sans adieu

Sans Adieu, dernier hommage à la paysannerie

Ce mercredi 25 octobre, le documentaire Sans Adieu sort dans les salles de cinéma. Il met en scène des paysans du Forez, et leur survie face aux éléments… WikiAgri l’a visionné en avant-première et peut vous le présenter.

Pendant treize ans, le photographe auvergnat Christophe Agou a filmé des petites fermes du Forez. Mois après mois, on suit la lutte quotidienne de ces agriculteurs invisibles pour préserver leurs biens, leur travail et leur vie. Survivre, encore et toujours. Raymond, Mathilde, Claudette, Jean, Jean-Clément, Christiane… crèvent l’écran avec leur tendresse, leur force et leur bon sens désabusé face à la violence de la société qui les méprise. Présenté par L’Acid (association du cinéma indépendant pour sa diffusion), le documentaire posthume a été l’un des chocs du dernier festival de Cannes.

L’ambiance austère rappelle les documentaires de Depardon. A l’horizon d’un champ, on devine deux chevaux de trait sous la brume glaciale du petit matin. Pas de couleur. La caméra posée au ras du sol s’attarde sur un chien noir qui joue avec une oie blanche. Au loin, on entend un moteur de tracteur puis une voix puissante qui déchire le lourd silence. Apparait alors l’héroïne du film, Claudette, qui insulte son chien les pieds dans la boue.

Le téléphone sonne. Avec des brins de paille sur son tricot, elle décroche et soupire. C’est une nouvelle relance pour sa facture d’eau. Claudette n’a pas eu la force d’aller à la banque commander un chéquier, et elle refuse de faire un virement.

A 75 ans, elle n’en peut plus de son travail à la ferme. Elle voudrait bien prendre sa retraite, si seulement elle pouvait vendre ses bêtes et ses terres… Mais pas à n’importe qui, et pas à n’importe quel prix ! « Moi je n’y comprends plus rien avec les euros, mais quand même, ça fait pas bien des sous… Des bêtes comme ça, ça valait un million avant », soupire-t-elle avec son fort caractère et son accent délicieux… Tout le long du film, on la voit se battre avec ses papiers, ses comptes, ses courriers rédigés à la main, ses poules qui s’échappent… Parfois, elle craque, lassée et acculée.

Des paysans qui luttent pour survivre

Au fil de cette chronique acide et violente, on suit aussi le drame de Jean-Clément Chaperon, 53 ans. Ses 23 vaches laitières soupçonnées d’avoir contracté l’ESB ont été embarquées dans un camion sans paille ni sciure. Il est digne malgré la rage. Il tient la main de sa femme, reste poli, parvient même à sourire. Il insiste pour voir ses bêtes partir, pour que « quelqu’un de l’administration » assiste à la scène, à ce « morceau de lui qu’on emmène ». Et puis, il pense à son père. Pour maigre consolation, il se réjouit d’un article de soutien dans la presse agricole locale, et reconstitue un troupeau.

On s’attache à ces personnages vivants, parfois triviaux, bousculés par la modernité, résistants encore et toujours à l’inéluctable « progrès ». Comme ce viticulteur brisé depuis la mort de son frère, ou Christiane, la bergère pleine d’énergie mais qui en a plein le dos de ses tracas administratifs et amoureux. Ou ces trois compères sans âge qui refont le monde autour d’un verre, le verbe haut, pestant contre la société de consommation aseptisée. Leur détresse et leur misère serait insupportable, s’il n’y avait ses regards tendres et complices échangés avec le réalisateur.

Sans adieu, pour les invisibles

De 2002 à 2015, Christophe Agou a ainsi quitté New-York pour photographier et filmer le Forez de son enfance. A chaque fois qu’il repartait à New-York, Claudette lui disait « sans adieu », pour conjurer le sort. Et on a le sentiment que la société n’a jamais fait vraiment ses adieux à cette ruralité du passé, qu’il manquait un dernier hommage. Le titre est d’autant plus tragique que Christophe Agou est décédé à 45 ans, juste avant la post-production du film.

Ce qui frappe dans ces portraits, c’est la solitude de ces gens et leur invisibilité. Réduits à des images d’Epinal, méprisés par l’administration, ils ont déjà disparu… Comme cette agricultrice très âgée qui avance péniblement courbée sur sa canne, doublée par des coureurs sans même un regard. Mais la société ne semble plus être une réalité tangible pour ces gens. Elle leur parvient sous la forme de voix laconiques à la radio, de courriers froids, de publicités glacées. Stigmates d’un monde qui fonce dans le mur. A l’inverse, ces paysans courageux apparaissent extrêmement vivants, agissants et connectés à la vie. Même si leurs fermes se meurent, ils se réfugient dans le contact chaleureux avec leurs voisins et leurs animaux (notamment les chiens et les chats omniprésents). Et pour se rappeler que le bonheur a bel et bien existé, ils encombrent leur maison de bibelots, de souvenirs et de photos qu’ils présentent avec pudeur.

L’heure du crépuscule

Ce n’est sans doute pas par hasard que la caméra de Christophe Agou se focalise sur les vieilles horloges normandes. Les protagonistes posent d’ailleurs souvent la question « quelle heure est-il ? », comme s’ils prenaient soudain conscience d’être définitivement « en retard ». Alors, au final, il est temps pour certains de lâcher, de perdre, d’abandonner leurs rêves pour une vie un peu plus confortable en lotissement ou en maison de retraite. Bien loin des maisons brutes mais chaleureuses, où les poules et les mouches rodent joyeusement autour des tables. « Des fois, plus tu t’entêtes, plus tu t’esquintes. A un moment faut faire des choix… », philosophe l’un des agriculteurs devant son champ.

Même Claudette s’est résignée à céder le bail de sa ferme et déménager. Avec un seul regret : dans son nouvel univers médicalisé, elle n’a pas pu emmener son chien Titi qu’elle aimait tant…
 

En savoir plus : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=255685.html (pour retrouver les salles où ce documentaire est proposé).

Ci-dessous : copie d’écran de la vidéo de la bande-annonce.

 

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