Estimer la population de lombrics dans les parcelles donne une idée de l’activité biologique des sols, par comparaison à des références établies pour les différents systèmes de culture. Et c’est le bon moment pour s’en occuper.
Les prélèvements doivent être effectués entre février et avril, période où la faune lombricienne est en pleine activité. La technique, développée il y a une dizaine d’année par l’équipe de Daniel Cluzeau et Guénola Pérès de l’université de Rennes, et le muséum d’Histoire naturelle, fut facilement adoptée du fait de son caractère pédagogique. Aujourd’hui, des centaines d’agriculteurs et de jardiniers l’utilisent, et elle est suivie dans la quasi-totalité des lycées agricoles de France.
Lorsque les enseignants demandent à leurs élèves l’intérêt de prélever les lombrics, la réponse souvent entendue est « pour la pêche ». Il s’agit bien entendu d’un objectif secondaire, et si l’on souhaite suivre l’évolution des populations sur plusieurs années, il est préférable d’éviter de retirer les lombriciens de leur milieu de vie au risque de biaiser les résultats. En fait, les vers de terre sont un moyen simple d’évaluer l’activité biologique des sols et donc leur santé.
Les lombrics représentent environ 20 % des organismes vivants du sol (hors racines). Si vous trouvez 30 grammes de vers de terre au mètre carré (soit 300 kilos/ha), cela signifie qu’il y a à peu près le même poids de champignons et d’algues, le double de bactéries et la moitié de tout le reste (protozoaires, nématodes, insectes, mammifères…), ce qui représente 150 g/m² de vie sous terre, soit 1,5 tonnes/ha.
Sous une prairie permanente, on peut monter à 3 tonnes de lombrics par hectare aisément. Une belle population produit 45 tonnes/ha/an de déjections très fertiles en surface – les turricules – et 315 tonnes/ha sont produites en plus directement dans le sol.
En parallèle de leur rôle d’entretien de la fertilité, les vers de terre mélangent et structurent le sol en douceur. Les galeries qu’ils creusent forment un véritable réseau de routes permettant la circulation de l’air, de l’eau, et des racines, essentielle au fonctionnement de l’écosystème-sol vivant.
Plusieurs techniques existent pour extraire les lombriciens du sol. Lorsqu’il s’agit de prélever tous les vers de terre présents dans l’horizon cultivé (dans le cadre de programmes de recherche par exemple), on arrose le sol avec un mélange d’eau et d’Allyl Isothiocyanate ou AITC (principe actif de la moutarde) puis on creuse sur 20 à 30 cm. Il est aussi possible de découper un bloc de terre et le tamiser, ou encore d’utiliser l’électricité ou des solutions chimiques urticantes, comme le formol.
Ces méthodes étant difficiles à mettre en œuvre et/ou dangereuses pour l’homme ou le milieu, l’équipe de l’UMR Ecobio de l’université de Rennes a validé l’extraction à la moutarde : sans dangers, facile à mettre en œuvre, peu coûteuse et pédagogique.
Selon vos objectifs – comparer la population lombricienne d’une parcelle avec des références nationales, ou comparer plusieurs parcelles menées différemment – il faudra adapter le protocole et surtout préparer le matériel en amont. Voici la méthode pour étudier une parcelle.
1. Délimiter trois placettes de 1 m de côté (à l’aide de jalons et d’une ficelle par exemple), espacés de 6 m chacun, dans votre parcelle. Si la végétation est importante, la raser au rotofil.
2. Pour chaque placette, diluer deux pots de 150 grammes de moutarde « Amora fine et forte » dans 10 litres d’eau. La moutarde doit être très bien diluée pour éviter de rester logée dans la pomme d’arrosoir et diminuer l’efficacité du mélange. Il est important d’utiliser la moutarde « Amora fine et forte » dont le dosage d’AITC est précis, pour pouvoir comparer les résultats entre eux.
3. Epandre le mélange en balayant bien la zone, dépasser légèrement.
4. Récupérer les vers de terre et les placer dans un bac avec un peu d’eau, pour les rincer. Attention, certains sont très petits, et demandent une capacité d’observation particulière. Il est important d’attendre que le ver de terre soit sorti complètement de sa galerie avant de l’attraper pour ne pas le couper.
5. Répéter l’opération au bout de 15 minutes.
6. Une fois les deux arrosages et prélèvements par placette effectués, on classe les vers de terre. La fiche conçue par le muséum d’Histoire naturelle mise en ligne sur le site de l’observatoire participatif des vers de terre (OPVT) peut être utilisée pour faciliter la détermination et le classement.
Une centaine d’espèces de vers de terre a été recensée en France. Sur les parcelles agricoles, on trouve entre 10 et 30 espèces en moyenne. La détermination des espèces demandant des compétences particulières, on privilégie pour ce protocole une séparation des lombrics en trois classes en fonction des compartiments de sols dans lesquels ils évoluent. La taille et la couleur sont les deux caractéristiques à prendre en compte. La coloration des lombrics est liée à leur exposition au soleil et leur sert de camouflage : seules les parties exposées au jour sont colorées.
Les épigés sont très colorés (rouge sombre), de petite taille (1 à 5 cm) et vivent à la surface du sol dans la matière organique. Ils ne creusent quasiment pas de galeries.
Les anéciques sont plus gros : de 10 cm à parfois plus d’un mètre de long. Ils sont bicolores : la tête est foncée et la queue est pâle. Ils creusent les galeries permanentes verticales et ce sont eux qui produisent les turricules.
Les endogés mesurent de 1 à 2 cm, sont de couleur claire et vivent en profondeur ; ils sont moins observés dans les prélèvements car ils n’ont souvent pas le temps de remonter en surface. Ils creusent des galeries temporaires plutôt horizontales.
Les individus adultes se différencient des juvéniles par la présence d’un anneau (photo en fin d’article).
Les plus motivés pourront aller jusqu’à entrer leurs données sur le site de l’OPVT. Dans le cadre de ce protocole, relevant des sciences participatives, plus de 200 relevés sont enregistrés chaque année par les agriculteurs. Les premiers résultats ont montré, sans surprise, que les prairies sont en moyenne deux fois plus riches en vers de terre (40 / m²) que les parcelles cultivées en grandes cultures ou maraîchage (16 / m²). Les vignes et vergers n’offrent pas un abri sûr pour la faune lombricienne (15 / m²), probablement du fait du travail réalisé dans l’interrang et du peu de matière organique restituée au sol. Les résultats ont également étés analysés en fonction du travail du sol : on comptabilise en moyenne deux fois plus de vers de terre dans les systèmes en semis direct (40/m²) par rapport au labour (21/m²) et au travail simplifié (12 /m²). Côté diversité, le semis direct surprend par son aptitude à préserver particulièrement bien les endogés.
Des travaux en cours de finalisation, menés par l’université de Lille sur cinq exploitations agricoles, donnent un aperçu non pas du nombre, mais de la variabilité de des biomasses en fonction des types de travail du sol. En système labour, les biomasses varient de 257 kg/ha à 1044 kg/ha de vers de terre. Les chiffres se situent entre 1138 kg et 2700 kg/ha sur les parcelles en agriculture de conservation ; la différence s’explique par la date de conversion au semis direct : 2011 pour le premier cas, 2004 pour le deuxième cas.
En savoir plus : http://ecobiosoil.univ-rennes1.fr/OPVT_accueil.php (site de l’OPVT, observatoire participatif des vers de terre).
Ci-dessous, lombric adulte, avec son anneau.
Ci-dessous, épigés, anéciques et endogés ont chacun des fonctions particulières.
Ci-dessous, les anéciques adultes peuvent mesurer jusqu’à 1,10 m.
Bonjour,
Je suis heureuse que cet article puisse faire avancer le débat. Plusieurs choses sont à prendre en compte:
1) L’OPVT est un observatoire de sciences participatives. Les personnes qui mettent en ligne leurs résultats peuvent ne pas faire les prélèvements tous de la même manière ni dans le même contexte (type de sol, climat, température, heure de prélèvement influencent la quantité de vers de terre) ce qui peut entraîner des résultats biaisés.
2) Les « TCS » recouvrent des pratiques très variables, allant d’un quasi semis direct à un travail certes sans labour mais qui en travaillant sur 10 cm avec de nombreux passages entraîne une importante destruction des vers de terre et de leur milieu de vie. On réalise donc parfois qu’en TCS le nombre de vers de terre est la même qu’en labour.
3) Il faut distinguer nombre de lombrics et biomasse. Les chiffres indiqués sur le site de l’OPVT sont ceux du NOMBRE de lombrics. Il peut y avoir énormément de lombrics juvéniles… qui représentent peu de biomasse, et inversement.
4) Enfin, distinguer aussi quantité et biodiversité. Les épigés et les anéciques sont directement influencés par un travail du sol même superficiel et un manque de matière organique en surface. Leur nombre sera plus faible en systèmes avec travail du sol qu’en semis direct. Les endogés ne seront pas dérangés, et peut être que leur biomasse sera plus importante.
Bref, il faut vraiment analyser les résultats de manière très précise. Retenez simplement que oui, le travail du sol superficiel perturbe fortement les vers de terre, mais que non, pas forcément plus qu’en labour.
Est-ce que ma réponse vous éclaire?
Merci pour cette réponse précise et très claire.
Bonjour Afin d’éviter de savoir si l’une ou l’autre des technique favorisent ou non telle ou telle organisme, il serait bon de définir chaque technique. Pour moi un TCS à 10cm de profondeur n’est pas du TCS, c’est une technique de non retournement du sol sans plus. Les avantages sur la faunes sont quasis nul, sur la structure peuvent être pire qu’en labour, seul une économie de temps et de puissance semble possible.
En simplifié:
Le semis directe, pas de travail de sol, même avec le semoir. le semis se réalise dans les chaumes de l’ancienne récolte ou dans un couvert, vivant ou non.
Le TCS : le travail du sol doit étre de faible profondeur 5, 6 cm maxi, afin de faciliter le semis en cas de semoir ne permettant pas un SD, afin de réaliser un faux semis ou de favoriser le réchauffement du sol. Cette technique devrait ètre une technique de transition du travail profond avec ou sans retournement vers le SD.
Le labour: que tous le monde connais. Mais qui à quand même des variantes, car si vous parlez labour à un canadien cela implique un retournement du sol sur 10cm de profondeur, là ou en France l’on parle de déchaumage….
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Article très intéressant, cependant une information m’interpelle dans cet article :
« Les résultats ont également étés analysés en fonction du travail du sol : on comptabilise en moyenne deux fois plus de vers de terre dans les systèmes en semis direct (40/m²) par rapport au labour (21/m²) et au travail simplifié (12 /m²) ».
D’après plusieurs documents notamment des documents publiés sur le site agriculture.gouv (http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/GUIDETCSLBretagnecle866ec4.pdf)
et sur le site de Ecobiosoil (http://ecobiosoil.univ-rennes1.fr/e107files/downloads/rapportrmqsbiodivtome7lombriciens2009.pdf), les recherches tendent à montrer que les travaux mécaniques influencent directement l’abondance des vers de terre, ce qui n’est pas le cas dans votre article car l’abondance de vers de terre dans les systèmes en labour est plus important qu’en travail simplifié. Y a-t-il une erreur sur le nombre de vers de terre au m² en fonction du travail du sol ou est-ce réellement les observations enregistrés par les agriculteurs?