Depuis quelques années, les marchés mondiaux de produits laitiers et carnés sont des marchés d’offre déficitaire. Les cours atteignent des sommets. Dans ce contexte, les contingents de produits animaux accordés en contrepartie de la conclusion d’accords commerciaux entre pays ne semblent plus constituer un danger. Cependant, aucune filière n’est à l’abri d’un retournement de conjoncture.
Depuis des mois, jamais les prix du lait et de la viande n’ont été aussi élevés. Le seuil de 600 les 1 000 litres a été dépassé dans de nombreux pays européens. Même si en France, le seuil de 500 € à peine été franchi, le prix du lait bât des records. Il a progressé de 24 % en douze mois.
Sur les marchés de la viande, jamais les prix n’ont été aussi élevés. Les carcasses de viande ovine et bovine cotent 30 % de plus qu’il y a un an. Les œufs, plus de 40 % quand ils ne manquent pas dans les rayons.
En fait, les prix mondiaux des produits animaux, très liés à la demande de la Chine, se sont trouvés très tendus après la crise de la Covid puis après l’émergence de la guerre en Ukraine et de l’inflation.
Toutefois, les marchés agricoles ont appris à fonctionner en ne comptant plus, comme par le passé, sur l’Ukraine pour les approvisionner. Le climat des affaires s’est apaisé. Les prix de certaines commodités baissent tout en restant à des niveaux élevés.
Mais si les céréaliers français et européens redoutent l’effet ciseau entre prix des céréales et prix des intrants, la conjoncture des prix reste favorable aux éleveurs même si les charges ont fortement augmenté.
« A l’avenir, le positionnement de la Chine sur les marchés des produits carnés et de la viande sera déterminant, rapporte Jean Paul Simier, expert des marchés mondiaux des filières animales. Inexistante sur ces marchés il y a moins de dix ans, elle est aujourd’hui devenue le premier acteur commercial de la planète ».
En 2020-2021, une baisse des importations chinoises de viande de porc avait fait effondrer les cours du porc sur le marché européen.
Si la Chine déconfinée renoue avec les importations de viande et de produits laitiers, les prix s’envoleront à nouveau.
Mais d’autres bassins de consommation en Asie du Sud-est et en Afrique du sud, de plusieurs centaines de millions de consommateurs, sont en mesure de prendre le relais si la Chine se retire des marchés des produits carnés et laitiers. Leur pouvoir d’achat croît d’années en années.
Une offre structurellement déficitaire
D’autres facteurs de plus en plus structurels maintiendraient durablement les prix à leurs niveaux actuels dans les pays industriels.
Les crises climatiques s’enchainent, moins de fourrages sont produits. La recrudescence de crises sanitaires (crise porcine, aviaire, peste bovine) crée des ruptures d’approvisionnement incontrôlables et réduise l’offre de produits carnés.
« Par ailleurs, de nombreux producteurs ne sont plus motivés pour produire davantage de viande et de lait, souligne Jean Paul Simier, expert des marchés des filières animales. Dans les années passées, les crises du lait et de la viande ont découragé les plus âgés car aucune mesure efficace n’a été prise pour limiter la chute des cours et surtout leurs impacts ».
En France, des éleveurs laitiers et de bovins viande ne se sont pas encore remis financièrement des crises de 2015-2016 survenues après celle de 2009. Les prix du lait et de la viande payés aux producteurs n’ont pas couvert pendant des années leurs coûts de production. Aussi, la conjoncture alimente la décapitalisation du cheptel bovin observée depuis 2015-2016. Elle est devenue structurelle. L’Union européenne manque de veaux.
En conséquence des générations d’hommes et de femmes attirés par l’agriculture et tentés de reprendre des exploitations ne s’installent pas. Les cours de l’agneau n’ont incité aucun producteur d’ovins à accroître leur cheptel et ne suscitent aucune nouvelle vocation d’éleveur.
Accords bilatéraux imprudents
Dans ce contexte, faut-il toujours craindre les accords bilatéraux récemment conclus et en cours de négociation ? Depuis quelques années, les contingents et les quotas de viande et de produits laitiers alloués par l’Union européenne à des pays tiers ne sont pas remplis. Autrement dit, les filières animales européennes ne seraient plus en danger !
« Attention, aucune filière n’est à l’abri d’un retournement de conjoncture. Faire des révisions à l’horizon de cinq ans est très hasardeux, analyse Jean Paul Simier. En effet, les marchés agricoles sont réputés pour être très réactifs et imprévisibles car ils portent sur des produits qui ne se conservent pas longtemps. Or les éleveurs ont besoin de lisibilité pour investir. Et quand un élevage disparaît dans une ferme, il ne réapparaitra plus ».
Au mois d’octobre, les importations européennes de viande ovine ont fortement progressé car la Nouvelle Zélande en a exporté moins en Chine. De même observe-t-on un fléchissement des cours du lait car les stocks de poudre s’accumulent faute de débouchés là encore vers l’empire du milieu.
Des accords en contreparties de contingents
CETA, Japon, Nouvelle Zélande, Mexique, Mercosur : de nombreux accords commerciaux bilatéraux entre l’Union européenne et des pays tiers ont été conclus ou sont en voie de l’être depuis l’échec des négociations commerciales de Doha. « Et à chaque fois des contingents ou des quotas de carcasse à droits nuls ou réduits sont négociés en contrepartie de l’ouverture de ces pays aux importations produits industriels et aux services européens », souligne Jean Paul Simier.
Autrement dit, tous ces accords commerciaux laissaient penser que les filières animales européennes ouvertes à la concurrence sont en mesure de rivaliser face aux importations de carcasses ou de produits laitiers importés.
Mais ces accords ont considérablement fragilisé les filières animales et découragent là encore de nombreux éleveurs à poursuivre leurs activités, affirme l’expert des marchés de la viande. Ils menacent à terme la sécurité alimentaire de leur pays.
« L’agriculture ne doit plus être liée à au libre échangisme comme ça a été le choix dans les années 1990, affirme Jean Paul Simier. L’expérience montre qu’il est « important de maintenir des droits de douane, de maintenir la préférence communautaire et les contingents à l’importation sont des trous dans la raquette qui peuvent être fatales ».
La préférence communautaire et les droits de douane restent des piliers de la construction européenne et de la Pac.
« Et depuis l’échec des négociations commerciales de Doha, de nombreux pays n’appliquent plus toutes les règles commerciales de l’OMC dans le domaine agricole, constate Jean Paul Simier. Les Etats-Unis, la Russie et la Chine se sont progressivement exonérés des règles (subventions, protections tarifaires)».
Par ailleurs, l’expérience montre que les accords commerciaux conclus sont subtilement contournés et interprétés lorsqu’ils sont appliqués.
Plutôt que d’exporter des carcasses, les pays peuvent adopter une stratégie bien ciblée en inondant le marché par des pièces de viande qui concurrenceront directement celles découpées sur des carcasses d’animaux européens, et ce, sans dépasser les contingents ou quotas alloués.