Moissonneuse dans les champs de blé en France – Thierry Ryo
Comment prévoir son assolement à un an en période d’inflation des coûts de production, de flambée des prix des matières premières agricoles, alors que se profile une période de sécheresse.
Selon FDSEA Conseil de la Marne et AS Entreprises, le coût de revient de la tonne de blé s’établissait dans la Marne à 157 € en 2021. En se référant aux prix des intrants observés durant l’automne et le début de l’hiver passé, ce coût passe à 204 € sur la base d’un rendement potentiel de 9t/ha. Mais il est plus élevé si les intrants ont été achetés plus tard (239 €/t aux prix des intrants du 24 février 2022). En fait, les coûts de revient varieront fortement d’une exploitation à l’autre en fonction des dates auxquels ils ont été achetés.
Nous pourrions nous consoler en se disant que le prix de la tonne de blé a allègrement franchi le seuil de 400 € courant mai, ce qui laisse, a priori, une marge.
Or, ces dernières semaines, les conditions climatiques pénalisent le potentiel de rendement de l’ensemble des cultures céréalières alors que la volatilité des cours des céréales est très marquée. Si le rendement est de 7,5t/ha et non pas de 9t/ha, le coût de production de la tonne passe alors à 245 €. Et pour une production moyenne de 6t/ha, à 306 €.
Autrement dit, si le prix FOB de la tonne de blé est sur le marché de Rouen inférieur à 330 €, le céréalier essuiera des pertes. Or ce prix de 330 € n’a été atteint qu’au mois de mars après le début des hostilités le 24 février dernier entre l’Ukraine et la Russie. Depuis la récolte 2021, le prix de la tonne de blé oscillait autour 250 € la tonne sans franchir le seuil de 300 €. Le moindre signe de détente sur les marchés des céréales conduira à un repli prononcé des cours du blé.
Assolement 2022-2023
Mais qu’en sera-t-il pour le prochain assolement 2022-2023. Outre le respect des règles agronomiques de bon sens qu’il sera nécessaire de respecter, il doit être raisonné en estimant des coûts de production en fonction des prix d’achats des approvisionnements sans pour autant avoir la certitude que le prix de vente de blé compensera là encore ces coûts de production.
En se référant aux prix des intrants en vigueur le 24 février dernier, date d’ouverture des hostilités entre la Russie et l’Ukraine, le prix de la tonne de blé est d’ores et déjà estimé à 239 € (ou 2 154 €/ha). Entre les exploitations les plus performantes et les moins performantes, il oscillerait entre 216 €/t (1 882 €/ha) et 272 €/t (2496 €/ha). Ces révisions sont toujours établies sur la base de 9t/ha. Mais il convient d’analyser ses coûts de revient en fonction de son potentiel de rendement agronomique et de sa région.
Autrement dit, le retour du prix de la tonne de blé sous le seuil de 265 € sur le marché de Rouen ne permettra pas à la majorité des exploitants de couvrir leurs charges. Or ce prix n’a été observé qu’à partir du mois d’octobre 2021.
Sans l’entrée en guerre de l’Ukraine, le prix de 250 €/t – 260 €/t aurait probablement été le prix moyen de campagne.
À 7,5 €/t, le coût de production oscillerait alors entre 251 €/t et 333 €/t, la moyenne s’établissant à 287 €/t.
Aussi, il n’est pas difficile d’imaginer qu’investir jusqu’à 2500 €/ha (287 €/t) d’intrants dans la perspective de ne récolter que 7,5 €/t, reviendrait à produire chaque tonne de blé 333 €, et à devoir vendre sa récolte à au moins 360 €/t.
Jusqu’à 570 €/ha de chiffre d’affaires
Et avec un rendement de 6 t/ha, le coût de production par hectare passerait à 360 €/t !
L’ensemble des cultures est affecté par des hausses concomitantes des prix des intrants et des produits qui modifient complètement les seuils de rentabilité des cultures. À l’échelle d’une exploitation « modèle » de 104 hectares et de son assolement très diversifié (céréales à paille, maïs, betteraves, colza, pois, pommes de terre), les coûts de fumure et de GNR ont presque triplé.
Pour la récolte de 2022, les charges d’engrais et de GNR dépendent fortement de la date à laquelle les intrants ont été achetés. Facturés au mois d’août ou septembre dernier, les céréaliers à la tête de ces 104 hectares auraient déboursé 40 000 €. Deux mois plus tard, il aurait payé 59 700 €. Mais si les prix des engrais observés en mars dernier sont encore d’actualité, lorsque le céréalier devra acheter ses intrants pour financer l’automne prochain sa campagne 2022-2023, ce dernier devra débourser 88 500 €.
Rapporté à l’hectare, le coût des fumures et du GNR passera de 279 € (récolte 2021) à 849 € (récolte 2023). Autrement dit, il aura triplé en moins de deux campagnes.
Pour les seules pommes de terre, le coût engrais + GNR serait de 1380 €/ha (471 €/ha en 2021) et celui des betteraves sucrières de 970 €.
Dans l’hypothèse où le coût des intrants se maintient ainsi pour 2023, cette exploitation type devra générer 570 €/ha de chiffre d’affaires de plus que 2021 pour dégager un résultat similaire à 2021, à condition que les autres charges de l’exploitation ne subissent pas d’augmentations similaires !
Auteur : Frédéric Hénin