En allant au-delà des règles européennes dans l’interdiction de certains insecticides ou phytosanitaires, le gouvernement français peine à obtenir l’adhésion de ceux qu’il prétend défendre, les agriculteurs.
Vouloir une agriculture qui tende vers le « zéro pesticide », c’est une option respectable (ce qui ne l’empêche pas d’être discutable bien sûr, mais en l’occurrence ce n’est pas l’objet de cet édito), car elle prend en compte une demande sociétale réelle. Mais encore faut-il savoir mener une politique qui aille dans ce sens en tenant compte un minimum de l’avis des professionnels. Là où le gouvernement s’enorgueillit de dialogue avec les partenaires sociaux dans d’autres domaines, il oublie visiblement la consultation minimale avec les professionnels de l’agriculture dans ses prises de décisions brutales. Un coup on interdit une molécule, un coup on ne renouvelle pas la dérogation sur un produit (mais pas sur les autres, quid des produits à destination du bio dont les dérogations sont reconduites chaque année ?), tout cela sans aucune cohérence ni vision à terme, et sans prendre en compte les problèmes immédiats ni peser le pour et le contre des décisions. Cette gestion à la petite semaine contraste furieusement avec la rigueur réclamée à la profession agricole.
L’exemple de la cerise montre un énorme « n’importe quoi » dans la concrétisation de cette intention (aller vers le zéro pesticide), qu’on la partage ou non (je connais des agriculteurs qui la décrient, d’autres qui l’encouragent, cet édito, je le rappelle, n’entre pas dans ce débat aujourd’hui). Car la décision est prise pile une année à fort risque d’attaque par une mouche asiatique au nom de moto, le drosophile Suzukii. Cette décision, consistant à interdire immédiatement le diméthoate, aurait pu être prise il y a 6 mois, et aurait ainsi permis aux producteurs d’avoir le temps de trouver une solution alternative, la vidéo de La Dépêche que nous reprenons ci-dessous en montrant un, qui parle de mise en place de filets aux mailles serrées pour empêcher le moucheron de passer.
Tarn-et-Garonne : vers la fin du temps des… par ladepeche
J’ai discuté avec un autre producteur, Jérôme Mazely, dans les Bouches-du-Rhône. Il a des vergers de plusieurs fruits, dont 60 ares de cerisiers. Récemment, il avait activé la sonnette d’alarme sur WikiAgri quant au risque de voir l’Europe accepter d’importer les fruits de Turquie en échange de la gestion des migrants, un sujet qui reste toujours aujourd’hui d’une brûlante actualité. Pour notre sujet du jour, il explique les tenants et les aboutissants : « Entre la floraison et la récolte il y a environ 21 jours. Avant 2008, on avait comme ravageur la mouche méditerranéenne, qui représente 3 générations par an. Elle a attaqué très peu les précoces type burlat, et à peine les tardives vers mi juin. Dès lors, tu faisais un traitement, voire rien, et tu étais tranquille. Mais en 2008, et surtout en 2013, le Suzukii est arrivé, par le trafic maritime en provenance d’Asie. Or, le Suzukii, c’est 14 a15 générations par an, et il s’attaque à tous les fruits rouges, dès la fin de la floraison. Les centres techniques sont pris au dépourvu car, en 48 heures, tu n’as plus de récolte. Il a fallu trouver des produits efficaces pour lutter contre ce fléau, et le diméthoate, un ovicide, s’est révélé une bonne entrée…«
Il explique aussi que la fin du diméthoate ne signifie en rien la fin des traitements phytosanitaires : « On me propose d’autres traitements, à base d’autres matières actives. Mon problème, je ne connais pas leur efficacité face au Suzukii…«
Il existe donc d’autres produits, à base d’autres molécules, pour combattre le Suzukii. Et donc les filets cités. Malheureusement, ces derniers sont très chers (« on peut facilement avoir une facture de 30 000 €« , témoigne Jérôme Mazely), ce qui n’en fait pas la solution idéale non plus.
Quant aux autres produits, « ils sont plus légers que le diméthoate, reprend encore Jérôme Mazely, et peuvent être utilisés en complément de celui-ci, après un premier passage au diméthoate. Mais seuls, ils ne sont pas suffisamment efficaces face au Suzukii. Et quand on sait qu’on peut perdre toute sa production en 48 heures… » Il cite ainsi l’exirel, calypso, l’imidan, success… « Après avoir nettoyé avec le diméthoate, on pouvait alléger la charge avec l’un d’eux. Aujourd’hui, on n’est sûr de rien, on tâtonne, on teste… En matière d’utilisation d’insecticides, il faut une stratégie. Nous avions tous le diméthoate en base de cette stratégie, et les autres produits à côté… Et en plus ces autres produits sont plus chers que le diméthoate. Nos coûts de production augmentent, sans que l’on soit assurés du résultat. Parallèlement, sans lien direct mais cela fait partie de nos préoccupations, les prix baissent. Alors, faites le calcul, coûts de production en hausse, incertitude totale sur les récoltes, prix en baisse et non négociables (il existe toujours moins cher ailleurs, sans les mêmes contraintes)… Où va-t-on ?«
L’un des arguments avancés par le ministre de l’Agriculture pour interdire le diméthoate en France consiste à dire qu’il s’agit en l’occurrence d’être cohérents avec nos voisins, l’Espagne et l’Italie, qui eux aussi interdisent ce produit… Ce que ne dit pas le ministère, ce sont les motivations de ces pays. Sont-elles d’ordre sanitaire ou environnemental ? Que nenni ! En fait, ce sont ces pays qui font comme la France, uniquement pour pouvoir continuer à exporter leurs produits chez nous. Leur démarche est purement commerciale. Qui plus est, à y regarder de plus près, il n’y a pas d’interdiction à proprement parler du diméthoate ni en Espagne ni en Italie, mais l’autorisation du produit n’a pas encore été prolongée : rien ne dit que cette prolongation n’interviendra pas dès l’apparition du Suzukii.
René Reynard, producteur, est également président de La Tapy, station d’expérimentation dans le Vaucluse. A ce titre, il est l’un des porte-paroles de la profession. « Le problème, identifie-t-il, c’est que l’on interdit un produit sans chercher à savoir s’il existe l’équivalent sur le marché. Or, en l’occurrence, on n’en a pas. Le diméthoate, on l’interdit en France alors que l’Europe ne le demande pas, en l’ayant étudié tout de même, et alors de grands pays que l’on peut appelés civilisés tels le Canada l’ont réétudié pas plus tard qu’en décembre 2015 et l’ont reconduit en ne lui trouvant aucun vice sanitaire ou environnemental (Ndlr : compte rendu de la décision canadienne). On a ici affaire à une décision idéologique, qui ne tient pas compte des réalités.«
Dans son analyse, René Reynard va beaucoup plus loin, avec un sens de la formule qui lui est propre : « Aujourd’hui, 80 % des produits bio consommés en France sont importés. Bien sûr, ils sont cultivés avec des phytosanitaires qui sont autorisés au niveau international, et pas forcément chez nous. Ça, ça ne gêne personne. Si on bloque aux frontières les cerises cultivées avec diméthoate, comme le suggère le ministre, alors il devra aussi bloquer tout ce qu’on importe qui est cultivé avec des produits interdits chez nous. Il va affamer notre population en quelques semaines…«
N’oublions pas la Turquie, évoquée très rapidement plus haut. Il s’agit tout de même d’une drôle d’épée de Damoclès, pour les producteurs de cerises, mais aussi de nombreuses autres productions citées dans un article précédent. Rappel en deux mots : les Turcs ont perdu leur marché russe pour nombre de leurs productions pour lesquelles ils figurent dans les premiers rangs mondiaux, et la crainte serait donc de voir ces fruits débarquer en Europe, en échange de leur rôle dans la gestion des flux des migrants…
Nous apprenons en terminant cet article qu’un recours a été déposé auprès du Conseil d’Etat contre la décision gouvernementale d’interdire le diméthoate. Ce recours vient de producteurs, fédérations et syndicats nationaux des fruits et légumes concernés l’arrêt du diméthoate : outre la cerise (rouge et blanche), l’olive, l’asperge, l’endive, les fruits rouges… Ce recours conteste le fait que l’Anses (l’agence de sécurité sanitaire qui a émis l’avis défavorable au diméthoate suivi par le ministère de l’Agriculture) ait pu émettre un doute particulier sur un produit qui n’en présente pas plus que de nombreux autres.
Le twitt ci-dessous sous-entend qu’on ne peut plus combattre le mildiou sur les oignons frais, faute de produits homologués aujourd’hui. Je n’ai personnellement pas vérifié cette information, si quelqu’un au courant peut agrémenter cet article de commentaires sur le sujet, n’hésitez pas…
Oignon frais : faute de protection, le mildiou gagne le combat entrainant de lourdes pertes chez les maraîchers… pic.twitter.com/dFmOFvfYf6
— Pôle maraîcher IDF (@Polemaraicher) 14 avril 2016
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/migrants-turquie-ne-nous-faisons-pas-avoir-deux-fois-avec-lembargo-russe-!/8072 (tribune signée Jérôme Mazely sur les gros risques de déséquilibres de marchés sur les fruits en Europe dans l’hypothèse d’un accord avec la Turquie) ; http://www.expe-fruits-paca.com (site de la station d’expérimentation de La Tapy).
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Le site contrepoints.org cite notre article : http://www.contrepoints.org/2016/04/25/248981-cerises-la-crise-est-geree-par-stephane-le-foll