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Polémique sur un barrage dans les Deux-Sèvres

Dans les Deux-Sèvres, au coeur de la région Poitou Charentes chère à l’actuelle ministre de l’Ecologie Ségolène Royal, un « autre » barrage fait polémique, avec une décision purement administrative prise au détriment, entre autres, d’un éleveur. Reportage sur place, avec photos explicatives après le texte.

Nous sommes dans les Deux-Sèvres, à proximité immédiate de Parthenay (10 000 habitants, au nord de Niort, à l’ouest de Poitiers), dans la commune de Le Tallud. François Fouillet élève, fièrement, des limousines. Une race qu’il apprécie particulièrement, car « elle correspond au contexte de la région« , et dans laquelle il s’investit à fond, étudiant les croisements depuis qu’il est dans le métier… « Il y a du travail« , précise-t-il, en discutant au milieu des vaches, sous-entendant par là que si son troupeau a fière allure aujourd’hui ce n’est pas dû au hasard. Il élève également des brebis, en ayant choisi une race « rustique, qui se nourrit beaucoup d’herbe et qui évite ainsi beaucoup d’intrants« , la charmoise…

Cécile Marquis, propriétaire du terrain voisin, voit d’un bon oeil l’action de l’agriculteur, car elle correspond à sa vision de cette zone géographique touristique, la Gâtine, préservée dans ses paysages par la tradition de l’élevage favorisant les races locales ou rustiques. Parallèlement, toute une communauté tourne autour des rives de la rivière du Thouet, faite entre autres, également, de pêcheurs, grands observateurs de la nature.

Une décision administrative prise par la préfecture

La rivière du Thouet, parlons-en. Un cours d’eau pas trop important l’été, qui participe au paysage de bocage de l’endroit, en lui donnant ce charme qui rend la région touristique. Avec, dessus, quelques barrages. Celui qui se trouve sur la propriété de Cécile Marquis, le barrage de la chaussée du moulin de Jousselin, impacte directement sur l’exploitation de François Fouillet. Car celle-ci borde la rivière, et avoir un flux régulé par ce barrage autorise le troupeau à aller s’abreuver sans risque. Des risques multiples sinon : un courant trop fort par temps de pluie, ou à l’inverse un lit de rivière inexistant par sécheresse, que les bovidés ne manqueraient pas d’arpenter pour s’offrir des promenades loin de leur enclos, et surtout périlleuses.

Seulement voilà. Ce barrage de la commune de Le Tallud fait partie des six de la zone géographique qui doivent être détruits, selon l’administration. La préfecture a ainsi enjoint Cécile Marquis d’opérer à la destruction du sien, selon les arguments de « continuité écologique » contenus dans la DCE, directive cadre sur l’eau, datant d’octobre 2010 et prolongement de la loi du 21 avril 2004, elle-même transposition d’une directive européenne pour une politique communautaire pour le domaine. Cette décision fait suite aussi à une autre, prise par les élus locaux du SMVT, syndicat mixte de la vallée du Thouet. Depuis les dernières élections municipales, son président a changé et l’actuel n’a pas la même opinion sur la question, mais trop tard, le mal est fait, et on ne peut plus revenir dessus.

Ainsi, Olivier Cubeau, président actuel du SMVT, qui a visité les lieux en même temps que WikiAgri, déclare : « D’un côté, on nous demande de tout faire pour favoriser l’élevage traditionnel sur notre zone, et de l’autre des décisions de cet ordre remettent en cause les conditions de travail des éleveurs… Malheureusement, à mon niveau, je ne peux rien faire, sinon proposer d’accompagner le changement, en aidant l’éleveur pour la pose d’une clôture par exemple… Mais ceci, qu’une seule fois. » Le problème, selon François Fouillet, est que la pose d’une clôture en bord de rivière ne constituera qu’une solution temporaire : « A la première crue, il faudra la refaire… » Ce qui, quelque part, l’obligerait à revoir son système de production : « Aujourd’hui, mon troupeau peut s’abreuver à la rivière en deux ou trois endroits prévus pour cela, sans risque, et c’est naturel… » Tandis qu’à l’avenir, sans flux régulé…

Un barrage petit, mais efficace

Ce barrage, allons-y. Il paraît plus pittoresque qu’imposant. Un filet d’eau passe au travers, comme il se doit. Historiquement, il était lié à un moulin, lequel n’existe plus aujourd’hui. C’est d’ailleurs là que se situe le problème, si le moulin avait toujours existé, son existence n’aurait peut-être pas été remise en cause. Mais au-delà, son efficacité n’est pas à remettre en cause. Jacques Godreau, représentant un collectif de pêcheurs local, également présent lors de la visite de WikiAgri, fait fonctionner sa mémoire « d’ancien » : jamais il n’a vu d’anguilles dans ce secteur. Or, la continuité écologique qui sert de prétexte à la décision préfectorale pose comme l’un des arguments principaux la possibilité laissée aux anguilles de remonter les courants pour se reproduire. En l’occurrence, sur le cas particulier du Thouet, il semble qu’il n’y ait aucun rapport.

De son côté, Cécile Marquis, la propriétaire, insiste : « Je tiens à ce que la Gâtine conserve son cachet, ses paysages, ses cultures, ses élevages. Je voyage souvent, et je viens me ressourcer ici, dans un univers préservé, qui doit le rester. La décision prise voulant m’obliger à détruire ce barrage va à l’encontre des intentions environnementales qu’elle prétend défendre.« 

Car de son côté François Fouillet enfonce le clou : « Si on voulait me faire arrêter l’élevage, on ne s’y prendrait pas autrement. Mais, désolé, je ne me vois pas faire des céréales, pas ici. Je n’ai rien contre les céréaliers, c’est juste une question de terres, ici ce n’est pas l’endroit. Bien sûr, ce serait plus simple pour moi de mettre des drains, tout évacuer dans la rivière, phytos et autres, et de faire des céréales. Ce ne serait pas environnemental, ça ne respecterait pas la Gâtine et sa tradition d’élevage, mais ce serait accepté en préfecture… Seulement, moi, je dis : non !« 

Les ragondins, sapeurs de rivages

Selon l’éleveur, il existe une cause autrement plus importante à la dégradation de l’environnement du Thouet : les ragondins. Et il le démontre, il suffit de le suivre le long du Thouet en bravant les ronces et enjambant divers barbelés, vous avez d’ailleurs en fin d’article plusieurs photos montrant les ravages. Les ragondins sapent littéralement le rivage. C’est-à-dire que, pour creuser leurs nids, ils créent des espaces proches de l’effondrement tout du long, effondrements qui finissent par avoir lieu, ce qui change la physionomie du bord de l’eau. « Je dois déjà prendre garde à ce que mes vaches ne marchent pas au-dessus d’un de ces trous« , commente François Fouillet, en constante bagarre contre les éléments.

Il préconise donc un plan de gestion de l’invasion des ragondins, autrement moins coûteux pour le contribuable que la destruction du barrage, et tenant davantage compte de l’entretien du rivage selon lui…

Tout près, des incohérences visibles

1. Le cours de la rivière Thouet a été détourné à, à peine, deux ou trois cents mètres en amont du barrage, pour autoriser la construction d’un ouvrage routier au-dessus (photos après l’article). Et pour cela, aucune question environnementale n’a visiblement été posée…

2. Un peu plus en amont, un barrage est maintenu chez un autre particulier, visiblement plus cossu, avec même une pancarte qui s’enorgueillit, je cite, de « restaurer [le] barrage et diminuer ses impacts écologiques négatifs« . C’est donc possible, mais alors pourquoi la même demande préfectorale ne frappe-t-elle pas tous les citoyens de la même manière ?

3. Dans la ville de Parthenay même, légèrement en aval donc, figurent plusieurs barrages. Une importante aire de loisir profite d’ailleurs du flux régulé du Thouet en la circonstance. Alors ce qui est bon pour la ville ne l’est pas pour la campagne ?

Que dit la loi ?

« La faute à l’Europe », en l’occurrence, ça ne tient pas debout. Car la loi française est très claire, elle date d’avril 2004, et est la transposition française d’une directive européenne d’octobre 2000. Cette loi incite donc à la protection, voire à la restauration de ce qui entoure la problématique des cours d’eau. Il y est question de méthodologie et d’organisation, avec des schémas directeurs, des comités de bassins… Mais à aucun endroit le mot « barrage » n’y est inscrit ! (lien vers le journal officiel en d’article).

Mais d’où sort cette volonté anti barrages ?

C’est donc, de fait, dans l’interprétation de la loi française, qui est elle-même une interprétation de la directive européenne, que l’on trouve cette volonté de détruire les barrages comme s’ils étaient nocifs pour l’environnement.

Question : qui se permet ainsi d’interpréter la loi, et en se fondant sur quoi ? Réponse : les services de l’Etat. Les fonctionnaires de l’Onema (office national de l’eau et des milieux aquatiques) se fondent ainsi des études de chercheurs brillants (on n’en doute pas un instant), qui n’ont cependant pas vocation à jouer un rôle d’élu législateur, et qui planchent selon des contextes donnés, pas obligatoirement en phase avec les réalités du terrain.

Ainsi, WikiAgri s’est procuré une étude faisant référence, puisque publiée dans la revue spécialisée Ecological Indicator, et rédigée par des membres éminents de l’unité de recherche Maly (milieux aquatiques, écologie et pollutions Lyon), sous la tutelle de l’Onema et de l’Irstea. Elle est en anglais, mais éloquente (nous avons retrouvé une version en ligne, lien en fin d’article). Il y est question de « l’impact des barrages sur les réseaux fluviaux« . On y découvre déjà que les chercheurs en question avancent deux « hypothèses« . « Hypothèses », c’est leur propre mot, qui signifie aussi « incertitudes » voire « vérifications pratiques à opérer »… Or, ces « hypothèses » reposent sur l’étude d’autres études, de chiffres, de relevés. On y trouve par exemple cette étonnante formule de mesure de densité de barrage (copie d’écran de l’étude en question) :

Vous n’avez pas compris ? Rassurez-vous, ceux qui appliquent les recommandations des chercheurs qui donnent ces formules savantes non plus, mais visiblement ça leur suffit pour oublier de chausser une bonne paire de bottes et d’aller voir sur place…

Car le problème est là : les élus (le parlement français) ont rédigé une loi très générale, et tout ce qui suit comme interprétation et mise en pratique sort de leur contrôle. Et même s’il est prévu qu’agriculteurs, pêcheurs, riverains, ou autres activités économiques intéressées soient consultés avant les prises de décision, ces dernières sont prises, dans la pratique, pratiquement à chaque fois dans le sens des recommandations des représentants de l’Etat. Lesquels argumentent avec le résultat d’études telles que celle-ci. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le travail des chercheurs, mais de se demander pourquoi des recommandations établies fussent par les cerveaux les plus lumineux ne sont pas ensuite regardées en rapport avec les réalités du terrain. Dans le cas du barrage qui nous intéresse, aucune étude d’impact n’a été opérée sur l’activité d’élevage adjacente, ni sur l’invasion des ragondins, ni sur le fait qu’il faille enlever ce barrage là et pas d’autres… La décision préfectorale est venue d’en haut, telle le marteau sur l’enclume…

Et maintenant ? Ou la cause des dysfonctionnements de notre ruralité…

… Sauf que l’enclume en question se rebelle. Cécile Marquis, la propriétaire, conteste juridiquement avec les recours que la loi lui permet. François Fouillet, bien sûr, la soutient dans cette entreprise. Ces recours, pour le moment, retardent l’échéance. De quelques mois. En espérant que cela suffise pour que l’opinion s’empare de l’affaire et incite les politiques à le faire aussi, eux qui ne sont plus présents sur ce genre de dossiers, traités quasiment uniquement administrativement, puisque lorsque les élus des communautés de communes (ou équivalent) votent, c’est en suivant les recommandations préfectorales qui leur sont annoncées comme les seules juridiquement valables.

Au-delà d’un barrage de petite taille, les enjeux sont finalement considérables : une région d’élevage traditionnel, la Gâtine, risque de perdre son principal attrait en même temps que ses éleveurs ; notre France profonde, dans sa ruralité, dans ses atouts, devient la proie d’un système où le fonctionnaire (certes livré à lui-même, il ne s’agit pas ici d’un débat anti/pro fonctionnaires, mais de la photographie d’un dysfonctionnement aux sources multiples), choisit en lieu et place des élus, et donc pas obligatoirement à bon escient, en tout cas sans la même légitimité. Cette absence des politiques, dans leur rôle représentatif du peuple (qui doit tout de même être le premier !) est sans conteste l’un des foyers de nombre de problématiques rencontrées par notre France rurale.

Quelque part, nous avons la chance d’avoir des individus qui refusent d’accepter cet ordre établi, qui se battent aussi pour des symboles. Le barrage de la chaussée du moulin de Jousselin, sur la commune de Le Tallud, en est un, très fort !

 

En savoir plus : https://wikiagri.fr/tags/barrages (nos articles sur le même sujet ayant précédé le présent reportage) ; http://www.onema.fr/IMG/swf/Film_v14.swf (vidéo en ligne sur le site de l’Onema expliquant comment, en principe, les décisions doivent être prises. En pratique, dans le cas présent, la préfecture impose ses choix) ; http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20040422&numTexte=1&pageDebut=07327&pageFin=07329 (extrait du Journal Officiel, loi d’avril 2004, transposition française de la directive européenne d’octobre 2000. Le mot « barrage » n’y est mentionné nulle part) ; http://www.tourisme-gatine.com (site internet du tourisme en Gâtine : feuilletez, regardez les photos, l’entretien du territoire par les agriculteurs et éleveurs y figure souvent !) ; https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/916423/filename/ly2014-pub00039414.pdf (mise en ligne de l’étude citée dans notre article).

Ci-dessous, François Fouillet avec ses limousines.

Ci-dessous, le barrage que l’administration veut faire détruire.

Ci-dessous de gauche à droite ; François Fouillet (éleveur), Jacques Godreau (pêcheur), Olivier Cubeau (président actuel du SMVT, syndicat mixte de la vallée du Thouet, communauté de communes du secteur) ; Cécile Marquis (propriétaire du barrage).

Devant le barrage…

Ci-dessous : pour construire l’ouvrage routier au-dessus, le cours du Thouet a été détourné. Et là, ça n’a pas posé de problème écologique, nous sommes pourtant tout près du barrage du Tallud.

Un peu en amont, un autre barrage…

… qui lui a eu droit à une rénovation plutôt qu’à la demande de destruction ! Pourquoi deux interventions différentes ?

Ci-dessous, l’un des barrages de la ville de Parthenay, toute proche, en aval. Mais la ville n’est pas concernée par les destructions. Deux poids deux mesures…

Ci-dessous, sur le bord du Thouet, François Fouillet montre des arbres qui tombent dans l’eau en raison du sol qui se dérobe suite aux nids de ragondins.

Bord du Thouet, le début d’un trou causé par un nid de ragondins.

Un nid de ragondin : l’animal fait son trou à hauteur de la surface de l’eau, créant plus tard un éboulement sur son propre nid.

Ci-dessous, bâtiment d’élevage que François Fouillet est en train de terminer, fait de ses mains, celles d’un passionné !

Ci-dessous, avec un agneau venant tout juste de naître.

Et pour finir une limousine avec son veau… L’un des symboles du tourisme en pays de Gâtine.

3 Commentaire(s)

  1. bravo à ces gens qui se battent et merci à Antoine d’avoir mis en lumière ces histoire d’Hommes!!

  2. la supression programmée de tout barrage a pour première conséquence de diminuer les temps de concentration et d’augmenter les coefficients de ruissellement, ce qui ne peut que générer des crues catastrophiques .
    Aucun impératif écologique ne peut justifier un tel risque de sécurité publique.

  3. notre pays est n aucune chance de se relever avec sa minorité verte qui paralyse tout progres meme les plus etudies .les minorités radicales dirigent ce pays vers l’immobilisme et la recession.
    arretons de financer par notre travail ces entreprises de regression

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