roms2

Retour sur la polémique à propos des Roms

Les déclarations récentes de Manuel Valls sur les Roms ont suscité de vives polémiques. Elles rappellent malgré tout à quel point il peut exister un grand décalage entre ce que pense une partie des élites et ce que pense une majorité de Français.

La polémique à propos des Roms a rebondi avec les déclarations récentes du ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Le 24 septembre, celui-ci déclare sur France inter : « Depuis que je suis ministre, j’ai décidé du démantèlement de ces véritables bidonvilles qui représentent un danger pour les populations elles-mêmes mais aussi pour les habitants des quartiers populaires, car il sont souvent installés face à ces campements. Il n’y a pas d’autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire à la frontière ». Il ajoute que « c’est une évidence là aussi, nous le savons tous, la proximité de ces campements provoquent de la mendicité et aussi des vols, et donc de la délinquance ». Il estime enfin qu’« il est illusoire de penser que l’on règle le problème des populations Roms à travers uniquement l’insertion » car « ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation. Les Roms ont vocation à revenir en Bulgarie ou en Roumanie ». Il avait d’ailleurs déjà fait une déclaration qui allait dans le même sens le 15 mars dernier dans un entretien accordé au Figaro : « Les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution. […] Je partage les propos du premier ministre roumain quand ce dernier dit : « les Roms ont vocation à rester en Roumanie, à y retourner » ».

Ces déclarations ont suscité de très nombreuses réactions, la plupart du temps critiques, du moins pour celles que l’on a pu entendre dans les médias. Ce fut le cas de membres du gouvernement comme Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et surtout Cécile Duflot, qui, le 26, a accusé son collègue d’être allé « au-delà de ce qui met en danger le pacte républicain », mais aussi d’une partie de la presse, un éditorial du Monde paru le 25 étant titré « Roms : la faute lourde de Manuel Valls », et même des institutions européennes par la voix de la commissaire européenne à la Justice Viviane Reding, qui, déjà en 2010, avait vivement critiqué la position du gouvernement français sur les Roms.

Le 28 septembre, le quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France publie pourtant un sondage qui montre que 77 % des Français interrogés sont d’accord avec les propos de Manuel Valls (y compris 55 % des sympathisants de gauche) et 93 % estiment que les Roms s’intègrent mal dans la société française (ce sentiment est partagé par 84 % des sympathisants de gauche) et même pour 53 % d’entre eux qu’ils s’y intègrent très mal. Que penser de tout cela ?

Il est évident que, sur le sujet des Roms, comme sur d’autres sujets d’ailleurs, il existe un grand décalage entre les perceptions d’une partie des élites politiques, intellectuelles et médiatiques et ce que pense une large majorité des Français, ce qui tend à conforter le discrédit dont souffrent les premières aux yeux des seconds. Ce décalage paraît particulièrement perceptible à propos des Roms, par exemple, entre, d’un côté, un ministre ou un commissaire européen et, de l’autre le riverain d’un « camp de Roms », le maire d’une petite commune dans lequel nombre de Roms se sont installés illégalement, ou bien un agriculteur qui voit son champ occupé par cette population. En juillet, le maire de Guérande en Loire-Atlantique a ainsi démissionné car il n’a pu empêcher l’installation de 150 familles de gens du voyage sur un terrain de sport de sa commune, le maire de Château-d’Olonne en Vendée a fermé provisoirement sa mairie pour protester contre la multiplication des camps illégaux et enfin le maire d’une commune du Pays basque a fait déverser du lisier de cochon sur un terrain sportif pour empêcher des Roms de s’y installer. Des agriculteurs ont également chassé des Roms de leur champ à plusieurs reprises, que ce soit par exemple à Wissous dans l’Essonne en 2012 ou bien dans les Yvelines en 2013.

Néanmoins, deux interprétations erronées de ce qui s’est passé là doivent être écartées. La première est qu’il y a une majorité de racistes en France. Ignorer les problèmes générés par la présence de Roms en France, et plus largement les réticences d’une partie notable de la population vis-à-vis de la société multiculturelle, et y répondre par une argumentation consistant à faire une leçon de morale et à rappeler quelques principes généraux – le « Pacte républicain » dont parle Cécile Duflot, la libre circulation des personnes dont fait état Viviane Reding ou la nécessaire compassion humaine pour les associations de défense des Roms – ou bien combien ceux-ci sont les victimes de stéréotypes et de discriminations ne résout absolument rien. Cela ne changera ni la perception des Français, ni la situation des populations rom sur le terrain. On peut même supposer que cela contribuera à renforcer le sentiment partagé par une grande partie des Français selon lequel les politiques sont trop éloignés du « terrain » et de la vie « réelle », qu’ils ne les écoutent pas et ne répondent pas à leurs préoccupations et par conséquent à ouvrir un boulevard aux courants les plus démagogues. La seconde interprétation erronée consiste, au contraire, à considérer que le peuple ou le « terrain » a toujours raison et que les politiques, les technocrates ou les experts dans leur bureau ne comprennent jamais rien de ce qui se passe dans le « pays réel » et ont systématiquement tort.

Face à ce type de situation, deux écueils doivent être évitésLe premier est donc d’ignorer le problème. La gauche au pouvoir à l’époque de Lionel Jospin l’a appris à ses dépens en étant accusée de minimiser les problèmes liés à l’insécurité et à l’immigration et en le payant très cher sur le plan électoral lors de la présidentielle de 2002. C’est certainement la raison pour laquelle Manuel Valls parle systématiquement d’une « République intransigeante » pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Le second écueil est d’exploiter politiquement le sujet désormais si sensible des Roms. La droite sarkozyenne l’a également appris à ses dépens en cherchant trop à exploiter politiquement les questions liées à l’insécurité et à l’immigration, du ministère de l’Identité nationale de 2007 au discours de Grenoble de 2010, déjà en plein débat sur les Roms. Or, il semble bien que ce soit l’une des causes de son échec électoral en 2012. Ne pas ignorer le problème et ne pas l’exploiter politiquement, cela signifie reconnaître qu’il y a un problème lié à la présence de Roms en France, comme le sondage du Parisien semble l’attester, mais le traiter de façon sereine et humaine, sans en faire un enjeu (trop) politique. La fermeté affichée par Manuel Valls, qui semble trouver un certain écho dans l’opinion, suivra-t-elle cette voie ? On peut en tout cas l’espérer.

En savoir plus : www.franceinter.fr/emission-le-79-la-question-rom-dans-le-debat-politique (émission de France inter du 24 septembre 2013), www.leparisien.fr/politique/sondage-les-francais-soutiennent-valls-sur-les-roms-27-09-2013-3175463.php (sondage publié dans Le Parisien), www.bva.fr/fr/sondages/questions_d_actu_bva-cqfd/manuel_valls_et_la_polemique_sur_les_roms.html (sondage originel de l’institut BVA), www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/03/14/01016-20130314ARTFIG00647-roms-le-cri-d-alarme-et-le-message-de-fermete-de-valls.php (entretien de M. Valls accordé au Figaro le 15 mars 2013), https://wikiagri.fr/articles/les-gens-du-voyage-deloges-par-les-agriculteurs/621 (article de WikiAgri sur les gens du voyage délogés par des agriculteurs dans les Yvelines en juin dernier).

Notre photo ci-dessous : en juin dernier dans les Yvelines, sous le regard satisfait du député-maire de Houdan et d’autres élus locaux, les agriculteurs avaient épandu symboliquement du lisier dans un champ pour empêcher qu’il ne soit envahi par les Roms.

Article Précédent
Article Suivant