moissonneuse

Et s’il n’y avait plus de ministère de l’agriculture ?

Une enquête interne d’un service du ministère de l’Agriculture a prévu plusieurs scénarios concernant l’avenir du ministère en question. L’un des quatre scénarios prévoit même la ventilation de tous les services dans d’autres ministères, et donc son arrêt à l’horizon 2025. Et la profession agricole n’a pas été consultée, à aucun moment, sur l’avenir de service majeur de l’Etat censé la servir.

Acteurs Publics, un média destiné aux fonctionnaires, a sorti l’info pendant le salon de l’agriculture : des hauts fonctionnaires du ministère de l’Agriculture ont planché sur l’avenir de leur propre ministère à l’horizon 2025. Acteurs Publics s’était ainsi procuré des documents prospectifs préalables à l’étude en question, et en a tiré deux articles par rapport à sa cible de lecteurs : les fonctionnaires. WikiAgri a également récupéré les documents en question, dans l’objectif cette fois de les étudier par rapport aux agriculteurs et à l’agriculture française.

De façon à éviter les confusions, je vais séparer les faits, puis donner mon interprétation, et enfin conclure avec une interview de Claude Cochonneau, président des Chambres d’agriculture (APCA). En soi, que le ministère se pose des questions sur son avenir est légitime, sur la ventilation de ses fonctionnaires par rapport aux missions aussi. C’est davantage par rapport à la non consultation des principaux intéressés par les services des pouvoirs publics qui leur sont donnés que se pose, à notre avis, le problème.

Les faits, les quatre scénarios

Le document mis à jour par Acteurs Publics (et que WikiAgri possède également désormais) doit être considéré comme préparatoire, et ne fait donc pas office de projet, encore moins acté. Pour autant, puisqu’il y ait question d’économies d’échelle, notamment en termes du nombre de fonctionnaires, on imagine mal que l’on ait payé d’autres fonctionnaires uniquement pour les occuper et ne pas tenir compte du tout de leur avis… Quatre scénarios ont ainsi été envisagés sur le devenir du ministère de l’Avenir à l’horizon 2025. L’un de ces scénarios envisage un ministère de l’Agriculture en quasi statu quo par rapport à son rayonnement d’action actuel. Les trois autres prévoient de forts remaniements et mouvements des services.

L’un d’entre eux va même jusqu’à la disparition pure et simple du ministère, en ventilant la DGAL (direction générale de l’alimentation) au ministère de la Santé, la DGPE (direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises) au ministère de l’Économie, la DGER (direction générale de l’enseignement et de la recherche) à l’Éducation nationale, tandis que le ministère de l’Environnement récupère le reste des services. Ce scénario prévoit de fait des transferts de compétences, non seulement aux autres ministères, mais également en renforçant la décentralisation.

Un autre scénario prévoit de diminuer l’importance du ministère en le commuant en secrétariat d’Etat, lequel serait rattaché à l’Environnement. Cette solution serait envisagée dans le cas où la France traverserait une grave crise financière « type Espagne-Portugal en 2010« . Ce qui sous-entend au passage qu’on n’en serait donc pas si loin…

Enfin, le dernier scénario voit le ministère évoluer vers le contrôle, après avoir délégué la majorité de ses missions vers des agences (comme une agence de la forêt et de la ruralité par exemple, qui regrouperait FranceAgriMer et l’ONF)…

Quid de la crise, des hommes, de l’engagement que doit avoir l’Etat vis-à-vis de son agriculture ? Où sont les orientations politiques ?

Réfléchir à l’avenir, c’est salutaire. Pour autant, les scénarios proposés, y compris celui qui prévoit un (presque) statu quo, ne répondent pas à une question essentielle : quelle agriculture veut-on pour demain, en l’occurrence à l’horizon 2025 ? Et de fait, quel rôle doit jouer l’Etat français par rapport à cette vision de l’agriculture de 2025. Enfin, parler de l’arrêt pur et simple du ministère dans une période de crise sans précédent ne sous-entend-il pas un abandon des femmes et des hommes qui font l’agriculture à leur triste sort ?

Acteurs Publics, dans un deuxième article, a publié une réaction du ministère de l’Agriculture, indiquant que le groupe de travail était allé au-delà du travail demandé avec ces scénarios, et que la disparition du ministère n’était pas d’actualité. Mais il faut noter que cette réponse est intervenue après une réaction de syndicats de fonctionnaires, eux-mêmes émus des transferts et nouvelles affectations des dits fonctionnaires sans qu’on leur demande leur avis.

Pour ma part, c’est un autre aspect qui me préoccupe dans cette affaire : une réflexion est lancée sur des réaffectations de missions ministérielles… Mais où sont les évaluations des missions en cours ? Pourquoi na-t-il pas été demandé, tant qu’à mener une enquête de ce type, à ce que la profession agricole soit consultée, ne serait-ce que pour donner son avis sur les services du ministère qui lui paraissent efficaces et ceux qui pourraient être orientés différemment ? En l’occurrence, une réflexion importante est lancée, il s’agit de l’avenir du ministère… Mais uniquement sous l’angle des économies (certes nécessaires) de l’Etat en termes de fonctionnaires. Pas pour répondre à des besoins. Pas en se posant la question préalable d’une politique agricole plus ou moins ambitieuse, plus ou moins familiale, répondant à quels modèles… Or il est clair aujourd’hui que la société est en mutation, et son agriculture aussi.

De tels scénarios, pour citer un exemple, donnent-ils les moyens de répondre à la menace qui pèse sur tous les producteurs de viandes, que ce soit à partir de bovins, de porcs, de volailles, d’ovins… ? Ils sont rédigés de manière très technocratique, avec presque plus de sigles que de mots de notre vocabulaire , avec des calculs (trop) savants pour regrouper certains services, refiler quelques missions aux collectivités territoriales, recaser un bébé par ci, un autre par là… Voici un exemple d’une phrase prise au hasard au détour des justifications de l’un des scénarios :

« Les DDcsPP restent l’échelon opérationnel, la DRAAF en coordonne la gestion (une cellule est créée au sein des SRAL avec des cadres (IAE) disposant des compétences requises.« 

Connaissez-vous tous les sigles ? Rassurez-vous, moi non plus, et même en copiant-collant chacun dans un moteur de recherche, la compréhension reste délicate. Et il ne s’agit là que d’une phrase, d’un document qui au total fait 23 pages, plus 4 ou 5 pour chacun des quatre scénarios, soit un total de 42 pages… Et, évidemment, les autres phrases sont au diapason de l’exemple fourni.

Où est l’agriculture française là-dedans ? Comment tente-t-on de régler la crise ainsi ? Cela reste un mystère…

Enfin, dernier paramètre, et pas le moindre : où sont donc passés les représentants du peuple, à savoir les politiques élus (ou nommés par des élus, dans le cas des ministres) ? Car ce groupe de travail de hauts fonctionnaires auto-gérés a peut-être commis des erreurs, mais il aurait dû, selon les préceptes de notre démocratie, recevoir une feuille de route précise, non pas du secrétariat général du ministère comme ce fut le cas, mais de la part du ministre lui-même. Le fait qu’il n’y ait pas aujourd’hui de ministre à plein temps (depuis 2014 Stéphane Le Foll est également porte-parole du gouvernement) n’est sans doute pas étranger à l’auto saisine de fonctionnaires pour réfléchir à un avenir qui ne soit pas lié à une politique venue d’élus…

L’opinion de Claude Cochonneau, président des Chambres d’agriculture : « Nous préférons un ministère élargi à la ruralité »

Voici l’interview accordée à WikiAgri par Claude Cochonneau, président des Chambres d’agriculture (APCA), sur ce sujet.

Comment avez-vous réagi en apprenant qu’une étude sur l’avenir du ministère existait sans en avoir été avisé officiellement ?
C.C. :
« Je l’ai appris pendant le salon de l’agriculture par des syndicats de salariés – nous avons nous aussi nos sources – eux-mêmes inquiets pour leur avenir.

Avez-vous été consulté dans le cadre de cette enquête ?
C.C. :
Non, mais à ce stade, celui d’une enquête préparatoire, ce n’est pas anormal. Nous-mêmes, aux Chambres d’agriculture, quand nous livrons nos propositions sur l’agriculture dans le cadre de l’élection présidentielle, nous émettons des propositions sur le rayon d’action du ministère, et nous ne l’avons pas consulté pour cela.

L’idée d’un ministère rétréci, avec par exemple comme argument le fait que le nombre d’agriculteurs diminue, vous semble-t-elle d’actualité ?
C.C. :
Je constate que cela fait au moins 30 ans que l’on a des velléités pour réduire le nombre des ministères, 30 ans qu’on en parle… Et que ça ne se fait pas. C’est sans doute beaucoup moins facile à concrétiser qu’à imaginer. Pour notre part, nous proposons non pas la fin du ministère de l’Agriculture, mais au contraire d’élargir ses compétences à toute la ruralité. Nous ne pensons pas que l’agriculture doit dépendre de l’Aménagement du territoire, ou de l’environnement, ou autres. Mais que l’agriculture et la ruralité sont intimement liées, et que l’on peut dès lors les rapprocher dans un grand ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Forêt et de Ruralité.

Le fait que le ministre actuel de l’Agriculture ne soit pas à plein temps pose-t-il un problème dans la façon dont certains sujets sont appréhendés au ministère de l’Agriculture ?
C.C. : J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet. Oui, c’est un problème. En même temps, je comprends que le Président de la République ait choisi quelqu’un en qui il avait confiance comme porte-parole.

L’enquête sur l’avenir du ministère porte principalement sur la réaffectation des personnels, et donc sur leur nombre. Vous-mêmes, au niveau des Chambres d’agriculture, vous avez été récemment épinglés par la Cour des Comptes par rapport au nombre stable voire croissant des salariés de chambres alors que la population agricole diminue…
C.C. :
Une partie de l’explication des chiffres fournis par la Cour des comptes vient du fait que les Pouvoirs publics se sont désengagés des Adasea (Ndlr : associations départementales pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles), et que leurs effectifs sont désormais comptabilisés parmi ceux des Chambres d’agriculture. Mais attention aux chiffres et aux solutions de facilité. La Cour des comptes a-t-elle les connaissances de terrain pour juger de l’utilité de tel ou tel salarié des chambres d’agriculture ? Si moi j’enquêtais sur la Cour des comptes, je trouverais sans doute beaucoup de choses à redire, mais aurais-je les compétences pour cela ? »

 

En savoir plus : https://www.acteurspublics.com/2017/03/01/exclusif-quand-le-ministere-de-l-agriculture-reflechit-a-sa-propre-disparition (article de Acteurs Publics sur l’enquête sur l’avenir du ministère de l’Agriculture) ; https://www.acteurspublics.com/2017/03/03/le-ministere-de-l-agriculture-rejette-tout-scenario-sur-sa-disparition (réaction du ministère au premier article de Acteurs Publics) ; http://www.chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/National/Projet_PresidentielVD220217.pdf (les propositions des Chambres d’agriculture pour la présidentielle, dont celle d’un ministère élargi à la ruralité).

1 Commentaire(s)

  1. Banco, il faut y aller !

    Enfin une bonne idée d’initiative à prendre.

    Trop d’idéologies se promènent dans les couloirs du ministère et des DDTM.

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