Sous l’appellation biosolutions, sont regroupés les biostimulants et les produits de biocontrôle, des solutions naturelles pour aider les cultures à faire face aux stress biotiques et abiotiques et, ainsi, à exprimer au mieux leur potentiel génétique. Des conditions climatiques de plus en plus compliquées augmentent les stress abiotiques, hydrique et thermique, auxquels sont confrontées les cultures. En parallèle, la réduction du panel de matières actives complique la lutte contre les ravageurs et les maladies.
Les biosolutions, alliant des produits naturels et les technologies les plus pointues, apportent de nouvelles réponses et accompagnent les agriculteurs dans leur ambition de sécuriser la quantité et la qualité de leurs récoltes tout en diminuant le recours aux intrants issus de la pétrochimie.
Partons à la découverte de ces nouveaux outils pour écrire l’agriculture de demain et conforter le dynamisme de l’agriculture française.
Biosolutions en grandes cultures : toutes les solutions alternatives
Si les biosolutions répondent aux attentes techniques des agriculteurs de trouver des alternatives face au retrait de nombreuses matières actives et des nouveaux moyens de gérer les stress auxquels sont confrontées leurs cultures, elles représentent également une réponse aux attentes sociétales. En effet, les consommateurs sont de plus en plus attentifs aux conditions de production de leurs aliments. Même si leurs intentions de consommer local et de privilégier des modes de production économes en intrants de synthèse ont été freinées par l’inflation, les Français attendent de leur agriculture de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires. En réponse, s’est développée une troisième voie, entre les modes de production conventionnels et l’agriculture biologique, plus respectueuse de l’environnement, avec par exemple, des filières bas intrants ou à haute valeur environnementale, tout en mettant un niveau de rendement qui permette des prix accessibles à tous. Pour l’instant, les biosolutions ne sont pas exigées dans les cahiers des charges des démarches qualité. Mais ça pourrait arriver car elles s’inscrivent dans la logique de progrès et l’obligation de résultats inscrites dans différents cahiers des charges.
Même sans s’engager dans des démarches différenciantes, beaucoup d’agriculteurs utilisent des biosolutions par volonté de trouver des alternatives aux produits phytosanitaires, par envie de participer à la montée en gamme de l’agriculture vers plus de durabilité, mais aussi par motivation d’explorer une autre façon de cultiver, plus dans la prévention et dans l’agronomie.
Les biostimulants n’ont pas vocation à remplacer ni les produits phytosanitaires, ni les engrais. Ce sont des outils supplémentaires pour donner aux cultures les capacités de valoriser au mieux les intrants et de faire face aux aléas climatiques.
Les biostimulants stimulent les processus naturels de défenses de la plante vis-à-vis des stress abiotiques. Ces stress sont dûs à des phénomènes physiques ou physico-chimiques, comme la chaleur ou le manque d’eau, ou à des carences (nutritives, hydriques).
Ils favorisent le développement de la culture sans apport d’éléments nutritifs en quantité significative, par l’amélioration du métabolisme et des capacités d’absorption.
Le règlement européen 2019/1009, entrée en application en juillet 2022, leur a donné une définition officielle. Les biostimulants des végétaux sont des produits qui stimulent les processus de nutrition des végétaux indépendamment des éléments nutritifs qu’ils contiennent, dans le seul but d’améliorer une ou plusieurs des caractéristiques suivantes des végétaux ou de leur rhizosphère : l’efficacité d’utilisation des éléments nutritifs ; la tolérance au stress abiotique ; les caractéristiques qualitatives ; la disponibilité des éléments nutritifs confinés dans le sol et la rhizosphère.
Ce nouveau règlement donne un cadre aux biostimulants en les intégrant dans la famille des MFSC (Matières Fertilisantes et Supports de Culture). Il n’y a plus de risques de confusion avec les produits de la protection des plantes.
Le règlement européen 2019/1009 a également harmonisé les règles de mise en marché des fertilisants et biostimulants. Désormais, une seule homologation sera valable dans tous les pays européens. Quel que soit leur pays, tous les agriculteurs européens auront accès aux mêmes innovations. Néanmoins, les procédures d’homologation propres à chaque pays restent toujours en vigueur, avec une seule validité nationale.
Les biostimulants ont différentes origines :
Les biostimulants sont commercialisés sous différentes formulations : liquides, solubles, granulés, micro-granulés, traitement de semences. Certains sont utilisables en agriculture biologique.
Le champ d’actions des biostimulants est vaste. Il s’étend du traitement des semences, afin de favoriser une levée vigoureuse, jusqu’à la préservation de la qualité des récoltes. Certains biostimulants améliorent l’absorption par la plante des nutriments présents dans l’environnement ou apportés par les engrais. D’autres favorisent la biodisponibilité des composés nutritifs du sol. Ils peuvent améliorer l’activité microbienne ou des propriétés physico-chimiques des sols permettant une meilleure dégradabilité des composés organiques. Les biostimulants peuvent également agir sur la qualité technique, nutritionnelle ou organoleptique, de la plante ou de la récolte, en soutenant les métabolismes secondaires.
Les biostimulants peuvent être donc être utilisés :
Selon les travaux du 4e congrès mondial des biostimulants, le marché mondial atteindra les 3 milliards de dollars en 2021. L’Europe est, et devrait, rester le 1er marché avec la France dans le top 3 des principaux utilisateurs. Plus d’un tiers des agriculteurs français utilisent des biostimulants. Le marché français connaît une croissance annuelle autour des 10%. Après un début en cultures spécialisées, les biostimulants sont désormais bien implantés en grandes cultures.
Le biocontrôle aide les plantes à se défendre face à des stress biotiques, ceux causés par des organismes vivants, comme des adventices, des ravageurs ou des maladies.
Les produits de biocontrôle sont définis à l’article L. 253-6 du code rural et de la pêche maritime comme des agents et des produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures. On parle souvent du biocontrôle comme d’un ensemble de méthodes de protection des végétaux s’appuyant sur des mécanismes naturels et interactions qui régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel. Le biocontrôle repose sur la gestion des équilibres des populations d’agresseurs, plutôt que sur leur éradication.
Quatre familles de produits :
Les produits de biocontrôle sont des produits phytopharmaceutiques autorisés à l’issue d’une évaluation complète des risques pour la santé humaine, la santé animale et l’environnement, et conformes aux exigences européennes. Pour favoriser leur développement, les produits de biocontrôle bénéficient de procédures accélérées et d’évaluation et d’instruction des demandes d’autorisations de mise sur le marché (AMM), et de taxes réduites dans le cadre de ces procédures.
Les produits phytopharmaceutiques de biocontrôle figurant sur une liste établie par le ministre chargé de l’agriculture bénéficient d’allègements réglementaires supplémentaires. À ce titre, ils sont exemptés de l’interdiction de publicité commerciale et de l’obligation d’agrément phytosanitaire pour l’application. Ils ne sont pas soumis à l’obligation de réduction des usages dans le cadre de la mise en place des certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP).
D’après la branche française de l’International Biocontrol Manufactures Association, le chiffre d’affaires du biocontrôle a atteint 274 millions d’euros en 2021. Soit une hausse de 16% par rapport à 2020. « Les solutions de biocontrôle représentent, en 2021, 13% du marché de la protection des plantes » se félicite IBMA France, qui se fixe l’objectif de passer le cap des 30% d’ici 2030. Cet objectif est déjà dépassé pour les insecticides, pour lesquels les solutions de biocontrôle représentent déjà 38% du marché. Le cap est également atteint pour les molluscicides, catégorie où les solutions de biocontrôle représentent 29% du marché. En revanche seulement 3% des herbicides sont des solutions de biocontrôle. Il y a encore peu de moyens de contrôle des adventives en biocontrôle. Il existe quelques pistes pour le désherbage total, par exemple avec l’acide pélargonique, mais la mise au point de solutions efficaces pour le désherbage sélectif semble plus compliquée.
D’après une enquête réalisée fin 2021 par IBMA France, 69% des agriculteurs disent utiliser des solutions de biocontrôle, toutes cultures et tous modes de productions confondus. Un pourcentage en constante hausse.
Une levée rapide et homogène est un gage de bon démarrage pour les cultures, qui sauront ainsi mieux résister aux attaques de ravageurs de début de cycle. Un biostimulant apporté sous forme de traitement de semence, couplé avec engrais starter aide à booster le démarrage des cultures et à obtenir rapidement un système racinaire bien développé, ce qui est la clé pour que les plantes puissent absorber plus d’éléments nutritifs. Dans le sol, tous les éléments nutritifs ne sont pas assimilables par les plantes. Certains biostimulants activent des mécanismes naturels facilitant cette assimilation.
En début de cycle, le désherbage est un passage incontournable pour que les adventices ne concurrencent pas la culture. Souvent, les molécules herbicides entraînent des risques de phytotoxicité sur les cultures. Le mélange de molécules herbicides, rendu nécessaire par les difficultés de désherbage, semble augmenter le stress oxydatif. L’apport d’acides aminées aide les plantes à supporter ce stress, ce qui préserve leur potentiel de production de rendement. Par exemple, on peut apporter de l’acide glutamique qui est un précurseur de la synthèse des autres acides aminés.
Les conditions climatiques ont un grand impact sur la croissance des plantes. En été, quand le thermomètre grimpe, les cultures sont soumises à d’importants stress thermiques. Dans toutes les productions, ce stress a un impact sur le rendement et la qualité des produits. L’impact est plus ou moins marqué selon le stade auquel les plantes y sont confrontées. Sur les arbres fruitiers, un échaudage ou sunburn, dégradera la qualité des fruits en causant des taches brunes. Ces coups de soleil peuvent faire déclasser jusqu’à 15% d’une récolte de pommes. Face à l’échaudage, plusieurs facteurs de résistance interviennent. Certaines variétés sont moins sensibles que d’autres. L’humidité relative, le vent ou la présence de feuilles aident à réduire l’impact de fortes températures. Une certaine protection est aussi assurée par la qualité de la cuticule. Des biostimulants peuvent venir en renfort en protégeant le fruit par une barrière physique. Par exemple, sur les fruits qui seront lavés en station, comme les pommes, une fine couche de talc alimentaire aide à réduire la température.
Autre aléa climatique, le manque d’eau pénalise aussi grandement les rendements. Le stress hydrique s’installe lorsque la quantité d’eau transpirée par les plantes est supérieure à celle qu’elles peuvent capter par leurs racines. Cela peut arriver en période de froid ou en cas de forte salinité, mais c’est surtout le cas en été quand se combinent des températures élevées et un sol sec. Le stress hydrique provoque alors une diminution de la photosynthèse et une perte de volume des cellules. Au lieu d’un port dressé, la plante va présenter un port affaissé. Ce stress pourra conduire à une perte des feuilles par desséchement.
Pour limiter l’impact de ce stress hydrique, les biostimulants apportent des réponses au travers de différentes stratégies. Il est possible de limiter les pertes en eau par un renforcement des parois cellulaires par un apport de silice, qui constitue comme un double vitrage. Ainsi, les cellules préservent leur fonctionnement.
Pour limiter les pertes d’eau, on peut jouer avec les propriétés osmoprotectrices de certaines molécules comme la glycine bétaïne. Son accumulation dans le cytoplasme aide à maintenir la turgescence des cellules et préserve donc les plantes du desséchement.
D’autres biostimulants apportent des phytostérols. Ces molécules génèrent un message qui simule un stress hydrique, la plante réagit en développant ses racines et en fermant partiellement ses stomates, ce qui réduira l’évapotranspiration. Pour faire face à ce stress, ses racines iront chercher plus profondément de l’eau.
Pour le contrôle des voraces limaces, il n’existe que deux matières actives : le métaldéhyde et le phosphate ferrique.
Cette dernière solution de biocontrôle est présente sur le marché depuis 2010. D’origine minérale, le phosphate ferrique est naturellement présent dans les sols. Il perturbe le métabolisme du calcium et entraîne le blocage du système digestif. Si la mort des gastéropodes est moins fulgurante qu’avec le métaldéhyde, le phosphate ferrique permet une maîtrise tout aussi efficace des populations. Cependant, le phosphate ferrique possède l’avantage d’être homologué en Agriculture Biologique et de ne perturber que les gastéropodes.
Face aux maladies fongiques, le soufre est une solution de biocontrôle qui apporte une complémentarité intéressante aux fongicides de synthèse.
Le soufre bloque des processus physiologiques des champignons. Il agit en préventif en inhibant la germination des spores. En curatif, il limite le développement fongique.
Associé à un fongicide à dose réduite, le soufre s’avère efficace contre l’oïdium et la septoriose. Grâce au soufre, la dose du 1er fongicide peut être réduit de 50%, ce qui concourt à réduire l’IFT. Si la pression des maladies est faible, le soufre seul apporte une protection suffisante.
Denis Domagné produit sans pesticides les céréales qui nourriront ses porcs.
«Pour la marque « Bien Elevés » de ma coopérative, la Cooperl, je produis depuis 7 ans des porcs sans antibiotiques, ça me semblait logique de poursuivre cette logique sur mes cultures en réduisant les produits phytosanitaires au profit du désherbage mécanique et de biosolutions », partage Denis Domagné installé avec sa femme et son fils à Luitré-Dompierre (35) sur un élevage de 600 truies NE et 150 ha.
Sur cette surface, Denis Domagné cultive du maïs, directement utilisé pour nourrir ses porcs. Le blé, le colza, l’orge et le triticale sont vendus à sa coopérative, à qui l’éleveur rachète des aliments complémentaires pour l’alimentation de son cheptel. Après un premier essai sur 6,5 ha, Denis Domagné a conduit en 2022 17 ha de blé sans herbicides, ni fongicides ou insecticides. Ces cultures sans pesticides s’inscrivent dans le cahier des charges « Envi » et serviront à sa coopérative pour fabriquer des aliments du bétail, destinés à la production de porcs sous la charte « Bien élevés ».
Pour réduire son utilisation de produits phytosanitaires, Denis Domagné a revu ses itinéraires techniques. En partenariat avec son ETA qui disposait de différents matériels, l’agriculteur gère le désherbage de façon mécanique sur son maïs et ses céréales. « La réussite dépend pour beaucoup des conditions climatiques, reconnait Denis Domagné. Le désherbage mécanique est même efficace sur des adventices difficiles comme le ray grass et le vulpin dans les céréales ». L’exploitant apporte des biostimulants en début de culture « pour un bon départ ». Quant aux maladies et ravageurs, il joue sur plusieurs tableaux : la rotation, le mélange de 3 variétés en céréales, des solutions de biocontrôle par exemple pour les fongicides. « Remplacer les fongicides et les insecticides est gérable avec le biocontrôle et en travaillant sur les rotations. Le point sensible reste le désherbage », remarque-t-il. Pour cette première année, les résultats sont encourageants. «En 2021, sur mes parcelles de blé en cahier des charges Envi, le rendement moyen a été 73 qx. En conventionnel, il est 90 qx mais au final, j’ai la même marge. Les rendements peuvent baisser de 10 à 20 quintaux, la prime et les économies d’intrants compensent cette perte, analyse Denis Domagné. En 2021, ma marge a été maintenue ». Le changement de pratiques se répercute directement sur l’IFT qui était de 1,65 chez Denis Domagné alors que la moyenne régionale est à 3. « Je me suis engagé dans un processus de certification environnementale. Mon exploitation est certifiée au niveau 2 et je souhaite obtenir prochainement la certification HVE ».
En 2021, les adhérents de la Cooperl ont cultivé 800 ha selon le cahier des charges Envi, avec du blé et de l’orge pour 60% des surfaces, du maïs pour 40%. En 2022, les protéagineux sont entrés en piste et la Cooperl vise les 1 000 ha. « Notre objectif est d’atteindre les 10 000 ha en 2030 pour avoir suffisamment de céréales sans pesticides pour nourrir nos porcs « agriculture alternative », encourage Bertrand Convers, chargé des relations extérieures à la Cooperl. Pour sécuriser ce changement de pratique, la Cooperl verse une prime de 40€/tonne pour rendre supportable la prise de risque du zéro phyto.
Le marché des biosolutions est en plein développement. D’abord réservées aux cultures spécialisées, parce que la valeur ajoutée sécurisait plus l’investissement, les biosolutions ont désormais trouvé leur place en grandes cultures.
Après une première génération de biosolutions basée sur une seule technologie, une deuxième est en train de voir le jour, associant différentes approches pour jouer sur leur synergie d’action et augmenter la résilience des cultures face aux différents aléas, notamment climatiques.
Cette nouvelle génération de biostimulants multi-technologies s’inscrit dans une démarche globale de l’agriculture qui combine différentes approches, biosolutions génétique, nutrition, pour renforcer la résistance des plantes aux différents stress, et ainsi réduire le besoin d’une protection par des produits phytosanitaires et arriver à produire plus avec moins, moins de phyto, moins d’engrais, moins d’irrigation.
Cécile Julien