Huit millions d’enfants morts qui auraient pu être sauvés sans l’intervention ultra dogmatique de Greenpeace, empêchant la mise en culture du riz doré, un riz OGM contenant la provitamine A dont ils avaient besoin : telle est l’accusation portée par Patrick Moore, un ancien dirigeant de Greenpeace !
Patrick Moore se fonde sur les données statistiques fournies par l’Unicef pour avancer ses chiffres. Selon l’Unicef donc, 8 millions d’enfants meurent chaque année, dont 28 % en raison de carences en vitamines A (ou plus précisément de suites à des carences en vitamines A). Selon les partisans du riz doré, sans l’intervention de Greenpeace, le riz doré, contenant cette vitamine, serait en culture depuis au moins quatre ans. « Nous avançons le chiffre de 8 millions d’enfants morts, a précisé Patrick Moore à WikiAgri au terme d’une conférence donnée par le Think Thank SAF Agr’Idées, mais c’est en fait un chiffre minimum, et qui continue d’évoluer.«
Ce sujet du riz doré est passionnant, car il regroupe à lui tout seul plusieurs thèmes à débats.
Le riz doré a été mis au point par une équipe de scientifiques, avec à sa tête Ingo Potrykus (lequel n’a pas pu venir de Zurich à la conférence de Saf Agr’Idées en raison des grèves de la Sncf…). Les populations pauvres sont majoritairement nourries par le riz. Et celui-ci apporte 80 % des calories nécessaires, mais pas de micronutriments, notamment la vitamine A. Les carences en vitamine A sont à l’origine de troubles oculaires majeurs, de perte de la vue, et autres troubles pouvant aller jusqu’à la mort. Une solution prônée consisterait à augmenter la diversité alimentaire, mais cela suppose toute une organisation, compliquée et longue à mettre en place, surtout en y incluant des produits animaux, et encore plus en tenant compte de la pauvreté ambiante. Le problème de la vitamine A est qu’elle n’est présente naturellement que chez l’animal. L’équipe d’Ingo Potrykus a donc introduit un nouveau composant au riz, appelé bêta-carotène, qui permet de synthétiser cette vitamine A. Ce bêta-carotène donne une couleur jaune très prononcée au riz, d’où le nom de riz doré. Le riz doré est donc un OGM.
Evidemment, un tel procédé réclame énormément de recherches, de sélections… Mais les exigences réglementaires envers les OGM d’une part, et les destructions de la part d’anti-OGM d’autre part coutent beaucoup plus cher. Il a ainsi été calculé que 9,5 % seulement des dépenses relatives au projet concernent directement l’approche scientifique et le développement des produits, alors 90,5 % de ces coûts sont liés, directement ou in directement, à la réglementation. Car les règles internationales sur les OGM sont régies par le protocole de Carthagène, particulièrement pointilleux, et réclamant 14 années pour répondre à tous les points réglementaires.
De fait, il a fallu trouvé un partenariat public-privé pour boucler le budget. C’est là que Syngenta est intervenu. Non seulement l’entreprise a aidé (largement) à concrétisation du projet, mais encore elle a contribué à son rôle humanitaire en refusant de percevoir les droits commerciaux des semences de riz doré, une fois mises au point : ainsi, ces semences peuvent être mises à disposition des agriculteurs des pays concernés par les carences en vitamine A (pour schématiser vite fait, une grosse ceinture équatoriale tout autour du globe, en Afrique, Asie, Amérique Latine…), à un tarif défiant toute concurrence, d’où la possibilité d’une mise en culture immédiate. Il a été calculé qu’une ration de 40 grammes de riz doré par jour par personne suffit à combler les carences en vitamines A. Pour répondre à l’aspect humanitaire du projet, les agriculteurs qui pourront les cultiver devront déclarer un revenu annuel inférieur à 10 000 $… Ce qui est le cas de la très grande majorité de ceux concernés dans ces zones géographiques.
Ainsi, là où les programmes médicamenteux (capsules) pour apporter de la vitamine A coûtent de 134 à 559 $ pour sauver une vie, le riz doré ne coûte que 3 $ à être développé pour le même résultat, tout compris (développement, réglementation, enregistrement des variétés, marketing social).
Notons au passage que la Saf développe toute une réflexion sur les partenariats public-privé, vecteurs d’innovations… Et qu’il serait peut-être temps d’arrêter de montrer du doigt les grands groupes industriels (tels Syngenta en l’occurrence) lorsque l’on constate qu’ils savent faire une croix sur de probants bénéfices à partir du moment où la cause est humanitaire. Autre précision, de nombreuses fondations s’intéressent au projet, celle de Bill Gates le défendant déjà.
Au-delà des aspects réglementaires pointilleux mentionnés plus haut, le riz doré se heurte à une campagne véhémente de la part de Greenpeace. C’est cette campagne que combat Patrick Moore. Ce Canadien fut l’un des cofondateurs de Greenpeace en son temps. Il se vante, photos à l’appui, d’avoir participé à plusieurs opérations spectaculaires de l’ONG, par exemple d’avoir tenté d’empêcher des tueries de bébés phoques ou encore de se mettre mis en travers des chalutiers pêchant les baleines. « Mais si j’ai quitté Greenpeace, c’est en raison d’un changement radical de l’ONG, a-t-il déclaré lors de la conférence de Saf Agr’Idées. Je crois que l’on peut être contre les OGM, mais accepter une exception humanitaire. Or Greenpeace la refuse, campe sur le « zéro tolérance » en matière d’OGM. Quand je lai quitté il y a 15 ans, Greenpeace voyait les hommes comme les ennemis de la Terre. Trop d’êtres humains polluent la Terre selon Greenpeace, il faut donc laisser une sorte de sélection naturelle s’opérer. Alors Greenpeace a entamé toute une série d’actions, incluant la désinformation.«
Il cite ainsi des destructions aux Philippines de sites d’essais de riz doré par de jeunes urbains recrutés par Greenpeace, qui prétendait qu’il s’agissait d’agriculteurs mécontents. Ou encore des manifestations affirmant que le riz doré est mortel, alors que toutes les vérifications scientifiques démontrent le contraire.
Selon Patrick Moore, cette véhémence existe parce qu’elle rapporte : « Greenpeace vit de la croyance humaine, et des subventions qu’elle récolte pour cela. » Klaus Ammann, botaniste suisse et professeur d’université émérite, également intervenant dans la conférence, renchérit : « Les croyances fondées sur la peur font appel à un instinct de l’humain qui date de la tribu, quand il valait mieux avoir peur pour être prévenu du danger. Mais aujourd’hui, où sont les menaces ? Pourquoi entretenir les peurs ? » Sinon pour conserver l’accès aux précieux deniers, selon les deux conférenciers. Au passage, Patrick Moore ne s’est pas gêné pour rappeler la dernière péripétie financière qui secoue Greenpeace en ce moment, à savoir la perte par l’un de leurs traders de 5 millions de dollars, comme si une ONG sincère pouvait se permettre de tels comportements…
Au-delà du sujet du riz doré, si l’on considère qu’une exception humanitaire doit être envisagée pour un OGM, quelle peut être la signification pour les autres OGM ? Patrick Moore reprend les arguments de Greenpeace, pour mieux les contrer et en faire son… cheval de bataille : « Greenpeace refuse l’exception humanitaire pour le riz doré en considérant qu’il pourrait s’agir d’un cheval de Troie, qu’une fois qu’on aura autorisé un OGM d’autres viendront. Hé bien je suis d’accord. Aux Philippines, on constate que les revenus des agriculteurs ont augmenté de 155 millions de dollars par an – ce qui contribue à les sortir de la misère – et l’emploi des pesticides a baissé de 50 %, ceci depuis l’utilisation de maïs transgéniques en 2002. En Inde, c’est le coton BT qui a permis de combattre les ravageurs, donc d’augmenter les rendements, à tel point que ce pays importateur est devenu exportateur en coton. Alors je vous dis : ok, moi je vais sur le cheval de Troie. Qui m’accompagne ?«
Huit millions d’enfants qui auraient pu être sauvés, et des millions à sauver à venir. Le riz doré, finalement, n’est-il pas la fin de cette question sempiternelle question stupide « pour ou contre les OGM ? », totalement dépassée avec les événements ? Même Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture français (invité à la conférence mais excusé), s’est prononcé en faveur du riz doré, en évoquant un concept encore obscur qu’il devrait certainement expliciter un jour, « d’OGM de deuxième génération« .
Finalement, cette image de « cheval de Troie » est bien guerrière quand autant de vies sont en jeu. Là où le simple bon sens pourrait suffire. Ne trouvez-vous pas ?
En savoir plus : http://allowgoldenricenow.org/accueil (le site internet de Patrick Moore) ; http://irri.org/golden-rice (en savoir plus sur le riz doré) ; http://www.theguardian.com/environment/2014/jun/16/greenpeace-loses-3m-pounds-currency-speculation (comment un trader de Greenpeace a joué avec les millions de dollars).
Cet article est repris sur Atlantico sous l’url http://www.atlantico.fr/decryptage/greenpeace-accuse-crime-contre-humanite-anciens-responsables-wikiagri-1626033.html.
Ci-dessous, la conférence de la SAF Agr’Idées, animée par Marie-Cécile Hénard (à droite) avec ici de gauche à droite le médecin Gilles Renard, Agnès Ricroch (AgroParisTech), et l’ingénieur agronome Pierre Henri Texier. Même si nous n’avons pas cité ces intervenants dans l’article ci-dessus, plusieurs renseignements y figurant viennent de leurs interventions.
Ci-dessous, le riz doré.
Ci-dessous, photo prise la veille, lorsque Patrick Moore (à droite) a manifesté devant le siège de Greenpeace à Paris.
Ci-dessous, Patrick Moore.