Les politiques de réduction des gaz à effet de serre auront probablement plus d’impacts sur le transport maritime que le réchauffement climatique.
La hausse des températures du globe rend possible la navigation par le nord de la Sibérie. Les cargos partant de Vancouver ou de Vladivostok atteindront plus rapidement les ports nord européens qu’en passant par le canal de Suez ou par le sud du continent africain.
Mais selon Michel Portier, président d’Agritel, organisme spécialiste de la gestion de risques, seule une faible partie du trafic maritime pourrait tirer un avantage de cette nouvelle route. Il était un des intervenants du colloque de l’Aftaa (spécialiste des formations en alimentation et productions animales) qui s’est tenu le 30 janvier dernier à Paris.
En effet, le trafic maritime impose la présence de ports accostables, d’infrastructures terre-mer et aussi d’une population dense qu’il faut approvisionner. Car durant leur périple de plusieurs semaines, les cargos ont l’habitude de faire des haltes pour livrer une partie de leurs marchandises et pour en charger de nouvelles.
« Or la nouvelle route maritime arctique n’offre aucune opportunité de ce genre. Les navires qui l’empruntent longent des déserts humains, précise Cyrille Poirier Coutansais, directeur de recherches du Centre d’études stratégiques de la marine (CESM). Il participait pour sa part le 31 janvier à l’édition 2020 de Paris Grain Day, organisé par Agritel.
De plus, la météorologie est capricieuse et pourrait ralentir la circulation des cargos qui ont besoins d’une certaine sécurité climatique pour arriver à temps à destination. Seule l’industrie pétrolière russe basée en Sibérie pourrait tirer quelques avantages.
Le changement climatique rend déjà plus difficile le trafic maritime au niveau du canal de Panama. Les récentes sécheresses dans la région donnent avant-goût des difficultés de maintenir un courant d’eau suffisant pour permettre aux cargos de traverser le canal pour d’atteindre l’océan Pacifique ou Atlantique sans avoir à franchir le Cap Horn. De même en Europe, le trafic fluvial sur le canal du Rhin a été perturbé à plusieurs reprises durant les récentes périodes caniculaires.
En revanche, les politiques de réduction de gaz à effet de serre pourraient modifier profondément le transport maritime, défend Cyrille P. Coutensais.
Les nouvelles normes d’émission de soufre imposent aux navires de réduire leur vitesse en mer ce qui renchérira le coût du fret. Or ces coûts supplémentaires pénaliseront les pays les plus éloignés de leurs clients alors qu’ils font face à d’importants frais pour acheminer leurs céréales dans les ports.
En Russie ou au Canada, ces frais peuvent aisément atteindre 40 euros par tonne sans compter le fobbing (frais de mise en bateau). A ces frais s’ajoute, sur la Mer Noire, le coût de transvasement des céréales, des petits navires du type Handysize, chargés dans les ports peu profonds de la mer d’Azov, dans des cargos du type Panamax, amarrés dans la Mer Noire, en partance pour des destinations lointaines (jusqu’à 20 €/t).
Aussi, ces contraintes logistiques pourraient réorienter les flux commerciaux en les régionalisant. Les pays maghrébins seraient ainsi plus accessibles pour la France puisque le blé de la Mer Noire ou en provenance du continent américain deviendrait en effet trop onéreux pour être acheminé.
Mais la baisse programmée de 40 % des émissions de CO2 par tonne de marchandises transportée en 2030, puis de 50 % en 2050 par rapport à 2008 va conduire les armateurs à investir dans des bateaux propulsés au GNL, 20 % plus chers qu’un navire diesel, puis à remplacer plus tard ce carburant par du méthane décarboné. Comme ces nouvelles contraintes ont un coût, les céréales bon marché importées d’Outre atlantique ou de Mercosur pour approvisionner le continent africain par exemple, pourraient ne plus être compétitives au regard de celles expédiées de France, 4e exportateur mondial de blé.
Ci-dessous, port céréalier (photo Adobe).