part pas avec la peur au ventre. Et quand elle survient, on la gère avec les moyens du bord, sinon avec des réparateurs du secteur », voire avec des entrepreneurs de travaux agricoles du secteur ! C’est l’expérience vécue par Xavier Vache, tombé en panne avec un de ses malaxeurs. Une panne réparable par ses soins mais à condition de pouvoir disposer d’un atelier adapté. « C’est un confrère local qui m’a dépanné », se rappelle l’entrepreneur. « On n’était pas véritablement concurrent sur ce type de chantier mais il n’empêche que la solidarité a joué. En ce qui me concerne, j’applique la règle suivante : lorsque la situation s’y prête, il faut avoir l’intelligence de réserver des chantiers aux entreprises locales. Les chantiers de traitement de sol par exemple s’accompagnent le plus souvent d ’épandage d ’eau au moyen de tonnes à lisier, pour restreindre les nuages de poussière. Souvent, des entreprises locales sont tout à fait à même de pouvoir les réaliser ».

Machine arrière

La prise en compte du facteur humain, qui consiste à connaitre ses salariés et à ménager ses confrères mais néanmoins concurrents potentiels, est nécessaire mais pas suffisante. Le risque économique reste patent, d’autant que les frais annexes (transport, hébergement) et les bonus versés aux salariés compliquent la donne économique dans un univers concurrentiel. Basé à Saulcet dans l’Allier, David Sadot était spécialisé dans l’épandage de lisiers et de boues. Parmi ses clients figuraient de grands groupes spécialisés dans le traitement de l’eau et des déchets. Cela impliquait de travailler dans un rayon de quelques centaines de km dans le quart Nord-Est, d’avoir deux salariés sur la route et un parc de cinq tonnes à lisier bien équipées pour réaliser des prestations de qualité. Sauf que les prix proposés pour ne pas dire imposés par les donneurs d’ordre ont fini par être inférieurs au seuil de rentabilité de l’entreprise, qui a cessé cette activité pour se recentrer sur ses terres avec des prestations de chantiers agricoles conventionnels.

Dans un autre univers et dans un autre secteur, Frédéric Gordo, entrepreneur de travaux forestiers basé à Campagne d’Aude (11), se souvient des chantiers que lui et son père ont assuré en Auvergne après la survenue de la tempête fin 1999. « On n’a pas eu d’autre choix que de partir car les coupes étaient gelées dans les massifs épargnés par la tempête », explique Frédéric Gordo. On est parti 14 mois avec skidder, débardeur, tronçonneuses, salariés, femme et enfant. Les entrepreneurs locaux nous ont vu arriver avec une certaine circonspection, craignant que l ’on s’installe définitivement, ce que l ’on pouvait comprendre. Il n’en a rien été. Notre entreprise s’était engagée sur un volume et nous sommes repartis une fois le volume réalisé. Nous avons travaillé dans des conditions risquées. Nous ne nous sommes pas enrichis et il a fallu restaurer nos courants d’affaires à notre retour dans les Pyrénées. On l’a fait parque qu’on n’avait pas le choix et parce que si la tempête s’était abattue sur notre massif, on aurait apprécié un tel acte de solidarité ».

PRÉSERVER LA CAPACITÉ D’INVESTIR DANS DU NOUVEAU MATÉRIEL

« Sans les 400 à 500 ha que je moissonne chaque années dans le Gard, mon entreprise de battage ne serait pas rentable et je ne pourrais pas renouveler mes machines aussi souvent que je le souhaite, ce qui risquerait de me faire perdre des clients en Haute-Loire ».170 km, six heures de trajet, trois moissonneuses-batteuses, une presse haute densité et un plateau à paille attelés à un tracteur : tel est le convoi que mène entre le 25 juin et le 14 juillet Patrick Mathieu, son fils Pierre et trois salariés temporaires du Brignon en Haute-Loire au département du Gard. La Sarl entreprend cette transhumance depuis 2003 suite à la publication d’une petite annonce dans un hebdomadaire. Elle a rapidement trouvé son rythme de croisière et donne satisfaction à ses clients diversifiés dans la production de melons ou encore dans la vigne. « Le climat du Gard réserve rarement de mauvaises surprises, ce qui donne des garanties en terme d ’organisation de chantier », souligne l’entrepreneur. « Sitôt les 400 à 500 ha de blé dur et d ’orge battus, nous remontons en Haute-Loire pour assurer la récolte des lentilles et des céréales chez nos clients locaux ». Dans le Gard, l’entreprise a investi dans un mobilhome pour assurer l’hébergement des quatre ou cinq chauffeurs. Pour renforcer la rentabilité du déplacement, la Sarl Mathieu s’est diversifiée dans le pressage et le négoce de la paille. Elle l’achète à ses clients du Gard et la propose en Haute-Loire. Le tirage à façon et le traitement de semences font aussi partie des chantiers délocalisés. « Je n’imagine pas stopper ces chantiers », confie l’entrepreneur. « D’abord pour des questions de survie de l ’entreprise. Ensuite parce que nous avons créé des liens avec nos clients, ce qui nous amène à séjourner sur place à d ’autres périodes de l’année ».

SUIVRE ET CONSERVER SES CLIENTS

Aux côtés de chantiers agricoles et de débroussaillage conventionnels, Xavier Vache a développé une activité bien spécifique : le traitement et la stabilisation de sol. « La technique consiste à rendre un sol apte à supporter une chaussée, un parking ou une plate-forme, en utilisant les matériaux présents sur place, qu’il s’agisse d’argile, de limons, de marnes, de sables, de craies, et quelles que soient les conditions d’humidité »,explique le jeune entrepreneur. « Pour rendre ces matériaux compatibles avec les exigences de stabilité mécanique d’une chaussée par exemple, un liant chimique, adapté aux caractéristiques physico-chimiques des sols est incorporé et mélangé dans un horizon de 10 à 50 cm. S’ensuivent éventuellement un arrosage puis les opérations conventionnelles de compactage, réglage et protection de surface. L’effet de dalle permet aux sols ainsi traités de résister aux cycles de gel et de dégel, comme aux températures estivales, sans déformation ».Le broyeur, le malaxeur et le broyeur-malaxeur engendrent des investissements conséquents. Mais les chantiers de stabilisation ne courent pas les rues, en tout cas, pas celles de Sorgues dans le Vaucluse, où l’entrepreneur est basé. Résultat : les machines empruntent des routes (stabilisées) afin de garantir la rentabilité (et la stabilité) de l’activité. « La réalité, c’est que l ’on suit nos clients », explique Xavier Vache. « Au départ, j’ai travaillé pour les entreprises locales. Au fil du temps, celles-ci ont développé leur activité, ce qui les a amenées à capter des marchés de plus en plus loin. Par la force des choses, j’ai suivi pour pouvoir développer moi-même mon activité ». Auvergne, Rhône-Alpes, Corse : l’entrepreneur peut délocaliser ses machines et un ou deux chauffeurs pendant plusieurs mois. Xavier Vache n’accepte pas pour autant spontanément tous les chantiers qu’on lui propose. « S’éloigner et s’engager sur une longue durée loin de sa base, c’est prendre le risque de passer à côté de chantiers près de chez soi ».

Texte et photos
Raphaël Lecocq

 

 

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