L’intelligence artificielle (IA) est déjà une réalité dans le quotidien des Français, et parfois même sans le savoir. Dans le monde de l’entreprise aussi ces technologies font florès. Voici quelques clés avant d’envisager de les intégrer dans les métiers des travaux agricoles.
Parmi les chantiers à mener pour les entrepreneurs de travaux agricoles, celui de l’intégration des outils de l’intelligence artificielle (IA) peut encore poser question, un peu plus de deux ans après le lancement du robot ChatGpt III, capable de produire des textes et de participer à une discussion. Derrière cette illusion d’intelligence que lui confère la maîtrise du langage, se cache en réalité une force de calcul brute faite de simples calculs statistiques. L’IA générative de texte sélectionne en effet les mots les plus probables en fonction des précédents, selon des modèles après un « entraînement » à partir de gigantesques corpus. Ce fonctionnement est tout à la fois la grande promesse et la grande limite de l’intelligence artificielle. Avec elle, certaines tâches dépassent aujourd’hui largement les capacités humaines, tout en ouvrant la porte à de nouveaux risques à maîtriser.
Depuis le XIXème siècle, la machine avait contribué à largement supplanter la force physique des travailleurs. À titre de comparaison, un litre de carburant fossile consommé par un engin de chantier fournit l’équivalent énergétique du travail manuel de dix ouvriers pour toute une journée de travail. A cette révolution des « cols bleus », semble aujourd’hui succéder une révolution « des cols blancs » par laquelle ce sont désormais les tâches intellectuelles qui peuvent aujourd’hui être pour partie automatisées par des puissances de calcul considérables mises à la portée de quiconque. Grâce à l’IA, des tâches de bureau ou d’observation de terrain qui auraient nécessité des équipes entières de professionnels peuvent désormais être accomplies en quelques secondes. On assiste donc à un réel déplafonnement du potentiel dans le domaine de ces traitements de tâches. L’IA est ainsi utilisée par exemple pour observer jour et nuit chaque individu d’un troupeau entier, pour observer chaque feuille d’un essai en sélection de blé, ou compter automatiquement le nombre de grains par épis etc… Toutes sortes de tâches assez répétitives et fastidieuses qui mobiliseraient des équipes entières de main d’œuvre humaine pour les réaliser.
Finalement, l’utilisation de ces outils n’est pas aussi récente qu’il n’y paraît. Applications de guidage sur carte des smartphones, moteurs de recherche Internet, applications de retouches photographiques, aspirateurs robots, robots tondeuse, lecture automatique des factures ou des notes de frais, réseaux sociaux, sites d’e-commerce, sites de livraisons marchandes, reconnaissance vocale, saisie de texte intuitive, application de traduction automatique, systèmes de correction orthographique automatique, outils d’assistance à la conduite et au stationnement de voitures… Tous ces outils de la vie quotidienne qui existent depuis le début des années 2010 et même avant, reposent en grande partie sur des modèles d’IA.
Avec l’apparition plus récente de l’IA générative, la nouveauté est aujourd’hui celle de la création de contenus originaux qui reposent sur des textes, images, graphismes, son ou vidéo. Ce potentiel à malgré tout ses propres limites. S’agissant de l’IA générative, celle-ci peut donner des résultats farfelus en dehors de toute réalité, ce que l’on appelle les hallucinations de l’IA. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les images générées par IA pour identifier rapidement des incohérences qui peuvent tout aussi bien se retrouver dans un texte. L’IA produit facilement des mains à six doigts, des bras surnuméraires et autres fantaisies. Car lorsqu’elle doit répondre à une consigne, elle le fait souvent coûte que coûte, sans souci de la réalité ou de la vraisemblance. L’IA a été construite pour produire des choses et elle ne sait que très mal s’abstenir. Ceci d’autant plus que les grandes entreprises du numérique se livrent à une guerre technologique féroce pour lancer les innovations (des milliards de dollars sont en jeu) au mépris parfois de la fiabilité. Il est donc absolument nécessaire de vérifier les informations apportées. Il ne faudrait pas non plus oublier que les systèmes d’IA génératives sont en partie commandées par leurs créateurs pour éviter les mauvais usages de l’outil. Cet aspect de contrôle est légitime et d’ailleurs des centaines d’êtres humains sont ainsi embauchés pour éditorialiser les IA. Cependant, il est intéressant de garder à l’esprit que certaines réponses sont ainsi orientées par les personnes à l’origine de ces dispositifs de contrôle.
Cela dit, avec le temps, ces technologies deviennent de plus en plus matures. Aujourd’hui la version gratuite de ChatGPT est capable de rechercher des informations récentes sur Internet et de citer des sources facilement vérifiables. A l’avenir, il semble que l’on va vers un usage de plus en plus pointu de l’IA générative avec des applicatifs métiers précis voire sur-mesure. Pour affiner les résultats, il est d’ailleurs déjà possible de configurer des agents spécialisés – comme les « GPTs » (se prononce « jipitiz ») dans ChatGPT – capables de s’adapter à un cadre précis.
En ETA, le potentiel de l’IA est donc déjà à repérer dans toutes les fonctions administratives chronophages qui pourraient être automatisées. Il est aujourd’hui possible par exemple de demander à l’IA de lire l’ensemble de ses mails, de les trier, de les synthétiser et de produire pour certains d’entre eux des réponses automatisées. Certaines personnes ayant des fonctions de bureau, et qui consacrent un temps très importants à ces tâches, peuvent ainsi économiser plusieurs heures de travail par semaine. Là encore, un temps de rodage est nécessaire pour vérifier que l’IA fonctionne bien, et ainsi pouvoir faire pleinement confiance à l’outil. En matière de gestion administrative et comptable, l’IA peut fournir une aide précieuse pour lire automatiquement les factures, les notes de frais, simplifier les saisies des bons taux de TVA, pour le suivi de la relation client, l’organisation des relances, la gestion des impayés et même en matière de prospection commerciale. Le potentiel est énorme en matière administrative. Tout l’enjeu est surtout de repérer au cas par cas dans chaque entreprise quelles sont les fonctions qui méritent d’être automatisées. Des consultants en IA sont d’ailleurs aujourd’hui spécialisés dans ces types de missions en entreprise. Dans un territoire comme la Normandie, l’association NWX (Normandie Web Xperts) dispose ainsi de consultants capables de réaliser ce type d’accompagnement jusqu’à la fourniture d’outils sur-mesure. Il est certain que des compétences en la matière sont présentes un peu partout dans d’autres territoires. Chaque entreprise est différente, et pour chacune la priorité pourrait être différente. De nombreux logiciels de facturation promettent déjà de simplifier le travail administratif en étant par exemple reliés à des outils de gestion de travaux des champs. En revanche, il y a sans doute encore des tâches administratives qui présentent peu de valeur ajoutée et qui pourraient être automatisées. Au sein des ETA, un des grands enjeux est aussi de soulager les dirigeants qui sont sans cesse dans le rôle chef d’orchestre pour gérer les imprévus et les urgences. Ce sont eux qui ont la vision à 360 ° de ce qui se passe dans l’entreprise à chaque instant pour prendre les bonnes décisions sous forme de compromis permanents en fonction de la météo, des pannes matérielles ou des ressources humaines.
L’IA générative représente un assistant redoutablement efficace surtout lorsque l’on a peur de la page blanche, que l’on souhaite réduire le temps passé à sa communication ou que l’on a des difficultés ou des complexes pour « bien écrire ». Ces dispositifs aident par exemple à générer des textes d’un site Internet, à rédiger des messages pour les réseaux sociaux, à créer une image ou un logo. De nombreux documents internes ou externes peuvent être créés avec l’assistance de l’IA, et notamment les annonces d’offre d’emplois, les feuilles de postes, les pages d’un site Internet, des courriers et certains documents légaux. On pense également au livret d’accueil pour les chauffeurs et au partage de compétences pour l’utilisation de certains matériels.
Les contenus générés par IA peuvent cependant rapidement devenir banals. C’est pourquoi il est important de nourrir l’IA avec un minimum d’informations spécifiques et intéressantes. Par ailleurs un travail de réécriture est presque systématiquement nécessaire ne serait-ce que pour faire en sorte de produire un contenu qui nous ressemble.
Les agents comme ChatGPT peuvent aujourd’hui réaliser des recherches sur Internet ou directement dans des documents numérisés, ce qui peut être très utile pour trouver rapidement certaines informations pour remplir des demandes d’aide à l’investissement, répondre à des appels d’offre ou vérifier un point réglementaire dans l’application d’un produit, ou tout simplement pour faire une veille sur l’utilisation d’un type de matériel et sur les nouveautés d’un constructeur.
Attention toutefois à la confidentialité des données, lorsque vous fournissez à l’IA des données personnalisées. La plupart des professionnels qui utilisent ces outils par exemple à des fins comptables prennent soin généralement d’anonymiser les données. En effet, les modèles d’IA consomment des quantités colossales de données originales qui forment leur carburant pour leur permettre de rester pertinentes. Même si la réglementation européenne (RGPD, règlement général de protection des données) fournit un cadre protecteur, le risque de fuite n’est pas nul sachant que ces IA sont souvent hébergées à l’extérieur de l’Union européenne.
Alexis Dufumier