Un faisceau d’indices laisse penser que la prochaine production de blé engrangée à partir de l’été prochain s’inscrira à peine dans la moyenne des années précédentes. Mais les opérateurs ne perçoivent pas encore le phénomène car la campagne 2022-2023 s’achève dans l’abondance.
« D’ici la fin du mois de juin, près de 83 millions de tonnes (Mt) de blé doivent encore être exportées », analyse Nathan Cordier, expert des marchés agricoles d’Agritel lors du Paris Grain Conférence le 26 janvier dernier.
Les sept principaux pays exportateurs de blé clôtureront leur campagne avec 64 Mt de grains en stocks, en hausse de 4-5 Mt sur un an. Pour autant, seuls 43 Mt seraient réellement mobilisables à l’export puisque la Russie en détiendra 21 Mt environ. Or sa stratégie d’exportation est souvent imprévisible.
Toutefois, les niveaux atteints par les prix des grains, équivalents à ceux d’avant le conflit en Ukraine, montrent que les marchés céréaliers ont retrouvé un certain équilibre. C’est le retour des fondamentaux.
La faible de récolte de blé en Argentine est quasiment passée inaperçue et l’Ukraine parvient dorénavant à exporter jusqu’à 5 Mt de grains par mois (céréales et oléo-protéagineux confondus).
Mais cet hiver, l’état des cultures du blé aux Etats-Unis, et au Kansas en particulier, est très mauvais. Il ne laisse aucun espoir d’amélioration dans les semaines à venir. Aussi, l’Usda, l’institut américain de statistiques agricoles, anticipe une production de blé de 49,3 Mt.
Selon Mark Jekanowski de l’institut, 14,8 millions d’hectares (Mha) de blé auraient été emblavés, soit 1,5 Mha million de plus que l’an passé mais combien d’hectares seront récoltés l’été prochain? 11 Mha ? 12 Mha ? L’an passé, seuls 9,2 Ma Mha avaient été moissonnés sur les 13,2 Mha emblavés !
Par ailleurs, l’Ukraine n’est pas en mesure de produire plus 15 Mt de blé sur les 4 Mha emblavés (7,4 Mha en 2021). En récoltant jusqu’à 10 Mt de blé en moins, la priorité du pays sera d’abord de produire pour approvisionner son marché intérieur.
« Faute de moyens financiers et de débouchés rémunérateurs, les agriculteurs ukrainiens pourraient renoncer à ne cultiver qu’une partie de leurs terres et à ne récolter que 53 Mt de céréales et d’oléo-protéagineux », annonce Nicolay Gorbachev, directeur de Soufflet Négoce en Ukraine.
Or en 2021, l’Ukraine avait engrangé 106 Mt et en avait exporté près de 54 Mt.
En Amérique du sud, le retour de l’El Nino augure une meilleure récolte de blé en Argentine mais par effet de balancier, une production en net repli en Australie (26 Mt ; -10 Mt sur un an), surtout si les agriculteurs renoncent à cultiver une partie de leurs terres compte tenu du prix des intrants.
La Russie communique être en mesure de produire 85 Mt de blé l’été prochain et l’Union européenne est partie pour produire 129 Mt de blé tendre et 7 Mt de bé dur.
Mises bout à bout, les prévisions de production de blé des sept principaux pays exportateurs au monde de grains permettent de penser que ces derniers sont partis pour produire 350 Mt de blé cette année.
En 20 ans, les exportations de blé ont doublé, passant de 100 Mt par an à près de 200 Mt. Les prix resteront relativement élevés, comparés à leurs niveaux d’avant la crise Covid, car les pays exportateurs puisent dans leurs stocks, au-delà du raisonnable, une partie des quantités de blé qu’ils commercialisent.
Le prolongement du corridor du 19 mars prochain est l’épée Damoclès des marchés céréaliers. Les prochaines discussions entre la Russie et l’Ukraine, avec comme intermédiaire la Turquie en campagne électorale, seront compliquées. En attendant, son fonctionnement ne satisfait pas du tout Nicolay Gorbachev.
Selon lui, la Russie s’évertue à inspecter chaque navire marchant qui l’emprunte, ce qui ralentit considérablement le trafic maritime. Or en agissant ainsi, elle menace l’approvisionnement et la sécurité alimentaires des pays importateurs.
Par ailleurs, comme la Russie disposera de plus de 21 Mt de blé en stocks à la fin de la campagne, le pays a les moyens de brandir l’arme alimentaire si de nouvelles tensions commerciales survenaient.
Mais ces mêmes stocks donnent aussi au pays les moyens de faire baisser les prix des grains à des niveaux inférieurs aux coûts de production dans denombreux pays européens, dont la France.
Légende photo: A Odessa au mois d’août 2021, avitaillement d’un cargo maritime le long d’une ligne automatique dans le port maritime.