aubracs

En Lozère, la mauvaise volonté tourne au scandale

En Lozère, deux jeunes (moins de 25 ans) agriculteurs voient leurs projets d’installations réduits en poussière (en l’état actuel des choses) en raison de l’interprétation locale, très particulière, de la loi littoral. Une seule solution, bousculer franchement tous les acteurs du dossier. Reportage et enquête sur place.

D’abord le plan et les photos, ensuite l’article complet

Une fois n’est pas coutume, cet article va commencer par les photos du reportage, je vous invite à lire le texte ensuite. Une chose à savoir avant de regarder ces photos : la loi littoral impose que les constructions ne soient pas visibles du rivage. Constatez par vous-mêmes ce qui se passe autour du lac de Naussac, en Lozère, par rapport à ce « critère de covisibilité »…

D’abord, ci-dessous, la carte. Le lac est en bleu, sur la droite. Le village de Briges, commune d’Auroux, en rose. Les pièces de monnaie figurent les emplacements exacts des bâtiments : les deux (en fait un bâtiment et un tunnel) souhaités par Damien Martin sont à gauche, celui souhaité par Eugénie Brajon est au sud du village… Le quatrième emplacement, à droite, figure l’emplacement « légal » proposé pour les constructions (explications suivent)… Les pointillés proches du lac indiquent la zone des 100 mètres, ceux très à l’extérieur l’espace proche du rivage. C’est la détermination de cet « espace proche du rivage » qui pose question, la ligne tracée étant à plus de deux kilomètres du rivage en question.

Ci-dessous, nous sommes sur le site du bâtiment souhaité par Eugénie Brajon. Elle montre la direction du lac. Surprise, une colline ! Vous voyez le lac vous ? En quoi le bâtiment peut-il être visuellement gênant du lac ?

Ci-dessous, le même site, avec un quart de tour. Au lieu de regarder vers l’est et le lac (ou la colline si vous préférez…), on regarde vers le nord et Briges. Dans le lointain, on aperçoit à peine le hameau. Même pour le village ce bâtiment ne serait en rien gênant…

Ci-dessous, nous sommes sur l’emplacement souhaité par Damien Martin pour construire son bâtiment. Derrière lui, tout au fond, derrière le bouquet d’arbres vers la droite de la photo, vous pouvez entrapercevoir le lac, à près d’un kilomètre de là… Imaginez-vous à l’inverse, être en bordure de lac, et regardant vers ce bâtiment, pensez-vous que vous arriveriez à le discerner ?

Ci-dessous, le deuxième site qui concerne Damien Martin. Il veut y mettre un tunnel. Il a déjà terrassé le terrain. Le lac ? Il le montre. Vous ne le voyez pas ? Non, il est à la fois très loin (plus d’un kilomètre) et caché par les arbres…

Enfin, le pompon ! Ci-dessous, l’emplacement proposé par l’administration pour la construction des bâtiments. Il est autorisé car « dans la continuité du bâti« , comprenez dans la continuité du hameau de Briges. Pour les éleveurs, il est plein d’inconvénients : éloigné de leurs élevages, un terrain en pente à terrasser, ils vont avoir leurs deux bâtiments l’un derrière l’autre, le terrain appartient à la mairie… Et surtout, là, immédiatement, sur la droite, vous voyez quoi ? Le lac ! On interdit aux jeunes de construire leurs bâtiments au nom de la visibilité avec le lac, alors qu’elle n’existe pas, et on leur propose à la place un emplacement directement en pleine vue du lac !!!

Ci-dessous, conséquence directe de l’absence de bâtiment : outre le fait que les troupeaux devront rester dehors l’hiver, la paille ne peut pas être rentrée, elle est conservée ici tant bien que mal avec une bâche en prise au fort vent qui souffle localement.

Ci-dessous, Eugénie Brajon, Damien Martin, Julien Tuffery (président des JA et vice-président de la Chambre, leur plus grand soutien), accompagné de Clément Vidal : les jeunes ne renoncent pas !

Ci-dessous, une affiche touristique vantant la Lozère : pensez-vous qu’elle aurait le même attrait sans la vache de race aubrac ? Pourtant, on accepte les vaches sur les affiches, pas les éleveurs dans leur activité…

Dernier cliché ci-dessous (mais ne vous arrêtez pas là, l’enquête continue par le texte ensuite), une partie du troupeau de Damien Martin : en quoi la vision de ces aubracs, superbes, peut-elle gêner environnementalement parlant ?

Que demande la loi littoral ?

Son esprit est de protéger les rivages. Surtout appliquée en bords de mer, elle concerne également huit lacs ou plans d’eau à l’intérieur des terres, dont le lac de Naussac donc. Trois critères concernent « l’espace proche du rivage » : le premier concerne la nature du terrain, et ne s’applique qu’aux plages, donc aux bords de mer ; le deuxième fait état une zone de 100 mètres le long du rivage où rien ne doit être construit. En l’occurrence, aucun souci pour ces deux critères, respectés de fait. Reste le troisième, celui dont l’application par la préfecture de Lozère incrimine fortement celle-ci. On l’appelle « critère de covisibilité« . Il s’agit de vérifier qu’aucune construction nouvelle n’est visible du rivage. Il appartient à la préfecture de déterminer l’espace proche du rivage, donc la ligne entourant le lac à l’intérieur de laquelle il est interdit de construire.

Le lac de Naussac

Il s’agit d’un lac artificiel, en fait une retenue d’eau souhaitée dans les années 1970 qui avait d’ailleurs été fortement contestée à l’époque car elle signifiait la mort d’un village, Naussac. Le monde agricole avait d’ailleurs manifesté contre ce lac à l’époque, ainsi que les écologistes, car la retenue en question doit approvisionner des centrales nucléaires situées en amont. Notons au passage l’ironie de la situation, puisque c’est au nom de l’écologie que l’on fait valoir aujourd’hui, en quelques sortes, les « droits » de ce lac artificiel…

Les faits

Eugénie Brajon et Damien Martin voient leurs projets d’installation fortement compromis par l’application locale de la loi littoral. La communauté de commune du Haut-Allier, en bordure du lac de Naussac, a ainsi adopté le 20 février dernier un PLUI, plan local d’urbanisme intercommunal. Ce PLUI comporte une motion, spécifiant qu’il est révisable, notamment dès qu’une clarification intervient en faveur des projets agricoles. Les élus se seraient en effet trouvés coincés (j’emploie le conditionnel car la version donnée par la DDT diffère). Sur 23 réunions préparatoires à l’élaboration de PLUI, ils ont appris à la 21e qu’il fallait appliquer la loi littoral, du fait de l’importance du lac de Naussac, qui fait plus de 1000 hectares (1034 hectares précisément). Ou en tout cas, si effectivement la DDT les avaient informé avant (deux versions toujours), c’est à ce moment-là qu’ils ont compris ce que l’application du zonage de la loi littoral avait comme conséquence macabre pour les deux installations. Ainsi, alors que les discussions ont commencé le 7 mars 2011, c’est le 15 janvier 2014 que la nouvelle a été rendue publique, sachant que l’adoption était donc prévue ce 20 février 2014 : en d’autres termes, pas le temps de regarder de près comment appliquer correctement la loi littoral tout en préservant l’activité des jeunes éleveurs… Et pourtant c’était possible ! Mais pas question de reculer la date du 20 février, motif : les élections municipales en mars, avec de nouvelles équipes, de nouveaux maires… Il fallait boucler le dossier avant.

L’interview des intervenants

Rencontré lors du reportage, Gérard Souchon, président de la communauté de communes du Haut-Allier, explique que « les discussions ont pourtant duré longtemps en amont. Avant de parler du PLUI, il y a eu ainsi un « atelier montagne » sur notre zone, avec la présence d’un conseiller du ministère de l’Environnement. » Et à aucun moment, la question ne s’est posée quant à l’application de la loi littoral. Les élus savaient qu’elle devait s’appliquer chez eux, mais tous les conseillers rencontrés les avaient alors assurés qu’elle n’aurait aucune incidence. Ils n’ont donc pas prévenu les agriculteurs. De bonne foi, visiblement.

Joint au téléphone, René-Paul Lomi, directeur départemental des territoires de la Lozère (rappel, la DDT est le service de la préfecture qui regroupe les anciens DDAF et DDE, en d’autres termes sur le dossier responsable à la fois de l’application de la loi littoral et des aides à l’installation), se dit lui aussi choqué par le résultat. « Les projets de bâtiments tels qu’ils existaient pouvaient tout à fait s’intégrer dans le paysage sans nuire à l’environnement« , dit-il, ajoutant : « Nous avions pointé les anomalies lors du tracé de l’espace proche du rivage, mais les élus de la communauté de commune n’en ont pas tenu compte. » Il faut croire tout de même que ce dernier message a été soit mal transcris, soit mal compris. Dans les deux cas, il fallait insister ! Vérifier que tout le monde comprenait bien les enjeux !

Vous avez compris, les élus de la communauté de communes renvoie la balle vers le DDT, qui la renvoie vers eux. Quant au bureau d’études qui a assisté les uns et les autres, absent de ce débat après avoir terminé son travail, il est facilement montré du doigt par les deux autres parties…

Parallèlement (heureusement a-t-on envie de commenter, enfin un qui peut faire bouger les choses…), il y en un qui explose littéralement devant cette inertie. Julien Tuffery, président du syndicat des Jeunes Agriculteurs de Lozère, également premier vice-président de la Chambre d’agriculture, ne décolère pas : « On a ici deux jeunes, qui font de l’agriculture traditionnelle, dans un département à forte proportion agricole, qui ne gênent personne, et voilà qu’on leur raconte je ne sais trop quelles histoires pour les empêcher de s’installer, alors même que leurs dossiers, incluant la construction des bâtiments, avaient d’abord été acceptés. Damien Martin a même reçu des certificats d’urbanisme qui ont ensuite été annulés ! C’est incompréhensible. » Au passage, je signale la grande disponibilité de Julien Tuffery sur ce dossier, il a su notamment se libérer dès l’annonce de mon reportage sur place.

Le député de la Lozère (département peu peuplé, un seul député) Pierre Morel A L’Huissier, défend aussi ardemment les deux jeunes, mais son action est contrariée par le fait qu’il appartienne à l’opposition (Ump). Joint au téléphone, il donne son sentiment, et parle de son action : « J’ai saisi les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture. Il est clair que les dispositions prises sont inadaptées. C’est un scandale. Le préfet de Lozère ne veut pas froisser certains membres du gouvernement et abuse du principe de précaution dans l’application qu’il donne chez nous à la loi littoral. Parallèlement, je cherche à faire adopter à l’Assemblée ce que j’appelle « le principe d’adaptation« , qui doit permettre d’appliquer les lois bien sûr, mais avec un tout petit peu de souplesse allouée aux préfets. Enfin, j’ai saisi le Défenseur des Droits, qui veille au respect des droits et libertés et à la promotion de l’égalité, Dominique Baudis. Dans ce dossier, tout est respecté. Le préfet nous dit qu’il ne peut accorder de dérogations, mais je ne vois pas de quelles dérogations il faudrait disposer. Je constate surtout beaucoup de mauvaise volonté… »

Bien sûr, il faut aussi donner la parole à Eugénie Brajon et Damien Martin. L’un et l’autre sont scandalisés, atterrés, en colère, et refusent de baisser les bras. Damien Martin, hors cadre familial, a tout laissé pour s’installer à Briges : « Mon certificat d’urbanisme, accordé dans un premier temps avant d’être annulé, et programmé dès l’acceptation de mon dossier d’installation, devait prendre effet là, en mai. Je devais profiter de l’été pour construire mon bâtiment et être à l’abri l’hiver prochain. J’aurais pu aller ailleurs, il suffisait de me le dire, car à la base je ne suis pas attaché à la région…« 

Stop au « c’est pas moi c’est lui », place à l’action !

Dans ce contexte, comment sortir la tête haute de cette situation ubuesque, où un coup de stylo sur une carte a été tracé sans discernement et où personne ne veut prendre l’initiative de prendre une gomme et à nouveau le crayon ?

D’un point de vue strictement réglementaire, pour changer la zone d’espace proche du rivage, il faut réviser le PLU. C’est possible, mais ça a un coût (il faut dans ce cas relancer les études de terrain), et ça prend du temps. J’ai personnellement posé la question au DDT, René-Paul Lomi : compte-tenu des circonstances, pourrait-on envisager une révision allégée du PLU, qui aille plus vite et soit moins coûteuse, puisqu’il suffit d’aller voir les sites prévus pour les bâtiments ? Sa réponse fut un peu évasive. « Ne faudrait-il pas dans ce cas-là en profiter pour vérifier qu’il n’existe pas d’anomalies dans d’autres secteurs autour du lac ? » Autant dire, en ce cas, qu’on n’y arriverait pas !

Alors il faut en finir une bonne fois avec ces bonnes intentions qui tournent en rond sans réellement apporter de solutions. On peut comprendre que le DDT soit dans son rôle quand il applique ce que l’on demande de faire. En l’état actuel des choses, la solution ne peut pas venir de lui. Mais des ordres qu’on lui donne. Il n’est ni un ami, ni un obstacle, mais un commis de l’Etat, avec une marge de manoeuvre personnelle très faible.

La solution est donc politique. Il s’agit d’obtenir que le DDT reçoive les bons ordres. Il s’agit de peser, à plusieurs dans le même sens, pour faire valoir les droits évidents des deux jeunes éleveurs. A plusieurs, cela signifie syndicalement avec les JA, politiquement avec le député, médiatiquement avec WikiAgri… Mais aussi, à travers les réseaux sociaux, avec l’appui de toutes et tous. Nous tous, individuellement petites fourmis, formons finalement une force de frappe avec la masse, qui peut être utilisée ensuite à bon escient et devenir un argument décisif.

Le poète latin Térence disait « justice extrême est extrême injustice« . C’est de celle-là dont sont victimes Eugénie Brajon et Damien Martin. On ne peut que se révolter contre elle.

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/en-lozere-la-loi-littoral-joue-contre-lenvironnement-agricole/943 (notre précédent article sur le sujet).

3 Commentaire(s)

  1. N’importe quoi!
    et dire qu’on es tributaire de tous ces gens qui sont assis sur une chaise au lieu d être sur le terrain, de sur leur chaise ils le voient le lac pffff!
    laissez les gens bosser bordel!

  2. comme toujours chez nous, les gens qui veulent travailler sont des emmerdeurs!
    Devons nous attendre qu’un prince du Katar décide de construire dans la région pour voir les choses bouger?
    Électeur, rappelez vous que nos dirigeant ne veulent pas voir vos outils de travail, mais encaissent vos impôts. Tout fout le camp, cette histoire est le reflet d’un pays en voie de sous développement qui n’aura bientôt plus rien à envier aux dictature bureaucratiques autrefois honnies!

  3. Toute cette énergie déployée pour avoir le droit d’exister et de travailler… Quel gâchis! Bon courage.

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