Focaliser les traitements phytosanitaires sur les parties problématiques uniquement devient une réalité technologique et commerciale, mais qui nécessite encore de trouver son organisation et sa rentabilité pour changer d’échelle au sein des ETA.
Avec l’arrivée de nouvelles générations de capteurs, l’analyse d’image par intelligence artificielle, et les rampes à électrovannes individuelles, la pulvérisation ciblée et automatisée notamment des adventices devient une réalité depuis la fin des années 2010. Le désherbage localisé offre notamment une alternative qui peut être intéressante vis-à-vis des robots de désherbage qui sont encore réservés à des systèmes de cultures à haute valeur ajoutée et limités à des parcelles peu accidentées. En ce milieu des années 2020, ces prestations semblent cependant chercher encore leurs modèles, tandis que les technologies continuent de progresser. Le coût des équipements paraît le principal frein alors que l’efficacité fait ses preuves sur le terrain. Ces matériels nécessitent de trouver un diviseur de charge dans le nombre d’hectares traités que seules les économies de produits phytosanitaires ne semblent pas compenser.
La chose n’est pas impossible, comme le montre le fonctionnement réussi de certaines ETA et de certains agriculteurs, notamment en Cuma ou même en individuel. Le réseau Cléo qui vise à éprouver l’innovation dans le matériel agricole en vue de son transfert possible dans les ETA confirme un intérêt au travers d’essais en cours « sur le plan environnemental, économique et technique », d’un système (Amazone – CarbonBee) de rampe de traitement localisé sur cultures de maïs et de betterave auprès de l’ETA Hamon en Bretagne. « Sur l’ensemble des parcelles, nous avons pu réduire de 10 à 50 % la quantité de produit appliquée pour une efficacité équivalente à un passage en plein, souligne un responsable du réseau. Cette baisse de l’utilisation de désherbants s’accompagne : d’une baisse de la phytotoxicité des plantes, d’une réduction de l’impact de l’agriculture sur l’environnement, et d’une amélioration de la performance économique des exploitations. Ces résultats nous encouragent à poursuivre dans cette voie, et à poursuivre les essais les deux prochaines années ».
Les solutions de désherbage localisé reposent essentiellement sur des systèmes de détection associés à des modèles d’intelligence artificielle (IA), qui permettent de lire précisément ce qui se passe aux champs. Caméra 3D, capteur hyperspectraux, capteurs de fluorescence, infrarouge… L’acquisition des signaux est reçue par diverses technologies et qui permettent d’évaluer et de localiser la biomasse, la chlorophylle, les parties de terre nue, et même d’identifier la nature de certaines adventices ou de repérer précisément les plantes cultivées. La technologie à caméra 3D promet de pouvoir détecter spécifiquement certains types de plantes et cette vision est aussi utilisée pour moduler la hauteur de rampe. Les caméras infrarouges sont très utiles pour donner des indications de biomasse. La plupart des constructeurs proposent des systèmes avec capteurs embarqués capables de travailler dans des situations difficiles, mais il est à noter que certains systèmes sont sensibles aux données météorologiques, comme les temps de fort brouillard par exemple. Par ailleurs, il faut souligner que certaines start-up proposent de décomposer l’acquisition des données à l’aide d’un drone par exemple, pour ensuite passer un outil. On évite ainsi l’investissement dans les capteurs de rampe, mais on occasionne des frais de drone.
Associés à des buses à commande électronique, ces systèmes embarqués ou non d’analyse intelligente des données, permettent de travailler selon différents modes. Ils agissent par commande de coupure / ouverture de buse simple, voire en modulation du débit de la buse comme le propose par exemple le système AmaSpot. Kuhn avec son système I-Spray, ou encore Berthoud avec son pulvérisateur Sniper, proposent par exemple de traiter une dose à faible volume en plein, et une dose additionnelle en localisée en fonction des données du capteur. Ces IA peuvent traiter sur sol nu uniquement la végétation adventice ou en vert sur vert par ciblage des adventices par exemple. Elles sont capables de traiter exclusivement la culture pour l’application d’un fongicide, d’un biostimulant, d’un régulateur, d’un insecticide ou d’un engrais par exemple en prenant en compte la biomasse ou d’autres interprétations du capteur. « Cela permet également aux agriculteurs de repenser leur pulvérisation d’engrais liquide et de fongicides », complète un responsable de John-Deere à propos du système See&Spray. La détection de biomasse permet d’envisager des applications comme la modulation du défanage chimique en pommes de terre, comme l’indique le constructeur Agrifac : « la dose augmente dans les zones les plus feuillues alors que la machine pulvérise moins de produits chimiques lorsque les feuilles sont pratiquement mortes », explique le constructeur à propos de son système AIC plus.
Les possibilités sont nombreuses. Les systèmes les plus aboutis sont certainement ceux qui détectent avec précision les espèces de mauvaises herbes comme le datura, le rumex, les chardons… Mais pour une grande part, il reste encore à trouver les bons modèles en termes de fiabilité, d’économies de produit avec une valorisation sur un diviseur de surface maximum pour diluer les frais fixes lié au coût de l’équipement. Sachant que les coûts annoncés peuvent dépasser les 2 000 € par mètre pour une rampe classique, et c’est dix fois plus pour un système à caisson. Une tarification qui peut évoluer au gré de l’inflation sur les matériels agricoles et à laquelle il faut le cas échéant ajouter le prix d’un abonnement aux algorithmes de l’intelligence artificielle.
Les constructeurs annoncent des économies de produit l’ordre de 50 à 90 %. En ciblage des adventices, les systèmes de traitement ultra-localisés dans ce cas peuvent atteindre une économie de 90 à 95 % de produit tout en accroissant l’efficacité. Tels sont les retours d’expérience de plusieurs utilisateurs de la machine ARA d’Ecorobotix. La machine qui fonctionne avec des caissons opaques et des caméras 3D a fait ses preuves notamment en cultures légumières, mais également sur prairies auprès d’une inter Cuma de la Manche. Cependant, pour amortir le matériel, les agriculteurs ont dû regrouper près de 200 exploitations agricoles pour un total de 1200 ha. En outre, ils peuvent compter sur l’engagement de leurs chauffeurs qui sont eux-mêmes agriculteurs et adhérents de la Cuma pour valoriser les fenêtres de tir lorsqu’elles se présentent. Le responsable du projet, Guillaume Martel chiffre entre 700 et 750 ha la surface minimum pour amortir ce type de matériel. Les débits de chantier constatés par la Cuma sur prairies sont de l’ordre de 2 ha/h pour traiter les rumex. À noter que plus les parcelles sont infestées et plus la machine est ralentie dans son débit. Cependant, l’amplitude de travail au cours de la saison est assez large, de jour comme de nuit. Il faut surtout respecter les stades des adventices pour traiter le plus efficacement possible.
Le coût total hors produit, « heure tracteur-heure chauffeur » est évalué à 80-90 €/ha pour la mise en place d’un nouveau projet. Ces chiffres sont à prendre en compte pour développer cette activité en ETA. Les entreprises suisses de travaux agricoles Rouiller et Andrey Schafer l’ont cependant adopté sur prairies. En Bretagne, deux ETA s’équipent, en partenariat avec le groupe agroalimentaire Eureden, pour traiter des cultures légumières. Dans les secteurs de production d’oignons également, la machine se développe en ETA comme en Eure-et-Loir. L’utilisation en caisson en fait un outil utilisable par vent modéré, car il évite la dérive, ce qui accroît les conditions possibles de traitement.
Les économies de produits sont en tout cas au rendez-vous, à tel point que la cuve d’eau est beaucoup plus grosse que celle de la bouillie. En outre, comme les quantités épandues à l’hectare sont faibles, le produit peut être plus concentré pour améliorer l’efficacité sans risquer de dépasser les doses. En revanche, comme les adventices sont repérées en temps réel, il est difficile d’apprécier à l’avance la quantité de produit qui sera utilisée. Le constructeur Ecorobotix travaille aussi sur la conception du châssis pour le rendre plus robuste afin qu’il s’adapte encore mieux à l’avenir aux terrains plus accidentés.
Dans un contexte réglementaire et environnemental avec une pression sur les indices de fréquence de traitement, des résistances aux produits et le retrait de molécules, les systèmes de pulvérisation localisée dopées à l’IA sont porteurs d’espoir. La réduction peut atteindre jusqu’à vingt fois la dose d’un traitement en plein avec une efficacité qui peut même être améliorée. Les effets non intentionnels des produits phytosanitaires sont alors réduits. Il reste cependant à en trouver tout le champ des applications pour pouvoir changer d’échelle et gagner les marchés de volumes chez les céréaliers et les éleveurs. Les conditions optimales d’utilisation sont notamment un facteur limitant pour accroître les surfaces travaillées par l’outil à l’année, surtout lorsque ces outils ont des débits faibles et ralentis par l’outil. Par ailleurs, ces matériels sont encore peu reconnus par la réglementation, notamment pour obtenir des subventions à l’achat ou pour avoir des possibilités de traiter en zones sensibles (ZNT par exemple). Ces outils restent considérés comme des pulvérisateurs basiques et se trouvent encore exclus de certains cahiers des charges de production, ou sur prairies dans le cadre de certaines mesures agro-environnementales et climatiques sur prairies.