Le syndicat de défense du beaufort a anticipé depuis des années la fin des quotas laitiers. Pour éviter une chute des prix fatale aux producteurs, l’AOP régule depuis le printemps sa production de fromages. Une solution qui permet à tous les acteurs d’envisager sereinement l’avenir.
Yvon Bochet ne fait pas partie des nostalgiques des quotas laitiers. Le président du syndicat de défense du beaufort considère qu’ils étaient complètement « déconnectés du marché réel« . Trop souvent définis en fonction des projets d’installation et de modernisation, ils ne reflétaient pas, selon lui, la réalité économique du terrain : « Certains éleveurs ont obtenu leur quotas en 1983, d’autres plus récemment. Certains les dépassaient, d’autres ne les atteignaient pas… Au final, le syndicat n’avait aucune vision globale de la production laitière de ses éleveurs. La fin du système nous a permis de tout remettre à plat », estime-t-il.
Dans la zone de l’appellation (450 000 hectares, environ 400 éleveurs), 98 % du lait est transformé en beaufort. En contrepartie des contraintes de production (notamment de l’utilisation des races rustiques et du mode d’alimentation), le cahier des charges de l’AOP (appellation d’origine protégée) impose un prix du lait très attractif :
« Les coopératives rémunèrent le lait entre 650 à 700 euros la tonne. Dans notre secteur, aucun autre fromage ne valorise autant le lait. En s’alignant sur les cours nationaux, soit environ 300 euros, les éleveurs de la zone n’auraient pas tenu le coup. Ce fut notre argument principal pour défendre notre système de régulation », martèle Yvon Bochet.
La situation et le diagnostic sont partagés par de nombreuses autres AOP fromagères de montagne. Les négociations ont été conduites dans le cadre de la nouvelle Pac, mais la régulation a été définitivement actée par le « paquet lait », sous la forme d’un amendement en 2012. « A vrai dire, ce fut une surprise… Même si nous savions que plusieurs personnalités, comme le député européen Michel Dantin, travaillaient sur ce dossier. En gros, Bruxelles a proposé que les AOP négocient directement avec leur gouvernement. D’ailleurs, on a appris que les Italiens ont des interlocuteurs plus souples que nous… », constate avec un brin d’amertume Yvon Bochet.
Les acteurs de l’AOP beaufort ont ainsi obtenu le droit de gérer leurs quantités fromagères.
Concrètement, le syndicat propose tous les trois ans au ministère de l’Agriculture un plan de régulation de l’offre, qui le transmet aux instances de Bruxelles. « Automatiquement, quand on définit la production fromagère, on détermine des références… C’est la même chose pour l’AOP comté qui a obtenu le droit de limiter la production par hectare… Nous n’avons pas fait ce choix car dans nos alpages, il y a beaucoup d’hectares ! De plus, un hectare de fond de vallée ne vaut pas la même chose qu’un hectare d’estive », explique Yvon Bochet.
Pour définir la production fromagère de 2012, le syndicat a simplement retenu la moyenne de deux campagnes réputées difficiles (2009-2010 et 2010-2011), soit 5000 tonnes au total. Pour l’année 2015, il s’est réservé une faible marge de progression de 1 %. En effet, la limitation de la quantité est un gage de qualité : « La prudence est le devoir d’une AOP. On peut développer l’image (Ndlr : le budget communication du syndicat atteint un million d’euros), la qualité, mais il vaut toujours mieux produire moins que trop. En effet, le beaufort vieillit assez mal. On peut l’affiner jusqu’à 12 mois, mais on n’est jamais certains du résultat. On déclasse 3 % de la production à 7 mois, et 7 % à 9 mois. Sachant qu’on ne le vend qu’au tiers du prix, cela couvre juste les frais de production et d’affinage. La moindre crise de surproduction coûte 10 à 20 centimes par litre au producteur. Ces plans de régulation sont toujours un pari : sera-t-on capable de vendre nos stocks ? Cependant, il faut relativiser : on joue sur les virgules », rassure le président.
Evidemment, tous les éleveurs n’ont pas accueilli la décision de la même façon… « Des dents ont grincé… Durant la période d’incertitude, nos assemblées générales ont été bien meublées par le sujet… Certains producteurs venaient juste d’investir et attendaient la fin des quotas pour produire plus », concède Yvon Bochet.
Le syndicat leur a attribué prioritairement ces nouveaux quotas, avec l’aide de la DDT (direction départemental du territoire). « Il n’y a pas de conflit à ce jour. En revanche, nous demandons aux exploitations de nous annoncer à l’avance leurs projets d’installation ou de modernisation. Nous pouvons mobiliser des références supplémentaires, mais il faut garder à l’esprit que c’est un gâteau à partager. Nous essayons d’avoir une vue d’ensemble, de conserver le nombre d’éleveurs et d’accompagner les installations », explique Yvon Bochet.
La position confortable de l’AOP n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’un long travail d’organisation du marché : 85 % du lait sont transformés en gestion directe, ce qui empêche les conflits entre éleveurs et industriels. Les coopératives restent à taille humaine et sont toutes présidées par des éleveurs. Il n’y a pas de directeur, pas de délégation de signature, pas d’actionnaires extérieurs mais une grande solidarité : « Les acteurs travaillent tous ensemble. On s’informe de nos stocks, de nos productions et de nos prix. C’est comme ça qu’on gère un marché. Les seuls indicateurs qui nous échappent sont les chiffres des grossistes, ils représentent environ 40 % des ventes. Tout cela a été une question de volonté. Nous avons bénéficié du travail de la génération précédente et il nous tient à cœur de transmettre ce bel outil économique à nos jeunes », conclut Yvon Bochet.
Le « prince des gruyères » (c’est ainsi que l’oin surnomme le beaufort) a gagné la bataille !
En savoir plus : http://www.fromage-beaufort.com (site internet de l’AOP beaufort) ; http://www.cooperative-de-beaufort.com/les_points_de_vente-paris_.html (où touver du beaufort authentique à Paris).
Ci-dessous, le beaufort, « prince des guyères ».
Ci-dessous, Yvon Bochet, président du syndicat de défense du beaufort.