tendances alimentation

Vers une ère de la « démocratisation » des choix agricoles et alimentaires ?

La campagne présidentielle actuelle est révélatrice d’un certain nombre de tendances que l’on peut voir également à l’oeuvre dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, et qui conduisent à un processus de « démocratisation » des choix agricoles et alimentaires.

Cette campagne présidentielle à la fois chaotique et incertaine est symptomatique d’un certain nombre de tendances de la société française. Or, à y regarder d’un peu plus près, on peut s’apercevoir que ces tendances sont également observables dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation. Quelles sont-elles ?

Politique, agriculture et alimentation : les mêmes tendances à l’oeuvre

La première d’entre elles est bien évidemment la défiance spontanée exprimée par une grande partie de la population française vis-à-vis de tout ce qui vient d’en haut, et que l’on assimile aujourd’hui de façon souvent assez floue d’ailleurs au « système », et de tout ce qui est perçu comme « gros ». On peut parler à ce propos d’un véritable politique-bashing et même d’un élites-bashing. Parallèlement, les « petits », les « pairs », c’est-à-dire les gens comme nous, et, dans une moindre mesure les « antisystème », eux, font spontanément l’objet d’une certaine forme de confiance.

On le voit dans les enquêtes d’opinion à propos des institutions politiques ou des élus où la confiance qu’ils inspirent est proportionnelle à leur proximité. Plus les institutions sont importantes et de facto éloignées du simple citoyen (Président de la République, gouvernement, Assemblée nationale, Sénat, Parlement européen) et plus les individus tendent à s’en méfier. A l’inverse, le maire et les conseillers départementaux suscitent plutôt de la confiance.

Dans l’actuelle campagne présidentielle, cette défiance spontanée semble concerner en particulier les candidats représentant les deux principaux courants politiques qui ont été au pouvoir depuis 1981, à savoir les néogaullistes et les socialistes. Potentiellement, à la lecture des sondages, François Fillon (LR) pourrait ainsi terminer en quatrième position et Benoît Hamon (PS) à la cinquième place avec moins de 10 % des suffrages. Cela ne conduit pas nécessairement à une confiance spontanée envers les « petits » candidats, mais plutôt envers les candidats qui, à tort ou raison, ne sont pas assimilés au « système » ou sont perçus comme « antisystème ».

C’est une tendance que l’on peut aussi observer dans le domaine de la consommation. Ainsi, lorsqu’ils achètent en ligne, les consommateurs ont désormais le réflexe de regarder les commentaires de leurs « pairs », c’est-à-dire d’autres consommateurs lambda comme eux, plutôt que de prendre pour argent comptant ce que peuvent affirmer les sites commerciaux sur tel ou tel produit ou service. Ils semblent également être plutôt enclins à se fier au point de vue défendu par les associations de consommateurs, les ONG ou encore les médias d’investigation plutôt qu’à ceux des grandes entreprises.

Dans les domaines agricole et alimentaire, cette défiance spontanée concerne les grandes entreprises du secteur agroalimentaire, dont Lactalis a été le symbole récent par excellence, de l’industrie chimique ou des biotechnologies, les grandes coopératives agricoles, la FNSEA, les gros exploitants agricoles, les fermes géantes ou encore la grande distribution. En revanche, à tort ou à raison, il existe une confiance spontanée des consommateurs, ou du moins une certaine sympathie spontanée, vis-à-vis des petits producteurs agricoles, des petites exploitations familiales, du producteur qu’ils connaissent personnellement, des petites coopératives, des PME du secteur agroalimentaire, des magasins de producteurs ou de produits bio, des marchés fermiers ou encore de leurs commerçants de proximité.

La seconde tendance est le besoin de repères, d’authenticité, de transparence, d’honnêteté et de réassurance exprimé par une large partie des Français. C’est bien entendu ce que l’on observe sur le plan politique ces dernières années avec l’omniprésence en France de la question de l’identité dans un contexte de difficultés économiques et sociales, de vagues d’attentats perpétrées en particulier par des ressortissants nationaux ou de sentiment de déclin et de « décrochage » notamment par rapport à l’Allemagne. Cette question identitaire conduit à développer une forme de nostalgie pour un passé quelque peu mythifié, notamment la période dite des « Trente glorieuses », et d’un monde protégé par les frontières nationales. On le voit bien dans cette campagne présidentielle, qui a été aussi marquée bien évidemment par une obsession de la transparence et de l’honnêteté, dont la candidature de François Fillon a pâti.

En termes de consommation, ce besoin de retrouver des repères et de réassurance se traduit aujourd’hui par une tendance à privilégier un mixte de tradition et de modernité – on peut parler à ce propos de « post-modernité » – qui consiste à prendre le meilleur de l’une et de l’autre.

C’est tout particulièrement le cas sur les plans agricole et alimentaire. Les consommateurs veulent le meilleur de la tradition (des produits alimentaires sains et frais, peu ou pas transformés, si possible sans pesticides et OGM), mais aussi le meilleur de la modernité (ces mêmes produits peuvent être achetés par le biais de plateformes numériques et livrés en quelques jours à son domicile, à son travail ou dans des casiers dédiés). Chloé Defours de l’institut de sondage Kantar TNS Sofres expliquait ainsi en février 2017 dans le magazine de l’institut : « Les consommateurs ont, de manière générale sur l’alimentation, des attentes très fortes en matière de naturalité, pour mieux manger d’une part, mais aussi pour disposer de produits sans danger. 2/3 des consommateurs sont à la recherche de produits simples, peu transformés pour être certains de ne pas consommer d’ingrédients suspects et pour préserver les qualités gustatives ; 2/3 aussi à privilégier les produits 100 % naturels, sans colorants artificiels, sans conservateurs ».

Qu’on le déplore ou pas, il convient de reconnaître, en effet, que de nombreux consommateurs semblent être revenus depuis quelques années d’une certaine forme de modernité agricole et alimentaire, accusée d’avoir un impact négatif sur la santé, l’environnement ou le bien-être animal. Une enquête de l’institut Ipsos publiée en novembre 2016 indique ainsi, par exemple, que 57 % des Français interrogés s’inquiètent de la qualité des produits alimentaires qu’ils consomment, notamment en lien avec les pesticides, et que, depuis deux ans, 47 % d’entre eux disent consommer plus de produits ayant un faible impact sur l’environnement et plus de produits respectueux du bien-être animal.

Ces consommateurs ne semblent pas pour autant avoir la volonté d’en revenir au monde d’avant car ils sont habitués à l’abondance et veulent donc avoir une large liberté de choix. Ils souhaitent également pouvoir recourir à des technologies numériques sans avoir à se déplacer physiquement jusque chez les producteurs. Ce n’est donc pas la tradition contre la modernité ou la modernité contre la tradition, mais bien ce que la tradition et la modernité ont de meilleur. C’est semble-t-il ce qui, dans la situation actuelle, paraît rassurer les consommateurs.

La troisième tendance est la tentation de « renverser la table », ce que Jean-Luc Mélenchon appelle communément le « dégagisme », et l’envie d’essayer autre chose. C’est une tendance bien perceptible dans l’actuelle campagne présidentielle avec l’élimination de nombreuses personnalités politiques de premier plan de façon directe lors des primaires (Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Cécile Duflot, Arnaud Montebourg, Manuel Valls) ou bien indirecte (François Hollande, François Bayrou).

On le voit également en matière de consommation avec la croissance spectaculaire de la consommation collaborative et/ou de l’utilisation des plateformes numériques. Une enquête de l’institut CSA divulguée en janvier 2016 indiquait ainsi que 95 % des Français interrogés recouraient à la consommation collaborative (62 % le faisaient de façon régulière) et que 81 % d’entre eux avaient déjà proposé une prestation en la matière. Cela concernait tout particulièrement les jeunes de 25 à 34 ans (98 % y ont recours) et les catégories supérieures, les fameux CSP+ (96 %).

Remise en cause du « modèle dominant »

Cette tentation de « renverser la table » sur le plan agricole et alimentaire se traduit par la remise en cause d’un modèle « dominant » fondé sur trois caractéristiques : (1) une production agricole intensive recourant à de nombreux intrants (engrais, pesticides, etc.) et s’appuyant sur l’industrie chimique et des biotechnologies, ainsi qu’un élevage intensif, (2) une transformation industrielle des matières premières agricoles par l’industrie agroalimentaire pour l’élaboration de produits alimentaires, (3) la diffusion de ces produits via la grande distribution. Cette tentation de « renverser la table » favorise tout ce qui peut être alternatif en termes de production agricole – agriculture biologique, raisonnée, écologiquement intensive ou urbaine, permaculture, élevage extensif… –, de transformation des produits – produits alimentaires à base d’insectes ou de micro-algues, substituts de viande, d’œuf ou de lait… – et de distribution – circuits courts, AMAP, magasins de producteurs, plateformes numériques du type La Ruche qui dit oui !… Bien évidemment, cela ne concerne pas l’ensemble des consommateurs. Mais les « dégagistes » en la matière, en l’occurrence les jeunes cadres citadins, sont sans doute aussi les prescripteurs de normes qui sont susceptibles de se diffuser progressivement à l’ensemble de la société, comme on a pu le voir dans le passé pour d’autres habitudes alimentaires.

En témoigne, par exemple, le succès croissant de la consommation de produits bio. Le baromètre consommation de l’Agence Bio publié en janvier 2017 indiquait ainsi que 89 % des consommateurs interrogés avaient consommé bio en 2016 et que 69 % d’entre eux en consommaient régulièrement (au moins une fois par mois). L’évolution récente semble être spectaculaire car, en 2003 par exemple, 46 % des consommateurs affirmaient ne jamais consommer de produits bio. Cette même enquête révèle que 83 % des personnes sondées font confiance à l’agriculture biologique. Elles sont 88 % à estimer que les produits bio sont meilleurs pour la santé et 92 % à penser qu’ils contribuent à préserver l’environnement. Enfin, 96 % disent avoir l’intention de maintenir ou d’augmenter leur consommation de produits bio. Parallèlement, les consommateurs disent aussi acheter davantage de produits de saison (65 %) et de produits frais (61 %).

La quatrième tendance est la volonté des citoyens et/ou des consommateurs de se réapproprier ce qui avait été « délégué » auparavant à des représentants sur le plan politique ou à l’industrie sur le plan économique. Cela se traduit a minima par une volonté d’être consulté, voire de participer à la prise de décision, mais aussi par une auto-organisation croissante d’une partie de la société française qui estime que la solution à ses problèmes ne réside ni dans le politique, ni dans le marché, mais dans leur prise en charge par les citoyens eux-mêmes sur la base de leurs propres normes.

En politique, au sens large du terme, cela se traduit par une implication de nombreux citoyens dans le monde associatif, le succès de la démocratie participative à un échelon local, la montée des applications « citoyennes » (civic tech), etc. A l’occasion de cette campagne présidentielle, il y en a eu aussi quelques bribes avec des candidats « citoyens », comme Charlotte Marchandise, désignée au terme d’une « primaire citoyenne », ou encore Alexandre Jardin, à l’origine du mouvement Bleu Blanc Zèbre et qui s’est présenté au nom du mouvement Les Citoyens. Mais ceci est resté à un stade embryonnaire d’autant que cette dynamique a été cannibalisée par la candidature d’Emmanuel Macron. D’ailleurs, le Collectif de la société civile rassemblant Cap 21 (Corinne Lepage), le Comité Bastille, Génération citoyens (Jean-Marie Cavada) et la Transition (Claude Posternak), organisations qui soutenaient initialement un candidat émanant de la société civile, a décidé de rallier finalement l’ancien ministre de l’Economie. En avril 2016, Bleu Blanc Zèbres, La Transition, Cap 21, Nous citoyens, Le Pacte civique et Génération citoyens s’étaient, en effet, fédérés en vue d’organiser une « primaire des Français » afin de désigner un candidat hors parti.

Sur le plan économique, cette tendance correspond à la montée d’un « prosommateur », à la fois consommateur et producteur, qui est favorisée par les technologies, par exemple les imprimantes 3D, et la défiance que nous avons vue plus haut. Le symbole par excellence de cette réappropriation par les consommateurs est le succès ces derniers mois de la Marque du consommateur dont on a déjà eu l’occasion de parler dans la rubrique « réflexions » de Wikiagri.fr. En l’occurrence, ce sont des consommateurs eux-mêmes qui définissent d’une façon volontaire les critères d’un certain nombre de produits alimentaires. Sur la base du cahier des charges qu’ils ont ainsi contribué à définir, le collectif trouve des producteurs susceptibles de le mettre en œuvre. Quelque 8,5 millions de litres de lait « des consommateurs » ont été ainsi écoulés depuis le mois d’octobre 2016. C’est même devenu un véritable phénomène de société. D’autres produits devraient être rapidement commercialisés sous cette « marque des consommateurs » : compote de pommes, jus de pomme, pizza, beurre.

On peut voir également cette tendance à la réappropriation à travers d’autres évolutions notables comme le mouvement des « Makers », ces jeunes qui fabriquent eux-mêmes leurs produits. L’enquête de l’institut CSA sur la consommation collaborative vue plus haut indique ainsi que 36 % des 25-34 ans et 28 % des CSP+ réaliseraient eux-mêmes des produits de beauté et d’entretien.

La fin du « consensus permissif » des citoyens

Comment expliquer ces différentes tendances ? Il y a en premier lieu des explications générales qui sont maintenant bien connues. On assiste tout d’abord à une remise en cause assez généralisée des « consensus permissifs ». Dans le passé, la plupart des citoyens s’estimaient relativement peu compétents et mal informés par rapport aux gouvernants et aux experts. Ils étaient plutôt passifs et faisaient naturellement confiance à ces derniers pour agir au mieux des intérêts de la société. Il existait par conséquent un « consensus permissif », c’est-à-dire une indifférence bienveillante de la part des citoyens par rapport aux élites politiques et administratives. Cela a concerné tout particulièrement la politique étrangère et la construction européenne durant de nombreuses années ou encore tout ce qui avait trait à la science et à la technique.

Ceci a très largement évolué à partir du moment où les citoyens ont été mieux éduqués et mieux informés. Ils refusent désormais de signer un « chèque en blanc » à des autorités et même aux « sachants » en qui ils ne font plus spontanément confiance pour défendre au mieux les intérêts de la société. Ils sont par conséquent plus exigeants vis-à-vis des différentes formes d’autorités et de savoirs. Ils attendent d’elles de la transparence, de l’honnêteté, de l’éthique, une insensibilité par rapport à la pression de différents groupes d’intérêts, une capacité à assumer leurs responsabilités et à rendre des comptes, à les consulter et à prendre davantage en compte leurs préoccupations, etc.

Ils exigent plus largement que l’ensemble des secteurs fassent l’objet d’un processus de démocratisation. Cela a concerné, par exemple, depuis une vingtaine d’année la science et la technique. De nombreuses associations et scientifiques critiques ont ainsi milité en faveur de ce qu’ils appellent souvent une « démocratisation des choix scientifiques et techniques », à savoir le fait que ces choix fassent l’objet d’une consultation du public, et pas seulement des scientifiques et des experts, et même qu’il puisse participer d’une manière ou d’une autre à la prise de décision, y compris sous la forme d’un « contrôle citoyen », certains allant même jusqu’à parler d’une « science citoyenne ». Dans un tel contexte, ce ne sont plus uniquement les « insiders » qui sont légitimes pour décider de ces choix, mais aussi les « outsiders ». Même si une telle démocratisation n’est pas nécessairement effective, elle s’applique de facto avec une forme de « veto citoyen » dans certains cas, comme on a pu le voir notamment avec les OGM où en définitive la pression des « outsiders » (société civile, citoyens) a contribué à définir les « choix » en la matière en France.

La dérégulation du marché de l’information en est aussi un symptôme. Auparavant, seuls les élus, les représentants d’institutions publiques ou de corps intermédiaires et les « sachants » (universitaires, experts, intellectuels, journalistes) avaient accès à l’espace public et au débat public en fonction de leur sphère de compétence, de leur expertise ou de leur représentativité. Aujourd’hui, tout ceci a éclaté. N’importe qui peut s’exprimer n’importe quand sur n’importe quel sujet, notamment via les réseaux sociaux. On peut même observer de ce point de vue une prime en faveur de ceux qui développent les propos les plus outranciers et qui sont les plus convaincus par-delà leur représentativité réelle. C’est le cas, par exemple, des vegans.

Il y a ensuite des explications propres à la société française et à son évolution récente. En France, on a certainement été plus « croyants » qu’ailleurs vis-à-vis de la politique. La mise en avant d’un volontarisme politique, c’est-à-dire d’une capacité du gouvernement et de l’Etat à changer les choses, a joué un rôle décisif dans les élections présidentielles passées, de la rupture avec le capitalisme de François Mitterrand en 1981 à la volonté de François Hollande en 2012 de lutter contre son adversaire la finance en passant par l’ambition de réduire la fracture sociale de Jacques Chirac en 1995 ou la promesse de Nicolas Sarkozy en 2007 d’aller chercher la croissance avec les dents. Or, cette croyance semble avoir de plus en plus laissé la place à une désillusion qui est quelquefois profonde et qui se traduit au mieux par une indifférence et au pire par un dégoût et une colère. Ceci est principalement lié à une insuffisance de résultats et d’éthique, en clair à la combinaison d’un chômage de masse structurel et des « affaires ».

Cette désillusion est notamment ressentie par ceux que le sondeur Brice Teinturier appelle les « prafistes » dans un ouvrage publié en février 2017 et intitulé Plus rien à faire. Plus rien à foutre. La vraie crise de la démocratie (Robert Laffont). Il y analyse l’attitude d’une catégorie de Français qui, selon ses propres termes, n’ont « plus rien à faire » et « plus rien à foutre » de la politique. Ce sont les « prafistes ». Il estime que ceux-ci représenteraient à peu près 30 % du corps électoral. Ces « prafistes » ne croient plus en la politique et ont décidé de se « désengager », en choisissant souvent la voie de l’abstention.

Il est intéressant de noter que l’on semble observer un même type de tendance par rapport à l’agriculture et à l’alimentation. Ces secteurs ont été historiquement très valorisés en France. A la fin du XVIe siècle, Sully, alors surintendant des Finances, déclaraient ainsi que « labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée », alors que quelques décennies plus tôt le roi Henri IV affirmait dans une autre célèbre citation : « Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot ». La France est également le pays dont le repas gastronomique a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2010. Ce n’est pas la grande cuisine française avec ses chefs renommés qui a été ainsi reconnue, mais bien, pour reprendre une citation de l’Unesco « l’art du « bien manger » et du « bien boire » » à la française : « le plaisir du goût », « l’achat de bons produits, de préférence locaux, dont les saveurs s’accordent bien ensemble », etc.

Or, là aussi, il semble bien que la « croyance » semble s’être estompée aux yeux de certains. La désillusion paraît concerner de ce point de vue l’agriculture et l’alimentation « conventionnelles ». En la matière, l’équivalent des « prafistes » tendent à dénoncer l’impact pour la santé, l’environnement ou le bien-être animal du mode de production agricole dominant et du mode de transformation agroalimentaire, en clair, la « malbouffe » + les crises sanitaires et de confiance qui ont pu se produire en France ces dernières décennies, du veau aux hormones au Chevalgate. Ce sont par exemple les adeptes du bio, des régimes « sans » (gluten, lactose, etc.) ou du flexitarisme. Mais certains vont même plus loin en exprimant un dégoût et une colère vis-à-vis du système alimentaire et en choisissant la voie de l’« abstention », par exemple vis-à-vis de la consommation de viandes (végétariens, végétaliens, vegans).

Les agriculteurs désormais confrontés au « risque sociétal »

Comment sortir de cette situation ? Il convient tout d’abord de reconnaître que, comme en témoigne l’actuelle campagne présidentielle, on est entré dans une grande phase de transition, que les citoyens, et avec eux les associations, les ONG et les médias, ont « mis le pied dans la porte » et que l’on ne reviendra sans doute pas en arrière.

Les entreprises le savent bien, du moins les plus grandes d’entre elles. Elles ont pris conscience de l’existence d’un risque social ou sociétal. Elles savent, ou elles sont censées savoir, qu’elles ne doivent pas seulement prendre en compte les intérêts et les préoccupations des parties prenantes traditionnelles – salariés, clients, fournisseurs, sous-traitants, actionnaires, banquier, assureur, etc. – qui avaient généralement des attentes de nature avant tout matérielle vis-à-vis des entreprises (salaire, rapport qualité-prix, commandes, dividendes, etc.). Elles doivent le faire également avec de nouvelles parties prenantes (société civile, médias, citoyens) qui ont d’autres types d’exigences, moins matérielles et plus en lien avec le bien commun et l’utilité pour la société en général.

Cela vaut bien évidemment aussi pour les agriculteurs. On le sait, les attentes à leur égard ne sont plus seulement d’ordre matériel (fournir une nourriture en quantité suffisante), mais de plus en plus liées au bien commun (fournir une nourriture saine et de qualité, protéger l’environnement, conserver l’esthétique du paysage, les terroirs ou les traditions régionales, etc.).

En définitive, qu’on le déplore ou pas, on semble bien être entré dans une ère de démocratisation des choix agricoles et alimentaires. Celle-ci est d’ailleurs revendiquée par des groupes comme le Mouvement des AMAP qui appelle à une « démocratie agricole et alimentaire » et à une « agriculture citoyenne ». Qu’on le veuille ou pas, ce ne sont plus les seuls « insiders », à savoir les agriculteurs, les industriels de l’agroalimentaire, de la chimie ou des biotechnologies ou les distributeurs, qui ont leur mot à dire sur ces choix. Ce sont aussi les « outsiders », les citoyens et par voie de conséquence la société civile et les médias. L’ignorer conduirait sans aucun doute à une multiplication des controverses et des « vetos citoyens », particulièrement contre-productifs pour tout le monde, comme on a pu le voir avec les OGM et comme cela semble être de plus en plus le cas avec les pesticides ou même avec la viande. L’accepter et tenter de déminer le terrain à froid avant qu’une controverse ne se produise semblent donc être les voies les plus raisonnables et les plus efficaces.
 

En savoir plus : www.tns-sofres.com/nos-solutions/nos-publications/50-ans-danticipation-8-fevrier-2017 (entretien accordé par Chloé Defours dans « 50 ans d’anticipation », le magazine de l’institut de sondage Kantar TNS Sofres) ; www.ipsos.fr/decrypter-societe/2016-11-08-alimentation-durable-francais-plus-en-plus-attentifs-ce-qu-ils-mangent (enquête Ipsos sur l’alimentation durable publiée en novembre 2016) ; www.csa.eu/fr/survey/consommation-collaborative-nouvelle-mode-ou-economie-d-avenir (enquête CSA sur la consommation collaborative publiée en janvier 2016) ; www.agencebio.org/sites/default/files/upload/AgoraBIO/dp_bio_barometre_val.pdf (Baromètre consommation de l’Agece Bio publié en janvier 2017) ; https://laprimaire.org/?gclid=CjwKEAjw2qzHBRChloWxgoXDpyASJAB01Io0nETiWhmOAddXouTps6wsow6v-fi-5L16ALPDzvx21RoCxAPw_wcB (site internet de LaPrimaire.org, primaire citoyenne qui a désigné Charlotte Marchandise pour être candidate à l’élection présidentielle) ; http://www.lescitoyens1.fr (site internet du mouvement Les Citoyens qui a présenté Alexandre Jardin comme candidat à l’élection présidentielle) ; https://wikiagri.fr/articles/le-lait-equitable-de-la-marque-du-consommateur/10390 (article publié en août 2016 dans la rubrique « Réflexions » de Wikiagri.fr sur la Marque du consommateur) ; https://lamarqueduconsommateur.com (site internet de la Marque du consommateur) ; www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437 (source de la citation de l’Unesco mentionnée dans l’article) ; http://alpage-lyon.org/wp-content/uploads/2017/03/document-3.pdf (campagne du mouvement des AMAP intitulée « Ensemble pour une démocratie agricole et alimentaire »).
 

L’illustration ci-dessous est issue du site Fotolia. Lien direct : https://fr.fotolia.com/id/95482983.

Article Précédent
Article Suivant