Depuis un an, la guerre en Ukraine et l’augmentation des prix de l’énergie et des intrants rendent obsolètes les objectifs de la stratégie Farm to Fork de la Commission européenne. La hausse des prix de l’énergie donne indirectement une idée de ce que représenterait la taxation du carbone aux frontières européennes. Des agriculteurs sont déjà tentés de produire moins.
La guerre en Ukraine met entre parenthèses le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne que la Commission européenne pourrait être tentée de mettre en œuvre pour que l’agriculture européenne atteigne la neutralité carbone. Ce mécanisme taxerait les produits agricoles importés en fonction de leur empreinte carbone.
Cette taxation préserverait le marché européen des importations de produits en provenance de pays qui ne s’inscrivent pas dans cette logique.
Mais les prix des de l’énergie et des engrais sont si élevés qu’ils relèguent aux calendes grecques la mise en place d’un tel MACF.
En fait, ces hausses des prix subies sont quelque peu assimilables à taxation déguisée qui pénalise quasiment toutes les agricultures du monde.
« La réalité du marché a dépassé, dans les effets immédiats, les projets de prélèvements aux frontières, au point qu’au lieu d’alourdir la fiscalité carbone au sens large, il s’est avéré nécessaire de l’alléger pour tempérer les tensions des marchés subies par tous les acteurs économiques », écrit Bernard Valluis, consultant et expert associé au Liberté Living Lab dans un des chapitres de l’édition du Démeter 2024 intitulé « Fiscalité carbone: contrainte ou aubaine pour l’agriculture ». L’ouvrage réalisé sous la direction de Sébastien Abis a été présenté à la presse au mois de février dernier.
Dans son article, l’auteur restitue la simulation réalisée par quatre étudiants d’AgroParis Tech portant sur les impacts d’un MACF, sur l’agriculture européenne, appliqué sur les importations d’engrais.
En taxant les engrais importés en fonction de l’empreinte carbone des pays dont-ils proviennent, avec un prix de la tonne de CO2 compris entre 80 € à 200 € la tonne, l’Union européenne établirait une taxe aux frontières européennes qui varierait de 347 € à 2700 € par tonne d’engrais.
En conséquence, les agriculteurs européens ne cultiveraient plus que les terres les plus productives. La superficie européenne des friches augmenterait considérablement et pourrait même doubler.
Avec un prélèvement de 2 700 €/t, elle atteindrait 10 millions d’hectares.
Dans le même temps, la récolte de céréales baisserait de plus de 40 millions de tonnes par an à 200 millions de tonnes environ. Moins d’engrais est en effet épandu et les rendements déclinent.
Mais la collecte de la taxe prélevée sur les engrais serait reversée aux agriculteurs. Aussi, leur manque à gagner serait alors fortement atténué: la marge brute céréales de 150 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne baisserait de 10 à 20 milliards d’euros.
Et dans le même temps, le bilan carbone se serait grandement amélioré : les émissions de N2O diminueraient des deux tiers et celles de CH4 de 40 000 kilos tonnes équivalent de CO2.
Mais pour être efficace, la taxe de 2 700 €/t impliquerait au premier abord la disparition des quotas gratuits de CO2 sur le marché régulier.
Quel que soit son montant, une taxe appliquée aux engrais importés impacterait la production Mais à 367€/t d’engrais (ce qui correspondant à valoriser la tonne de CO2 80 €), la baisse ne serait que de quelques points.
Toutefois, « les ressources issues de la vente des crédits carbone ne seront pas suffisantes tant que le prix du carbone restera significativement inférieur à 100 €/t », souligne Bernard Valluis
Une nouvelle forme de protectionnisme
Pour l’Organisation mondiale du commerce, l’instauration d’un MACF serait assimilée à une forme de protectionnisme.
A l’export, le caractère asymétrique du dispositif renforcera le manque de compétitivité de produits européens, surtout si aucun mécanisme de restitution n’est instauré.
En fait le MCAF est applicable en temps de paix, lorsque les marchés des céréales sont équilibrés et bien approvisionnés.
En instaurant un tel mécanisme, l’Union européenne compte sur les autres bassins de production exportateurs de céréales dans le monde pour compenser les millions de tonnes supplémentaires nécessaires qui manquent pour pourvoir aux besoins des pays importateurs.
En conséquence, elle ferait émettre les gaz à effet de serre qu’elle n’émettrait plus.
Depuis que la guerre en Ukraine a débuté, la mise en œuvre de la stratégie Farm to Fork serait un facteur de déséquilibre supplémentaire des marchés des céréales et de la sécurité alimentaire de la planète.
Et avec des cours des céréales inférieurs à leur niveau d’avant la guerre en Ukraine, quel producteur ne craint pas en cette fin de campagne d’être victime de l’effet ciseau, auturement dit de produire à perte, avec des coûts de production plus élevés que les prix de vente du marché !