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Champs qui rient et champs qui pleurent

L’enquête publiée en décembre sur la base d’une étude menée auprès des agriculteurs français montre que ceux-ci ont une vision assez pessimiste de l’évolution de leur métier et de sa valorisation par la société. Mais elle tend aussi à indiquer qu’il existe un rapprochement ces dernières années entre agriculteurs et consommateurs.

Une étude a été menée par l’institut de sondage Harris Interactive au cours du mois de novembre dernier auprès de plus de 800 agriculteurs, notamment de la région Midi-Pyrénées. L’échantillon est néanmoins censé être « représentatif des agriculteurs français ». Elle a été commandée par le Conseil régional de Midi-Pyrénées. Ses résultats ont été divulgués en perspectives du Salon international de la sécurité et de la qualité alimentaire (SISQA) qui s’est tenu à Toulouse du 12 au 15 décembre 2013. Ils confirment ce que l’on savait déjà, à savoir l’existence d’une vision majoritairement pessimiste chez les agriculteurs à la fois de l’évolution des conditions d’exercice de leur métier qui, à leurs yeux, se dégradent, et de leur image auprès de la société et, dans une moindre mesure, des consommateurs. Un métier plus difficile à exercer dans une société qui ne le valorise pas et face à des consommateurs souvent défiants, ne serait-on pas face à ce que Vincent Labarthe, le vice-président de la région Midi-Pyrénées en charge de l’agriculture et lui-même agriculteur, cité dans une dépêche de l’AFP, a qualifié d’« aigriculteurs » ?

Cette enquête souligne, en effet, que, pour une large majorité des agriculteurs, les conditions d’exercice de leur métier se sont dégradées. 79 % d’entre eux estiment ainsi qu’il est moins facile qu’auparavant d’exercer le métier d’exploitant agricole. Seuls 5 % d’entre eux considèrent, au contraire, que c’est plus facile. Cette tendance avait été déjà notée dans une autre enquête menée en 2013 par Viavoice pour Le Nouvel Observateur. Elle indiquait que, pour 40 % des agriculteurs interrogés, leur situation s’était dégradée par rapport à celle de leurs parents, 28 % d’entre eux affirmant le contraire. C’est la principale information relative à cette enquête qui a été relevée par la presse. Elle a d’ailleurs fait l’objet de réactions de la part du monde agricole, comme peuvent en témoigner les internautes de WikiAgri, qui considèrent que le métier est certes physiquement moins difficile à exercer qu’auparavant, compte tenu de la mécanisation, mais que les normes à respecter et les tâches administratives à accomplir rendent au quotidien ses conditions d’exercice particulièrement délicates. Plus largement, les symptômes de ces difficultés rencontrées par les agriculteurs sont bien connus maintenant. Ce sont tout d’abord des revenus en berne. La Commission des comptes de l’agriculture de la nation (CCAN) montre ainsi une nette dégradation des revenus agricoles de 2013 : -24 % sur un an pour les légumes, -37 % pour les volailles et jusqu’à -57 % pour les céréales. De nombreuses exploitations font donc face à de graves difficultés. Le dernier baromètre de conjoncture agricole de l’IFOP publié en novembre 2013 tend à montrer que le nombre d’exploitations en difficultés est en hausse. Selon ce baromètre, 30 % des agriculteurs interrogés estiment que la situation économique actuelle de leur exploitation est mauvaise, soit le taux le plus élevé depuis 2011, et pour 44 % d’entre eux, que cette situation va se dégrader au cours des deux à trois prochaines années, soit le taux le plus élevé depuis 2010. Et au bout du compte, de nombreux agriculteurs décident d’abandonner leur exploitation. La baisse du nombre d’exploitations apparaît ainsi significative ces dernières années. Pour la seule région Midi-Pyrénées, par exemple, ce nombre a été en baisse de 20 % entre 2000 et 2010.

Autre enseignement de cette enquête, les agriculteurs se sentent mal aimés par la société. Ils sont ainsi 65 % à estimer que leur métier n’apparaît pas suffisamment valorisé dans la société actuelle, alors que 33 % pensent le contraire. Ce sentiment est notamment partagé par les 45 ans et plus (68 %) et les agriculteurs qui sont à la tête d’une exploitation de plus de 20 hectares (68 %). 37 % d’entre eux vont même jusqu’à estimer que leur métier n’est pas du tout valorisé aux yeux de la société actuelle. Les catégories d’agriculteurs qui sont les plus nombreuses à estimer que l’image de leur métier est plutôt valorisée sont les moins de 45 ans (38 %), les viticulteurs et les arboriculteurs (47 %) et ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté dans le métier (44 %).

Au-delà de ces constats somme toute assez peu réjouissants, cette enquête contient tout de même des éléments plus rassurants. 39 % des agriculteurs interrogés estiment ainsi que le lien entre agriculteurs et consommateurs s’est resserré ces dernières années, tandis que 23 % considèrent qu’il s’est distendu et pour 35 % d’entre eux que ce lien ne s’est ni resserré, ni distendu. On peut voir, en effet, dans cette étude que les préoccupations des agriculteurs semblent être très proches de celles des consommateurs. Ainsi, 76 % des agriculteurs sont beaucoup préoccupés par la qualité de leur production (92 % si l’on y rajoute ceux qui sont assez préoccupés), 74 % par le prix de vente de leur production au regard du coût de production (91 % avec les assez préoccupés) et 63 % par le respect de l’environnement (92 % avec les assez préoccupés). Par ailleurs, lorsqu’on leur demande quelle est la meilleure stratégie à adopter pour un agriculteur qui s’installe aujourd’hui, les exploitants répondent en premier lieu la qualité (pour 39 % d’entre eux) et la proximité (29 %), loin devant la mutualisation des moyens entre agriculteurs (17 %) et la productivité (10 %).

On peut d’ailleurs estimer que les agriculteurs sous-estiment sans doute la bonne image qu’ils ont auprès des consommateurs, du moins si l’on se réfère au sondage publié en février 2013 en perspectives du Salon de l’agriculture et pourtant dans le difficile contexte de la crise de la viande de cheval. Le dernier baromètre d’image des agriculteurs de l’IFOP indique ainsi que 77 % des personnes interrogées étaient d’accord avec l’idée que les agriculteurs étaient des personnes en qui les consommateurs pouvaient avoir confiance et pour 69 % d’entre elles, qu’ils étaient respectueux de la santé des Français. Ces traits associés aux agriculteurs restent d’ailleurs assez constants depuis plusieurs années. Les Français étaient cependant plus partagés sur le fait que les agriculteurs respectent l’environnement (54 %, contre 45 %).

Enfin, on peut identifier sur la base de l’enquête Harris Interactive l’existence de deux sources de clivage parmi les agriculteurs.

La première est un clivage entre les optimistes et les pessimistes. Au vu des résultats du sondage, les visions positives ou négatives tendent, en effet, à se renforcer mutuellement. Ainsi, les optimistes, largement moins nombreux que les pessimistes, qui estiment par exemple que les liens entre agriculteurs et consommateurs se sont améliorés considèrent aussi de façon majoritaire que leur métier est valorisé par la société. Du côté des pessimistes, on peut voir que, parmi ceux qui estiment que les conditions d’exercice de leur métier se sont dégradées, une très large majorité pense aussi que le métier est dévalorisé dans la société et que le lien avec les consommateurs s’est distendu. Ils ont pour caractéristique commune d’avoir souvent plus de 45 ans et d’avoir repris l’exploitation de leurs parents.

Un autre clivage est également perceptible. Il oppose semble-t-il deux visions de l’agriculture. Les agriculteurs paraissent ainsi divisés entre ceux qui, d’une part, privilégient qualité et proximité, valeurs qui paraissent être louées par les consommateurs, et, d’autre part, ceux qui donnent la priorité à la productivité.

La première vision semble être davantage soutenue par les jeunes agriculteurs et ceux qui ont une exploitation de moins de 20 hectares, tandis que la seconde est plutôt préconisée par les agriculteurs qui ont de grosses exploitations et pas mal d’ancienneté.

En savoir plus : www.harrisinteractive.fr/news/2013/Results_HIFR_CRMP_03122013.pdf (étude Harris Interactive de 2013 menée auprès des agriculteurs français), www.institut-viavoice.com/docs/Les-palmares-du-bonheur-professionnel_Viavoice-pour-Le-Nouvel-Observateur.pdf (étude Viavoice de 2013), www.ifop.com/media/poll/2170-1-study_file.pdf (baromètre IFOP de 2013 sur l’image des agriculteurs), https://wikiagri.fr/topics/le-metier-dagriculteur-est-il-plus-dur-a-exercer-quavant-/113 (forum avec les internautes sur le site WikiAgri suite à la parution du sondage Harris Interactive), http://agreste.agriculture.gouv.fr/enquetes/comptes-de-l-agriculture-revenu/ (rapports de la Commission des comptes de l’agriculture de la nation).

1 Commentaire(s)

  1. encore des sondages qui ne font que diviser les Français
    oui on est pessimistes
    oui on est des ruraux
    et alors on est pas sdf

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