Un agriculteur suisse a dû repenser toute une parcelle, prévue en prairie intensive avec cinq récoltes d’herbe par an, pour en faire du tournesol. En Haute-Savoie, un autre agriculteur et son maire ont essuyé des coups de feu…
Il s’agit ici de ce que les journalistes appellent des faits divers. Mais qui ont une incidence pour le moins importante pour la ruralité, jusqu’aux paysages agricoles. Tout a commencé sur une terre française détenue par un Suisse (en fait, historiquement, la frontière a divisé un domaine unique, avec un seul propriétaire et des terres des deux côtés), il y a un peu plus d’un mois. Le vendredi précédent le lundi de Pâques, près de 40 caravanes de gens du voyage se sont installées sur une parcelle privée, agricole. L’agriculteur a son siège côté suisse, sur la commune de Veyrier, située juste en face de la Haute-Savoie, dans le Genèvois.
Appelé au téléphone par WikiAgri, Claude Rosset, l’agriculteur en question, explique : « La parcelle, elle a été réfléchie pour fournir de l’herbe. C’est une prairie intensive, avec cinq récoltes par an, principalement avec de la luzerne. Cette herbe me sert à nourrir un troupeau d’une vingtaine de vaches, qui en comptait 30 auparavant, mais que je ne vais pas réaugmenter de sitôt. Par ailleurs, j’ai des vignes, des vergers : ce troupeau est un appoint, avec donc son autoconsommation en herbe. Les problèmes posés par l’arrivée des gitans sont multiples. D’abord, ils sont restés près de 15 jours. Les policiers m’avaient conseillé de ne pas porter plainte à cause du temps, hors délai, pris par la justice. Et aussi de négocier avec les gens du voyage le jour de leur départ. Problème, ils sont restés plus longtemps que les six premiers jours prévus. Il a fallu la menace d’une intervention musclée des forces de l’ordre pour qu’ils partent. Dès leur départ, j’ai labouré le bord de mon champ pour qu’ils ne puissent pas revenir. Et j’ai bien fait car, après avoir été refoulés plus loin, ils ont essayé de revenir. Ensuite, j’ai inspecté mon champ. En raison des nombreuses déjections humaines, je me suis renseigné sur le ver solitaire, d’origine humaine donc, il vit 8 mois. Donc pas question de faire paître les animaux de crainte de transmission de maladies, c’est déjà arrivé par ailleurs. J’ai donc dû changer mes cultures pour semer du tournesol à la place. Et cela, après avoir dû effectuer un labour profond, pour bien enterrer les déjections en question. Et il faudra que j’achète 100 bottes de foin (Ndlr : à raison de 250 kilos la botte de foin, pour un coût de 30 francs suisses les 100 kilos, soit pratiquement la même chose en euros). Mais même ça, ce n’est pas simple. Nous avons des lois en Suisse, pas question d’avoir un assolement avec plus de 33 % de tournesol. Or là, j’ai dépassé, j’ai donc dû demander et obtenir une dérogation, puis il a fallu prévenir les douanes, car j’avais pré-déclaré des récoltes d’herbes et non de tournesol… Bien sûr, je n’avais pas le matériel pour le labour profond, ni même pour la récolte de tournesol qu’un voisin va venir faire chez moi.«
A l’arrivée donc, un gros manque à gagner, des soucis administratifs, un changement d’affectation des sols, et une pollution humaine dont seul un agriculteur peut venir à bout…
Voilà pour l’épisode franco-suisse… Il y en a eu un deuxième, totalement en France, en Haute-Savoie, sur la commune de Neydens. D’autres caravanes (peut-être les mêmes, mais ce n’est pas avéré, celles-ci pourraient venir de plus loin…) ont ainsi investi un nouveau champ, de force. Nicolas Félix, agriculteur, est averti, car il a mis en place une veille, en raison de dégradations subies les années précédentes (là aussi, champ de luzernes retourné…). Il sait que les caravanes se dirigent vers le terrain d’un de ses voisins, à 500 mètres du sien. Il explique aux lecteurs de WikiAgri : « J’étais en train d’ensiler. Quand j’ai été averti, j’ai pris mon tracteur pour disposer des billons de bois en travers des chemins. Je l’ai fait d’un côté, quand je suis arrivé vers l’autre, je me suis retrouvé face à une caravane. Il était tard, vers 21 heures, il faisait nuit, alors j’ai reculé en laissant le billon. Ça ne leur a pas plu. Des gars sont sortis de la caravane avec un fusil. Ils m’ont menacé. La mairesse de la commune est arrivée, elle aussi a été menacée. C’est alors que mon voisin, le propriétaire, est arrivé de l’autre côté. Deux coups de feu ont été tirés. Peut-être en l’air, en tout cas personne n’a été blessé. Les forces de l’ordre sont arrivées et ont procédé à des arrestations.«
Il y a eu ensuite une fouille des caravanes ordonnée par la justice, plusieurs fusils ont été trouvés, la plupart de chasse (sans permis)… mais pas seulement. Dans un cadre purement judiciaire, une comparution immédiate du tireur a mené à sa condamnation pour huit mois de prison, dont deux ferme (ceci pour avoir tiré). Par ailleurs, d’autres procès sont attendus pour les dégradations dans les champs, et autres intrusions sur terrains privés. « Les caravanes ont tout saccagé sur leur passage, plusieurs hectares de luzernes endommagés, pour mon voisin, mais aussi pour moi« , détaille Nicolas Félix. Il précise : « Alors qu’il existe des aires d’accueil vers chez nous, entre 5 et 20 kilomètres.«
Voilà pour les faits, les plus récents, mais qui font partie de toute une série s’étale sur plusieurs années.
Il est important de noter que les deux agriculteurs, le Suisse comme le Haut-Savoyard, insistent l’un comme l’autre sur le fait qu’ils ne stigmatisent pas une population, celle des gens du voyage. Ils demandent seulement le respect de leur activité. Nicolas Félix dit ainsi : « Ils ne sont pas tous comme ça. Avec certaines caravanes tout se passe bien… » Seulement les dégradations subies par Claude Rosset ne sont pas les premières de ce « niveau ». « Vous savez, les années précédentes, on a eu la même chose, ou presque, vers chez nous, reprend Nicolas Félix. C’est pour cela que nous avons mis en place un système d’alerte (Ndlr : une chaine de solidarité entre élus, agriculteurs, et gendarmes, par sms) pour intervenir avant que les caravanes ne soient disposées dans les champs…«
Au-delà, toute la population locale, des deux côtés de la frontière, réagit de la même manière. En Suisse, son conseil municipal a adopté à l’unanimité une aide pour Claude Rosset, de 1000 francs suisses (pratiquement 1000 euros) pour l’aider à surmonter ses dégradations. « Je n’avais rien demandé, précise l’agriculteur helvète. Bien sûr la somme ne couvre qu’une petite partie, mais ça m’a fait très plaisir. Surtout à l’unanimité, une des rares fois où ça a dû arriver chez moi…«
Même élan de solidarité en France, où une quarantaine d’élus en écharpe et une cinquantaine d’agriculteurs (avec du matériel…) se sont rendus au procès en comparution immédiate, pour bien montrer leur désapprobation et leur solidarité devant les faits. Le Conseil général de Haute-Savoie (entre autres) a également communiqué (lien en fin d’article) sur les faits pour montrer sa solidarité et présenter ses actions, en cours ou à venir, sur le sujet.
Question : que faire désormais ? Les gens du voyage ne sont pas honnis, des aires d’accueil répondent à leurs besoins. La plupart s’en satisfont d’ailleurs très bien et ne posent aucun problème quant à leur mode de vie, qu’une nation comme la nôtre (ou celle de nos voisins suisses) se doit d’accepter. Mais pourquoi faut-il, année après année, que de tels coups de force aient lieu ?
En savoir plus : http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/veyrier-executif-nourrit-vaches/story/29380002 (article de la Tribune de Genève qui évoque l’aide fournie par son conseil municipal à Claude Rosset) ; http://www.cg74.fr/download/site-principal/document/communiques-de-presse/2015/cp_reactiondep74_decisiontribunal_200415.pdf (communiqué de presse du Conseil général de Haute-Savoie par rapport aux faits) ; http://www.ledauphine.com/haute-savoie/2015/04/21/neydens-thonon-menace-sur-le-maire-et-deux-agriculteurs-8-mois-de-prison-dont-6-avec-sursis (l’un des articles du Dauphiné sur les faits).
Les photos qui illustrent cet article (ci-dessous) ont été prises par la mairie de Neydens après le départ des caravanes. Dégradations des champs (herbe haute chez Nicolas Félix ; herbe basse et labour, ou ce qu’il en reste, chez son voisin), saletés en tous genres… Le tunnel à la fin est l’accès aux champs depuis l’autoroute, les billons de bois ayant été déposés par Nicolas Félix pour tenter d’empêcher l’invasion. La mairesse de Neydens a ordonné le nettoyage et la désinfections des lieux par une entreprise extérieure.