Chanteur de variétés, chauffeur de bus, clown, coiffeur… La diversification agricole prend parfois des formes surprenantes ! WikiAgri a rencontré trois agriculteurs qui jonglent avec des activités très différentes. Très épanouissantes, ces doubles carrières demandent quelques aménagements… et beaucoup d’énergie.
C’est un véritable phénomène de société auquel l’agriculture n’échappe pas. On appelle ça les « slasheurs » : des professionnels qui affichent plusieurs activités sur leur carte de visite intercallées d’un « slash », la barre oblique typographique (informaticien/boulanger, photographe/artisan…).
D’après une étude de la MSA publiée en 2012, 14,3 % des chefs d’exploitation agricoles ont une seconde activité professionnelle non agricole. Ces pluriactifs sont majoritairement des producteurs de céréales et de légumineuses, mais aussi des viticulteurs et des éleveurs bovins. Bien sûr, cette double casquette est souvent une nécessité pour améliorer ses revenus. Mais parfois, ce second métier est aussi un choix du cœur.
C’est le cas de Grégory Perrier. A 18 ans, il reprend la ferme familiale à Cisternes-la-Forêt dans le Puy-de-Dôme et élève une trentaine de mères de race aubrac, charolaise et gascogne. Cet éleveur passionné vit aussi pour la musique, et pas n’importe laquelle : la variété française des années 1970. Malgré son jeune âge, ses idoles sont Serge Lama, Hervé Villard, Michel Sardou… « J’ai baigné dedans toute mon enfance. J’ai vu beaucoup de concerts avec mes parents et je participais aux podiums organisés par le journal La Montagne tous les étés. J’ai toujours adoré écrire et ça s’est concilié avec la musique. »
Le jeune chanteur se propulse en assurant à 16 ans la première partie de Stone et Charden, puis de Richard Anthony, Nicolas Peyrac… Mais il a été surtout marqué par sa rencontre avec François Feldman. « C’est un grand monsieur », résume-t-il pudiquement.
Rapidement, il fonde son groupe avec qui il se produit en 2008 devant 1400 personnes à la maison de la culture de Clermont-Ferrand. Sa voix puissante exprime toute sa sensibilité sur scène, avec une authenticité touchante. Son premier album est sorti en 2004, et le quatrième opus sera dans les bacs en septembre. « J’ai mis deux ans à l’écrire, et j’ai enregistré les dix chansons dès que j’avais un moment de libre. Ce sont surtout des chansons d’amour mais j’ai aussi écrit une chanson sur les attentats du 13 novembre. Je compose surtout le soir en automne. Le public ne comprend pas forcément que j’ai besoin de temps compte-tenu de ma double activité. J’ai écrit et composé les dix chansons. »
Pour l’instant, deux concerts sont prévus fin juillet puis tous les week-ends en septembre et octobre, un peu partout en France. « Je ne sais pas comment je vais faire car je dois aussi suivre une formation de cinq jours pour renouveler mon permis de transport scolaire à l’automne. »
En effet, pour compléter ses revenus, il assure aussi le ramassage scolaire de sa commune à 7 heures du matin (juste avant de nourrir les bêtes) et à 15 h 30. « C’est pratique car je ne travaille pas pendant les vacances scolaires. Mais au printemps, quand il faut arrêter les travaux des champs à 15h30, ça fait râler, surtout que je suis seul sur l’exploitation. Mon père me file un coup de main mais physiquement, c’est très dur. Je pense réduire le transport scolaire à l’automne. Mais même si les salles sont pleines, les cachets artistiques sont instables. Les concerts ont souvent lieu l’été, en pleine fenaison. Du coup, mes cachets servent à payer un entrepreneur… »
Grégory Perrier gagne entre 1500 et 2000 euros brut par mois. La ferme représente environ 70 % de ses revenus, le transport scolaire 25% et la musique le reste. « Mais ça dépend des années. De toute façon, je ne pourrais pas faire qu’un métier. Cumuler permet de s’épanouir en rencontrant d’autres personnes, et la musique me permet de m’exprimer. »
Olivier Guitel cultive dans l’Eure 203 hectares en assolement blé – orge – colza – maïs – féverole. Passionné de théâtre depuis l’enfance, il a choisi l’agriculture par défaut : « A l’âge de quatre ans, je voulais déjà être clown. Je le suis finalement devenu à 45 ans… Mon père avait acheté des terres bien avant ma naissance, mais il était en procédure juridique avec son voisin. Pour des raisons complexes, il fallait que je m’installe comme agriculteur pour récupérer ces terres. J’ai grandi avec cette pression, d’autant plus que la ferme de ma mère était dans la famille depuis le XVe siècle. C’était donc un choix de raison. »
N’abandonnant pas tout à fait ses rêves, il s’inscrit dans une compagnie amateur. Pour progresser dans sa technique de jeu, il suit une formation et encadre des troupes quelques heures par semaine. « Un jour, j’ai invité une amie clown lors d’une répétition. Cette séance a déclenché un tsunami dans ma vie. J’ai réalisé que je m’étais toujours fondu dans le désir des autres, et que je n’avais jamais écouté ce que je voulais vraiment, que ma vie ne ressemblait pas à ce que j’espérais. »
Il se forme alors au clown de théâtre et au clown Gestlat (thérapie par le clown). En 2007, il fonde sa propre compagnie professionnelle « Etincelle Bouillasse » qui réunit six clowns permanents. Son premier spectacle « Faut k’ça pousse » a bien sûr pour thème l’agriculture : « On l’a joué plus de 600 fois. J’évoque mes débuts laborieux d’agriculteur, avec les galères financières, les attaques sanitaires, les intempéries… L’agriculture est un super thème pour un clown : plus il a de problèmes, plus il peut jouer ! », sourit-il.
Aujourd’hui, l’agriculture représente 30 % de son temps de travail, et 70 % de ses revenus. Il estime que ses deux activités sont complémentaires : « L’agriculture m’a apporté une rigueur, une réactivité et le réflexe de mutualiser les moyens, ce qui est assez rare dans le milieu du théâtre de rue. A l’inverse, le clown m’a appris à mieux communiquer sur mon activité agricole. Mais concrètement, ça a été longtemps difficile de cumuler. Je ne pouvais pas accepter de contrats de clown l’été et c’était difficile de jouer loin de chez moi. Lorsque je voyais que la météo était bonne je culpabilisais de ne pas être dans mes champs. Et sur mon tracteur, je pensais à mes devis de spectacle. »
En 2012, un virage se présente à lui : son salarié arrive à l’âge de la retraite et son bail de carrière arrive à échéance. « Soit je réinvestissais et j’embauchais, soit je réduisais l’activité de la ferme. Finalement, j’ai perdu 70 hectares et j’ai fait le choix d’acheter des prestations pour les travaux agricoles, ce qui me permet d’accepter plus de contrats de clown. Ma notion du travail explosé. Avant, c’était synonyme d’effort et désormais, je suis payé pour jouer ! Mais quand on finit de remballer le décor à une heure du matin et qu’on a encore plusieurs heures de route, c’est parfois laborieux… »
En plus des formations de clown, la compagnie intervient dans les écoles, dans les centres de loisirs, lors de séminaires… Les créations sont aussi jouées une fois par mois sous le chapiteau de la ferme (une grange a été transformée en salle de spectacle, mais n’est pas encore ouverte officiellement au public).
Cette effervescence créative et ces échanges nourrissants sont devenus un mode de vie : « Je suis bien plus heureux qu’à l’époque où le facteur était la seule personne que je voyais de la journée. Ça porte de faire ce qu’on aime. C’est trop dommage de subir sa vie, d’être toujours dans la plainte. Alors à un moment, il faut se lancer ».
D’ailleurs, il ouvrira bientôt des chambres d’hôtes !
David Mauret a toujours eu deux passions : l’agriculture et la coiffure. Son grand-père et son père était éleveurs sélectionneurs de salers dans le Cantal. « Mon grand frère a repris la ferme, alors je suis parti en apprentissage pour obtenir mon brevet professionnel de coiffure », explique-t-il. A 28 ans, il achète un salon à Saint-Flour et s’épanouit pleinement dans son job.
Pourtant, dix ans plus tard, il sent qu’il lui manque quelque chose dans sa vie. « J’avais déjà deux hectares pour mes deux juments de selle. J’ai acheté des terres à mon voisin pour élever quatre génisses, avec le projet de faire de la sélection et des concours. » Il a aujourd’hui 25 mères sur 35 hectares, et envisage d’étendre son cheptel à 40 mères en doublant ses terres. Il est aidé par sa femme, infirmière libérale à temps partiel. « L’été, les vaches sont en estive mais il faut quand même monter les voir tous les jours… Je fauche le lundi et les week-ends. Parfois, je ferme le salon un peu plus tôt. Mais le plus dur, c’est l’hiver. Je nourris les bêtes à 6 heures du matin. Une fois douché, j’enfile des chaussures de ville et j’emmène les enfants à l’école. Le salon ouvre à 9 heures. »
Des efforts largement récompensés : en 2015 et 2016, il remporte la seconde place du concours général agricole du Salon de l’agriculture à Paris, avec Hôtesse, une vache de 4 ans. « Je ne pensais pas pouvoir être sélectionné avec ma toute petite exploitation. Mon métier de coiffeur m’aide bien pendant les concours. J’adore préparer les bêtes, les shampouiner… L’an prochain, j’espère présenter un taureau que j’ai acheté avec un ami éleveur. Par ailleurs, la station d’évaluation de la race salers héberge l’un de mes broutards. C’est un fils d’Hôtesse. »
Et comme si ça ne suffisait pas, David Mauret est aussi vice-président du comice agricole cantonal. « Quand les gens me voient dans ma combinaison et mes bottes, avec ma carrure de rugbyman, ils ne se doutent pas que je suis aussi coiffeur ! », sourit-il.
Ancien pilier de première ligne (en fédérale 3), il entraîne les enfants du club de Saint-Flour. « Mon gamin de dix ans y joue… Il est aussi passionné de salers, donc ça me motive à développer l’activité. Je projette de construire une stabulation moderne à la place de nos vieux bâtiments. » Pour l’instant, le chiffre d’affaires de l’exploitation est intégralement réinvesti dans la ferme.
Quoiqu’il en soit, David Mauret a trouvé son équilibre : « J’adore voir du monde au salon, discuter, être dans la course. Mais j’avoue que ça me fait du bien le soir d’être au calme au milieu de mes bêtes… »
Ci-dessous, l’une des vidéos de Grégory Perrier chanteur (vous en trouverez d’autres sur YouTube).
Ci-dessous, présentation de Propre, spectable de clown d’Olivier Guitel.
En savoir plus : http://www.gregory-perrier.com (site de l’éleveur Grégory Perrier… chanteur !) ; http://www.etincellebouillasse.fr (site des clowns de la compagnie Etincelle Bouillasse, fondée par le céréalier Olivier Guitel) ; http://www.franceinfo.fr/emission/s-y-emploie-de-philippe-duport/2015-2016/le-chomage-eleve-favorise-la-multiplication-des-slasheurs-28-01-2016-13-42 (le phénomène des « slashers » vu – écouté – depuis France Info).
Ci-dessous, Grégory Perrier en concert (photo issue de son site internet).
Ci-dessous, Olivier Guitel, céréalier…
… Et Olivier Guitel clown !
Ci-dessous, David Mauret, ou un coiffeur primé au concours agricole !
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Super sujet à développer pour que la pluriactivité en agriculture ne soit plus tabou… Ce n’est pas parce que le paysan s’enrichit à faire autre chose que de l’agriculture qu’il ne s’investit pas sur son exploitation. Je pense qu’au contraire, de s’ouvrir comme ça à d’autres métiers, d’autres sujets, d’autres publics (non agricolo-agricoles!) lui apportent plus de créativité et d’idées, plus d’envie de retrouver sa ferme ensuite, plus de prise de recul face à la gestion quotidienne de la ferme, etc.
Témoignages à développer!
Et oui, mieux vaut profiter d’une VRAIE poignée de main ou d’un INOUBLIABLE regard entre Hommes que de 900 textos pour se dire « ça va » ou « je te comprends »…