Dans chaque filière, le revenu des agriculteurs et des éleveurs est d’abord lié à la conjoncture des prix. Seuls les éleveurs de porcs et deux catégories de producteurs de lait dégagent un revenu brut, avant charges sociales, supérieur à 2 Smic par mois. La loi EGAlim a été formulée à partir de la nécessité de mieux redistribuer la valeur ajoutée tout au long de la chaine agroalimentaire. Mais dans les faits, rien n’a vraiment changé.
Une rémunération de 2 Smic par mois et par actif non salarié (ou par unité de travail agricole non salarié : UTANS) équivaut à un revenu de 52 800 € par an, charges sociales incluses.
Le neuvième rapport de l’Observatoire des marges et des prix dresse, par filière, un nouveau bilan de la répartition de la valeur ajoutée et des marges tout au long de la chaine de production de la fourche à la fourchette.
Or 2019 a été la première année d’application de la loi EGAlim. Celle-ci permet de construire des prix de vente en prenant en compte les coûts de production des agriculteurs sur la base d’indicateurs. Mais dans les faits, rien n’a vraiment changé. L’an passé, les producteurs de porcs doivent leurs revenus élevés à la conjoncture et à la pénurie de viande de porc en Chine. Seule la filière laitière semble avoir tiré quelques bénéfices de la loi EGAlim. Sinon, les prix et les revenus agricoles restent des variables d’ajustement.
Dans le même temps, les prix à la consommation des produits alimentaires ont progressé de 2,5 % l’an passé. Cette hausse n’a donc pas profité aux éleveurs et aux agriculteurs.
En effet, les prix à la production ont augmenté en moyenne de 1,8 % par rapport à 2018, une évolution en grande partie compensée par les prix des moyens de production (+ 1,6 %).
L’inventaire par filière des revenus des agriculteurs, dressé dans le rapport de plus de 400 pages de l’Observatoire cité plus haut, est le suivant.
Le résultat courant moyen par UTANS (unité de travail agricole non salarié) des producteurs de blé (des céréaliers très spécialisés dans cette production) est à peine supérieur à 1,1 Smic.
En 2018, le résultat courant par UTANS (24 600 €) dépassait à peine le montant des aides Pac reçues (23 500 €). Autrement dit, la production de blé n’est pas suffisamment rentable pour dégager à elle seule un revenu.
En 2019, la situation ne s’est pas améliorée. Le produit de vente par tonne, aides Pac incluses, a diminué de 23 €/t, passant de 205 €/t à 182 €/t. Mais grâce aux bonnes récoltes de l’an passé (8,7 t par ha en moyenne au niveau national), le coût de production par tonne de blé (177 €/t) a diminué de 16 € par tonne par rapport à 2018. Les charges ont été réparties sur un volume de production plus important.
Autre enseignement de l’année passée : la baisse du prix du blé « n’a pas eu d’incidence sur le prix de la farine et du pain compte-tenu de la faible part du blé dans leur coût de revient (13 % environ de la valeur de la farine sortie meunerie et 6 % de la valeur du pain) », souligne les contributeurs du rapport sur les marges et les prix. Au contraire, le prix de la baguette a crû de 2 centimes, autrement dit les meuniers et les boulangers ont au moins maintenu leurs marges aux dépens des céréaliers.
Pour les producteurs de blé dur, la situation est catastrophique. L’Observatoire ne dispose pas encore d’informations pour 2019 mais durant les trois années précédentes, la production de blé dur était gravement déficitaire. En 2018, le produit de vente (146 €/t), ajouté aux aides Pac, permettait à peine de couvrir les coûts de production. Les aides reçues (23 000 €/UTANS) étaient quasiment absorbées pour financer les charges. Si bien que le résultat courant par UTANS des producteurs spécialisés de blé dur n’excédait pas 4 000 € !
La hausse des prix du porc en 2019 a bénéficié aux producteurs, le coût moyen de production étant resté stable (1,49 €/kg en incluant une rémunération de 2 smic par UTANS).
« Les cotations des carcasses E+S ont particulièrement augmenté en 2019 pour le porc, atteignant 1,65 €/kilo de carcasse (contre 1,36 €/kilo en 2018), en raison de la forte demande chinoise à l’international suite à l’abattage d’une partie de son cheptel pour cause de peste porcine africaine », analyse l’Observatoire.
Aussi, le résultat courant par UTANS a atteint l’an passé 84 800 € alors que les aides reçues n’ont pas excédé 12 200 € par UTANS. Hormis l’année 2014, le résultat courant a toujours excédé le montant des aides reçues même si la différence était parfois tenue (en 2015 et 2018).
Parmi les catégories d’éleveurs de bovins viande, attardons-nous sur les producteurs de bovins viande spécialisés. Leur résultat courant (14 200 € par UTANS) est largement inférieur au montant des aides reçues (36 700 € par UTANS).
En 2019, le coût de production s’élève à 491 € pour 100 kg vif. Or l’ensemble des produits (vente des bovins, produits joints et aides attribuées) s’élève à 419 € pour 100 kg vif, soit un déficit de 72 € par rapport au coût de production alors qu’il était de 57 € l’année précédente. La situation de ces éleveurs s’est donc dégradée.
Or en 2018, les produits avaient seulement permis la couverture des charges comptables et la rémunération du travail de l’éleveur à hauteur de 1 Smic par UTANS, souligne l’Observatoire.
Dans les systèmes « naisseurs-engraisseurs de jeunes bovins » et « naisseurs-engraisseurs et cultures », l’objectif de 2 Smic par UTANS n’est pas non plus prêt d’être atteint. Par éleveur, la rémunération du travail était respectivement de 1,4 et de 1,2 Smic.
Hors dans le même temps, l’Observatoire des prix et des marges rapporte que « le prix moyen au détail du haché réfrigéré à 5 % de matière grasse augmente modérément, avec en tendance une hausse de 1,3 % par an en moyenne sur 2011 – 2018, une augmentation encore plus marquée en 2019 par rapport à 2018 de + 4,4 %. Le haché réfrigéré à 15 % de matière grasse, quant à lui, progresse de + 1,8 % par an entre 2011 et 2019. Cette progression annuelle est encore importante pour le haché surgelé avec + 3,5 % en moyenne entre 2011 – 2019 ».
Dans les exploitations laitières spécialisées, le résultat courant par UTANS (23 400 €) est dorénavant supérieur au montant des aides reçues (20 500 €).
L’an passé, les 1 000 litres de lait ont été payés 374,90 € en moyenne, soit 4 % de plus qu’en 2018 (359,3 €/1 000 litres). En l’occurrence, l’application de la loi Egalim explique en partie cette progression.
Dans les systèmes « bovins lait spécialisé de plaine » et « lait et culture de vente », le revenu par actif non salarié avoine 2 Smic par mois. Les éleveurs de ces deux systèmes de production ont dégagé de meilleurs revenus que l’an passé.
Mais la situation des producteurs de lait de montagne ne s’est pas redressée par rapport à 2018 (revenu de 1,2 smic par UTANS). « Le coût de production s’élève en 2019 à 613 € pour 1 000 litres de lait, rapporte l’Observatoire. L’ensemble des produits (vente du lait, produits joints et aides attribuées) s’élèvent à 539 € pour 1000 litres de lait, soit un déficit de 74 €/1000 l sur le coût de production. »
Alors que les aides par UTANS s’élèvent à 42 500 €, le résultat courant des producteurs d’ovins viande spécialisés n’excède pas en moyenne 16 300 €. Selon les systèmes, le résultat courant oscille entre 1,1 Smic par UTANS (système en zone pastorale et de montagne) et 1,6 Smic par UTANS (système pastoral).
L’augmentation des aides de 4-5 000 € par UTANS depuis 2015 n’a eu aucune incidence sur le résultat courant des systèmes de production.
Par rapport à 2018, la rémunération permise des éleveurs se dégrade dans l’ensemble des systèmes. Or elle n’était que de 1 Smic par actif dans le système « fourragers » et dans le système « herbagers en zones de plaines ou herbagères », à 0,9 Smic par actif pour les exploitations du système « herbagers en zones pastorales ou de montagne » et à 1,6 Smic par actif dans le système « pastoraux ».
Dans le même temps, l’Observatoire souligne que « le prix moyen au détail du panier de morceaux de viande ovine a augmenté de 29 centimes par kilogramme, en lien avec une augmentation des prix de tous les morceaux, excepté le prix de la côte, qui reste stable. La marge brute globale industrie-distribution a augmenté de 46 centimes par kilogramme en 2019 par rapport à 2018. »
Dans l’ensemble, les coûts de production des volailles ont diminué, aussi bien pour le poulet que pour la dinde, conséquence de la baisse du coût de l’aliment liée au repli des cours des céréales.
Dans la filière avicole, les prix de vente de poulet standard (1,31 €/kg) ont permis aux producteurs de dégager un résultat courant de 2 Smic par actif non salarié. Les années précédentes, l’objectif n’a pas été atteint. Les éleveurs accusaient même des pertes importantes. Les prix de vente des animaux ne compensaient pas le coût de l’alimentation beaucoup plus élevé que l’an passé. En 2012 notamment, ils étaient supérieurs de 21 centimes par kilo de poulet qu’en 2019.
La labélisation de la production de volailles n’est pas un gage de revenu. « En 2019, le coût de production atteint 2,77 €/kg, sous l’effet d’une légère baisse du prix de l’aliment et des poussins, souligne Observatoire. Or dans le même temps, le prix de vente des animaux n’a pas excédé 2,60 €/kg de carcasse…. Tandis que le prix au détail a augmenté de façon marquée en 2019, plus 21 centimes, principalement au profit de la marge brute agrégée industrie et distribution, en hausse de 14 centimes ».
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