Les vegans inquiètent de plus en plus les éleveurs, mais aussi les bouchers-charcutiers qui ont été reçus récemment par le ministre de l’Intérieur suite à de nombreux actes de vandalisme. Qui sont vraiment ces vegans ? Décryptage de ce qui est devenu en quelques années un véritable phénomène de société.
Il y a seulement cinq ans, le grand public ne savait pas vraiment ou même pas du tout ce qu’était un vegan. Aujourd’hui, ce courant apparaît omniprésent dans l’espace public. Il s’est fait tout particulièrement connaître par le biais de la diffusion de vidéos filmées clandestinement dans des abattoirs ou des élevages en batterie par ou pour l’association de protection des animaux L214. La dernière en date, qui a suscité beaucoup d’émois et de réactions, a été diffusée le 20 mai 2018. L’actrice Sophie Marceau y dénonçait les conditions de vie des poules pondeuses dans les élevages en batterie.
Alors, qu’est-ce que le véganisme ? Qui sont les végans ? Combien sont-ils ? Comment agissent-ils ? Sont-ils dangereux ? Représentent-ils une menace pour l’agriculture française et plus particulièrement pour l’élevage ? Voici toutes les réponses aux questions que l’on se pose communément à propos des végans.
Le terme Végan est une contraction du mot anglais « VEGetariAN » (végétarien). Il a été créé en Angleterre en 1944 par un professeur de menuiserie, Donald Watson (1910-2005), qui est le fondateur de la Vegan Society. Lui-même végétarien depuis l’âge de 14 ans après avoir vu un porc terrifié abattu par son oncle agriculteur, il a arrêté de consommer des produits laitiers à l’âge de 32 ans.
Le végétarisme est un phénomène bien plus ancien puisqu’il était déjà revendiqué par les adeptes du jaïnisme, une religion apparue en Inde au Xe siècle avant J.-C., ou par le philosophe grec Pythagore et ses disciples au VIe siècle avant J.-C. D’après la sociologue Marianne Celka, auteure de Végan Order. Des éco-warriors au business de la radicalité (Editions Arkhê, 2018), cette vision est réapparue avec les Cathares, certains penseurs humanistes de la Renaissance et surtout avec les « transcendantalistes » du XIXe siècle incarnés par Henry David Thoreau et l’écologisme du XXe siècle. La première association végétarienne qui a été créée dans le monde l’a été, elle aussi, en Angleterre en 1847 avec la Vegetarian Society.
C’est également au XIXe siècle et toujours en Angleterre qu’émergent les premières associations de protection des animaux, avec la Society for the prevention of cruelty to animals, qui est créée en 1824, notamment pour la protection des chevaux d’attelage, puis avec la Society for the protection of animals liable to vivisection, fondée en 1875 pour lutter contre la vivisection. La version française de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux sera créée en 1845 avec la Société protectrice des animaux (SPA).
A la différence du végétarisme et du végétalisme, le veganisme est une véritable philosophie de vie et un mode de vie qui exclut toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux. Les végans respectent donc un régime alimentaire végétalien : ils ne mangent pas de chair animale (viandes, poissons ou crustacés), mais aussi des produits issus d’animaux, tels que les œufs, les produits laitiers (lait et fromages) et le miel. Mais, ils vont aussi s’abstenir de consommer et d’utiliser des produits d’origine animale pour leur vêtements et leurs chaussures (pas de textile d’origine animale comme le cuir, la laine, la soie, le cachemire ou a fortiori la fourrure), leurs produits cosmétiques, d’hygiène ou d’entretien (ces produits ne doivent pas contenir d’ingrédients d’origine animale et/ou avoir été testés sur les animaux) ou leurs divertissements (chasse, pêche, cirque, zoo, corrida) ou pour n’importe quelle autre raison (utilisation d’animaux à des fins d’expérimentation ou de chiens d’aveugle, manipulation génétique des animaux). C’est donc un mode de vie basé sur différentes formes d’exclusions ou d’interdits.
Il existe d’ailleurs une certification végane avec le label Eve Vegan délivré par un « organisme de contrôle et de labellisation des produits veganes » qui s’appelle Expertise Vegane Europe (EVE). Ce label permet par conséquent aux consommateurs de pouvoir identifier facilement les produits végans. Le « référentiel EVE Vegan » définit une « liste des substances refusées » qui sont les suivantes : produits issus de l’abattage des animaux, de la chasse et de la pêche, sous-produits d’origine animale et dérivés (comme les produits laitiers ou de la ruche), les matières et fibres animales, les substances d’origine animale sous forme d’additifs (enzymes, arômes, huiles, etc.), les ingrédients traités avec des produits d’origine animale (gélatine ou collagène animal), les ingrédients ayant nécessité la fermentation animale et les substances dérivées des humains (kératine ou placenta).
A l’évidence, le véganisme apparaît comme un mode de vie particulièrement exigeant et contraignant dans la vie de tous les jours à partir du moment où les produits d’origine animale se nichent un peu partout. A l’instar des militants qui souhaitent sortir de la dépendance au pétrole, les végans entendent ainsi sortir, d’une certaine manière, d’une situation de dépendance économique vis-à-vis de l’exploitation des animaux.
Il est très difficile d’évaluer leur nombre. Sur la base des quelques chiffres dont on dispose, on peut néanmoins estimer que les vegans sont ultra-minoritaires. Ainsi, dans l’enquête réalisée en mai-juin 2017 par l’Observatoire Société et consommation (ObSoCo), auprès d’un échantillon représentatif de 4 000 personnes, 0,4 % des personnes sondées se disaient véganes. Si l’on extrapole cette proportion à l’ensemble de la population française, cela donnerait environ 270 000 vegans en France. Le sociologue Eric Birlouez estimait, quant à lui, récemment dans L’Opinion la part des vegans en France à 0,25-0,5 % de la population.
Il est cependant aussi évident que leur « part de voix » dans l’espace public (médias, édition, réseaux sociaux) est sans commune mesure avec leur représentativité réelle. Ils correspondent, en effet, exactement à ce qui a été décrit par Gérald Bronner et Etienne Klein dans leur rapport publié en 2016 pour l’Académie des technologies à propos du marché de l’information : « Ceux qui règnent sur ce marché sont ceux qui ont le plus de temps à occuper l’ »espace » de parole, c’est-à-dire ceux qui sont les plus motivés. Or, sur toute une série de sujets, les plus motivés sont les plus engagés, voire les plus « croyants ». Pour cette raison, ils parviennent à instaurer, sur les forums ou dans le classement Google, une sorte d’illusion de majorité qui peut affecter le jugement de nos concitoyens les plus indécis ou bien qui n’ont pas le temps de défaire des arguments qui sont, par ailleurs, en apparence convaincants ».
Ils incarnent bien également ce que le psychologue social Serge Moscovici appelait une « minorité active ». Or, pour lui, « la plupart des changements sociaux sont l’œuvre de minorités ». Rappelons à ce propos les résultats significatifs d’une étude scientifique publiée en 2011 par des chercheurs du Rensselaer Polytechnic Institute aux Etats-Unis. Ceux-ci ont tenté d’évaluer à partir de quand une croyance jusqu’alors minoritaire se transforme en une croyance qui devient rapidement majoritaire. Ils ont évalué ce point de basculement à 10 %. Cela signifie qu’à partir du moment où 10 % de la population a une croyance inconditionnelle, celle-ci sera systématiquement adoptée par la majorité de la société.
Les végans sont par excellence un groupe de personnes ayant une croyance inconditionnelle. Or, avec une fourchette se situant entre 0,25 % et 0,5 % de la population, ils sont donc encore loin du compte, mais rien ne dit que cette situation n’évoluera pas. En outre, il faut regarder aussi la proportion de végans au sein des jeunes générations, qui deviendront majoritaires d’ici quelques années et quelques décennies, ou des catégories d’« influenceurs », comme les jeunes cadres citadins.
On peut identifier plusieurs types d’organisations défendant la cause végane. Il y a tout d’abord les organisations économiques veganes avec des associations professionnelles promouvant des modes de production végans, des enseignes de distribution en ligne ou physiques, des marques veganes, notamment alimentaires ou cosmétiques, ou des restaurants vegans.
Le second type de groupes correspond aux associations d’information et de sensibilisation à la cause vegane tant à l’échelle nationale que locale. Elles sont dans une logique plus militante et protestataire. Les groupes les plus connus sont bien évidemment l’association L214, qui a été créée en 2008, mais aussi 269 Life France, qui est la branche française du collectif mondial 269 Life, ou encore Vegan Impact. On peut y rajouter de nombreuses associations locales, comme, par exemple, Agir contre la torture des animaux (ACTA) en Gironde, l’Association pour la libération animale (ALARM) à Marseille, Avenir Vegan en Alsace, le Collectif animaliste bisontin Le Cable, Info Végane dans la région Centre Val de Loire, ou encore LibertéEgalitéAnimale49 (LEA49).
Certains groupes ou groupuscules sont cependant dans une logique radicale en défendant ouvertement le recours à des « actions directes » et l’objectif de « libération animale ». C’est notamment le cas de 269 Libération animale (à ne pas confondre avec 269 Life France) qui revendique « la libération animale à travers un activisme offensif reposant sur l’usage de l’action directe et de la désobéissance civile ». Ses fondateurs Tiphaine Lagarde et Ceylan Cirik ont d’ailleurs été condamnés en octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône pour violation de domicile et dégradations commises en réunion suite à une « action commando » perpétrée au mois de juin contre l’abattoir Bigard de Cuiseaux (Saône-et-Loire). Avec une soixante de militants, ils s’étaient alors introduits dans l’abattoir et enchaînés avec des cadenas dans le couloir qui mène les animaux à la zone d’étourdissement.
D’autres groupes radicaux se disent proches de l’ultra-gauche, à l’instar des Panthères enragées, qui s’affichent comme des « veganes antifa » (antifascistes) et qui établissent un parallèle entre la lutte des classes et la libération animale. Le groupe de libération animale le plus connu, le Front de libération animale (ALF), mêle d’ailleurs défense de la cause animale et anarchisme. Certains de ses membres ont été impliqués, par exemple, le 1er mai dernier dans l’attaque du restaurant McDonald’s près de la gare d’Austerlitz à Paris. Il est à noter que Clément Méric, ce militant d’extrême-gauche qui a été tué lors d’une rixe en 2013, était lui-même végan et antispéciste. De leur côté, Brigitte Gothière et Sébastien Arsac, les fondateurs et porte-parole de L214, ont commencé à militer dans des collectifs anarchistes lyonnais.
Enfin, des groupes végans sont plutôt proches de l’extrême-droite, à l’instar du mouvement Cause Animale Nord ou de façon encore plus radicale de la Section Défense Animale, groupe de l’ultra-droite. Le site Slate publiait d’ailleurs un article en octobre 2017 qui se demandait « pourquoi être vegan est tendance chez les néonazis », alors qu’Adolf Hitler et Heinrich Himmler étaient eux-mêmes végétariens. De nombreux sites internet de suprémacistes blancs font ainsi l’éloge du veganisme. Le site aryanism.net explique à ce propos que « le mode de vie qui ne génère aucune demande pour les produits animaux a toujours été une caractéristique principale du National socialiste authentique ».
Le principal inspirateur du mode opératoire des animalistes est sans aucun doute le militant américain d’origine belge Henry Spira (1927-1998). Une autre grande figure de la « libération animale », le philosophe australien Peter Singer, lui a consacré un ouvrage qui vient d’être traduit en français sous le titre Théorie du tube de dentifrice. Comment changer le monde selon Henry Spira (Editions Goutte d’or, 2018).
La stratégie d’Henry Spira consiste à la fois à faire pression sur une entreprise ou une cible spécifique en prenant à témoin l’opinion publique d’un scandale et, en même temps, à proposer des alternatives à cette cible. Le cas d’école a été celui de la campagne qu’il a menée dans les années 1970 contre le géant des cosmétiques Revlon. Spira a dénoncé, notamment par l’intermédiaire d’une publicité dans le New York Times, le recours à des tests de produits cosmétiques de Revlon sur des lapins (le test de Draize consistant à injecter des produits directement dans les yeux de lapins conscients, qui perdent alors la vue et souffrent énormément de ces expériences), tout en exigeant que l’entreprise consacre une partie de son chiffre d’affaires pour investir dans la recherche afin de trouver des alternatives à ces tests. Il s’est également intéressé aux animaux d’élevage, notamment à l’élevage de poulets.
C’est donc la combinaison d’une forte pression et d’un dialogue avec la cible qui lui a permis de faire bouger les choses. C’est ce qu’il a appelé la « théorie du tube de dentifrice » : « Si votre tube de dentifrice est bouché, la possibilité d’en tirer du dentifrice dépend de deux questions : à quel point le tube est-il bouché ? Quel est le niveau de pression exercé dessus ? ». De ce point de vue, il faut tout d’abord enlever ce qui empêche le dentifrice de sortir du tube (lever les obstacles) et ensuite appuyer sur le tube (faire pression).
Les créateurs de L214 disent s’inspirer des méthodes d’Henry Spira. Ils le revendiquent ouvertement sur le site de l’association : « Henry Spira, un homme hors du commun qui a fortement influencé notre façon de voir les choses et d’agir, ici, à L214 » ; un « réaliste pragmatique » adepte de la « stratégie des petits pas pour obtenir des avancées concrètes, et ce quel que soit le domaine », qu’ils louent pour avoir « réussi à faire de la question animale un sujet de société à une époque où tout le monde s’en moquait ».
Au-delà de l’influence de Spira, L214 est bien connue maintenant pour son mode opératoire et sa communication spécifiques qui ont été étudiés récemment par l’agence Shan dans une étude publiée en avril 2018, L214. Les ingrédients d’une communication explosive. Elle explique le succès de la communication de L214 par trois éléments spécifiques : (1) des « contenus à fort impact émotionnel et visuel » avec les vidéos « choc », qui sont accompagnés de « contenus rationnels rassemblés au sein d’une plateforme digitale dédiées à chaque campagne », (2) le recours à un « pool de porte-parole et d’ambassadeurs toujours plus important et diversifié », et (3) la négociation d’exclusivités avec différents médias pour le lancement de ses campagnes.
En France, un tournant semble se produire au début des années 2010. En janvier 2011, paraît l’ouvrage de Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ? (Editions de l’Olivier), qui a eu un écho important et qui est un succès de librairie. En septembre 2012, le journaliste Aymeric Caron, militant de la cause végane, devient chroniqueur dans la très populaire émission de France 2 « On n’est pas couché ». Il le sera jusqu’en 2015. Il utilisera cette plateforme exceptionnelle pour diffuser sa vision des choses. Sur la base de cette soudaine notoriété, il publiera plusieurs ouvrages défendant ses idées : No Steak. La prochaine phase de notre évolution (Fayard, 2013) et Antispéciste. Réconcilier l’humain, l’animal, la nature (Don Quichotte éditions, 2016).
En octobre 2014, sont publiés le même mois deux ouvrages défendant la cause animale par des personnalités elles aussi bien connues du public : Plaidoyer pour les animaux. Vers une bienveillance pout tous de Matthieu Ricard (Allary Editions) et L’animal est une personne. Pour nos sœurs et frères les bêtes de Franz-Olivier Giesbert (Fayard). Un an plus tard, en novembre 2015, France 3 diffusera le film « L’animal est une personne » réalisé par le même Franz-Olivier Giesbert. C’est à cette occasion que l’on voit apparaître pour la première fois dans la presse l’expression « agriculture bashing », alors utilisée par des élus de la Chambre d’agriculture de la Haute-Vienne. Ce film est, en effet, diffusé quelques semaines après la mise en ligne par l’association L214 d’une vidéo tournée à l’intérieur de l’abattoir municipal de la ville d’Alès. C’est la première fois qu’une action de l’association fait l’objet d’une forte médiatisation. On entre alors pleinement dans le « moment vegan », dans lequel nous nous trouvons toujours à l’heure actuelle. D’ailleurs, le terme « veganisme » fait également son entrée dans le dictionnaire en 2015.
Or, un nouveau tournant semble s’être produit en mars dernier, du moins chez les vegans les plus radicaux avec une montée en radicalité. Trois jours après le décès du chef boucher du Super U de Trèbes dans l’Aude Christian Medves lors de l’attentat perpétré le 23 mars 2018 qui a fait quatre victimes au total (il avait été le premier à être assassiné par l’activiste djihadiste), une militante végane de Haute-Garonne poste le message suivant sur Facebook avant de le retirer : « Ben quoi, ça vous choque un assassin qui se fait tuer par un terroriste ? Pas moi, j’ai zéro compassion pour lui, il y a quand même une justice ». Elle a été condamnée par le tribunal de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) à sept mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme.
Il s’en est suivi une multiplication d’actes de vandalisme et d’intimidation visant en particulier des boucheries un peu partout sur le territoire à tel point que le 21 juin, les représentants des bouchers-charcutiers par l’intermédiaire du président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT), Jean-François Guihard, ont, dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, demandé une protection policière aux autorités publiques. Dans ce courrier, la CFBCT dénonce « la haine et des diktats de certains fanatiques » et même une « forme de terrorisme ».
D’après Le Figaro, en un an, une centaine de boucheries auraient ainsi fait l’objet d’attaques en France dans des régions de plus en plus nombreuses. La CFBCT a décidé de réagir car la violence de ces attaques s’est intensifiée durant la période récente. D’après Jean-François Guihard, « Il y a quelques mois, les associations anti-spécistes se contentaient de mettre du faux sang, soit sur les vitrines de nos boucheries soit devant, sur le trottoir. Depuis l’attentat de Trèbes, on assiste désormais au caillassage de nos vitrines ». Les représentants des bouchers-charcutiers ont d’ailleurs été reçus le 3 juillet par le ministre de l’Intérieur.
Evidemment, il ne convient pas d’établir un amalgame entre, d’une part, les vegans et, d’autre part, le radicalisme et l’activisme violent, d’autant que le « père » du veganisme, Donald Watson, était lui-même un adepte de la non-violence et a été un objecteur de conscience durant la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, ce mode de vie qui relève d’un choix de vie personnel et d’une vision éthique est devenu chez certains depuis quelques années une véritable idéologie avec un caractère à la fois intégriste (voire fanatique dans quelques cas) et prosélyte.
La multiplication des interdits peut, en effet, conduire certains d’entre eux à un isolement social. En outre, le visionnage systématique de vidéos de violences perpétrées contre les animaux peut amener les plus fragiles d’entre eux à développer une haine profonde de l’humanité et à un passage à l’acte violent. On l’a bien vu aux Etats-Unis en avril dernier lorsqu’une blogueuse activiste vegane Nasim Najafi Aghdam, qui disposait de quatre chaînes sur la plateforme de vidéos en ligne YouTube, a déclenché une fusillade au siège de l’entreprise en Californie. Elle a blessé trois personnes par balles avant de se suicider. Elle accusait notamment la direction de YouTube de censurer ses vidéos parce qu’elle était une activiste végane.
Le témoignage du fondateur du collectif 269 Life France dans un article de France info de mai 2014 n’est pas fait pour nous rassurer de ce point de vue. Celui-ci s’est tout d’abord fait marquer au fer rouge sous l’œil d’une caméra de Canal+. Il expliquait également que « devoir faire un sacrifice pour la cause animale ne me cause aucun problème, je suis prêt à devenir un martyr. Je me limite juste parce que j’ai des responsabilités, je ne suis pas seul ». Il rajoutait que « si on me disait qu’en se coupant une jambe, on toucherait 15 fois plus de personnes, je dirais ok allons-y » et concluait en disant que « j’aimerais mourir pour les animaux. Mais pas tout de suite ». La sociologue Jocelyne Porcher a sans doute raison d’affirmer dans L’Opinion que « ce mouvement est intrinsèquement violent ».
Les vegans représentent à l’évidence une menace pour l’élevage lorsqu’ils défendent l’abolition de l’élevage en tant que tel (et pas seulement de l’élevage intensif ou industriel) et de la consommation même de viande. Cette approche dite « abolitionniste » est principalement inspirée par les écrits du philosophe américain Gary Francione, qui est notamment l’auteur ou le co-auteur d’Introduction aux droits des animaux (L’Age d’Homme V, 2015) et du Petit traité de véganisme (avec Anna E. Charlton, L’Age d’Homme V, 2015). Il est à l’origine d’un site internet qui explique en plusieurs langues les fondements de ce positionnement et qui défend l’idée d’« abolition de l’exploitation animale », ce qui implique l’abolition de l’élevage d’animaux pour produire de la viande, mais aussi celle de l’élevage d’animaux domestiques « à des fins d’utilisation humaine ».
C’est également la position défendue par l’association L214 qui a créé un site internet qui s’intitule tout simplement « Abolir la viande » dont le credo est le suivant : « Parce que la production de viande implique de tuer les animaux que l’on mange, parce que nombre d’entre eux souffrent de leurs conditions de vie et de mise à mort, parce que la consommation de viande n’est pas une nécessité, parce que les êtres sensibles ne doivent pas être maltraités ou tués sans nécessité, l’élevage, la pêche et la chasse doivent être abolis ». De nombreuses organisations françaises sont ainsi des soutiens du Mouvement international pour l’abolition de la viande : Agir pour les animaux dans le Sud-Ouest (Acta), Animal Amnistie, Association Droits des animaux, Association végétarienne de France (AVF), Collectif antispéciste contre l’exploitation des animaux (Cleda), Comité radicalement anti corrida pour la protection de l’enfance (Crac Europe), L214, One Voice, Pense bête ou Peta France.
La solution alternative proposée par L214 et sa co-fondatrice Brigitte Gothière est étonnante puisque, dans un entretien accordé à lci.fr, elle explique que « les animaux d’élevages sont domestiqués depuis des lustres et on ne peut donc pas les relâcher dans la nature sans les condamner à mort. Notre idée est que les éleveurs continuent de s’occuper de leurs troupeaux mais sans les mener à l’abattoir. Ils entretiendraient nos paysages en jouant le rôle de tondeuse à gazon et en échange on leur laisserait la vie sauve. »
Mais la critique vegane de l’agriculture ne s’en tient pas qu’à l’élevage. En témoigne a contrario l’existence d’une véritable « agriculture vegane », qui s’appelle l’agriculture biocyclique végétalienne et qui est promue par l’Association pour l’agriculture biocyclique végétalienne (ABV). Les agriculteurs qui pratiquent cette agriculture « n’utilisent pas d’engrais (fumier solide, lisier, etc.) ou d’autres substances issues d’excréments ou de parties de corps animaux », et pas de « farines animales (à base de plumes, os, poils, cornes, etc.) ». Il existe ainsi depuis 2017 une certification spécifique de cette agriculture – le standard biocyclique végétalien – en tant que standard IFOAM de l’Association internationale d’agriculture biologique. Il s’agit en fait d’une variante de l’agriculture biologique qui s’inspire des pratiques de l’allemand Adolf Hoops.
Au-delà de l’évidente mode autour des vegans, qui amène de plus en plus les entreprises de l’agroalimentaire et des enseignes de la distribution à proposer des produits « veggies », on peut considérer que le veganisme est sans aucun doute un véritable phénomène de société. Celui-ci s’explique notamment par l’évolution du rapport de la société à l’animal, à la viande, à la souffrance et à la mort et peut-être aussi pour certains par un besoin à la fois de sens dans une société sans repères et d’interdits dans une société ultrapermissive…
Mais, le veganisme apparaît tout de même avant tout comme un courant critique de l’élevage industriel. La sociologue Jocelyne Porcher, qui est généralement très critique vis-à-vis des animalistes, explique ainsi dans L’Opinion que « L’essor du veganisme est une conséquence de la violence des élevages industriels ». Il apparaît, en effet, comme le fruit d’une convergence entre la préoccupation croissante qui se manifeste dans la société en faveur du bien-être animal et le rejet qu’inspirent de plus en plus les processus industriels et la massification de la production a fortiori lorsqu’elle implique des animaux.
Il convient néanmoins de ne pas jeter le bébé (l’élevage) avec l’eau du bain (certains excès et dérapages de l’élevage industriel). D’où sans doute la nécessité, comme l’écrit la même Jocelyne Porcher dans son ouvrage Vivre avec les animaux. Une utopie du XXIe siècle (La Découverte, 2014) de « sauver l’élevage en évitant son assujettissement au système d’exploitation et de mise à mort industrielles ».
Pour en savoir plus : https://www.certification-vegan.fr (site d’Expertise Vegane Europe) ; https://www.certification-vegan.fr/EVE-referentiel-conformite-vegane.php (information sur le « référentiel EVE Vegan ») ; http://lobsoco.com/wp-content/uploads/2017/10/LObSoCo-I-Observatoire-des-ethiq-ues-alimentaires-I-Infographie.pdf (enquête de 2017 de l’Observatoire Société et consommation-ObSoCo) ; https://www.lopinion.fr/edition/economie/bienvenue-veganistan-155666 (article de L’Opinion consacré aux végans publié en juin 2018 et cité à plusieurs reprises dans cet article) ; http://academie-technologies-prod.s3.amazonaws.com/2016/06/03/13/05/15/640/Laperceptiondesrisques_2016.pdf (rapport de G. Bronner et E. Klein pour l’Académie des technologies, La perception des risques. Un enjeu pour les sciences et les techniques, 2016) ; http://ecorev.org/spip.php?article41 (extrait d’un entretien accordé par Serge Moscovici à la Revue critique d’écologie politique en mai 2000) ; https://journals.aps.org/pre/abstract/10.1103/PhysRevE.84.011130 (étude de chercheurs du Rensselaer Polytechnic Institute, Xie J. & ali, « Social consensus through the influence of committed minorities », Physical Review E, juillet 2011) ; http://269liberationanimale.fr/fr/presentation-association (source de la citation de 269 Libération animale) ; https://pantheresenragees.noblogs.org (site du mouvement des « veganes antifa » Les Panthères enragées) ; http://www.slate.fr/story/153122/vegan-tendance-neonazis (article publié dans Slate en octobre 2017 sur la tendance végane chez les néonazis) ; https://blog.l214.com/2018/06/04/pourquoi-theorie-du-tube-dentifrice-est-livre-qui-compte (source des citation de L214 à propos de Henry Spira) ; http://www.shan.fr/les-ingredients-dune-communication-explosive-par-nicolas-vanderbiest-et-amaury-bessard (rapport de 2018 de l’agence Shan sur la communication de L214) ; http://www.boucherie-france.org/communique-1661 (courrier de la CFBCT adressé au ministre de l’Intérieur en juin 2018) ; http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/06/28/01016-20180628ARTFIG00341-vises-par-des-actes-de-vandalisme-les-bouchers-appellent-a-l-aide.php (source du nombre d’attaques commises depuis un an contre les boucheries-charcuterie et de la citation de J-F. Guihard dans Le Figaro du 28 juin 2018) ; https://www.francetvinfo.fr/societe/alexandre-vegan-aimerait-mourir-pour-les-animaux_558227.html (source du témoignage du fondateur du collectif 269 Life France dans France info en mai 2014) ; http://fr.abolitionistapproach.com (site internet expliquant les fondements de l’approche abolitionniste) ; http://www.abolitionistapproach.com/wp-content/uploads/2015/07/20150710-ARAA_Pamphlet_French-USLetter.pdf (source de la citation dans la partie sur l’abolitionnisme de l’élevage) ; http://abolir-la-viande.org (site internet d’Abolir la viande) ; http://meat-abolition.org/fr/supporters#france (liste des soutiens du Mouvement international pour l’abolition de la viande) ; https://www.lci.fr/societe/du-simple-mode-vie-a-l-activisme-aux-methodes-musclees-les-vegans-vont-ils-trop-loin-l214-abattoir-degradation-boucherie-2091476.html (source de l’entretien accordé par Brigitte Gothière à lci.fr, 25 juin 2018) ; http://www.abv-france.org.
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