Plusieurs événements médiatiques me font prendre le clavier pour affirmer que la mutation est forte dans l’agriculture et en particulier dans l’élevage laitier.
– Les éleveurs laitiers sont dans le désarroi et, fait nouveau, le font savoir sans manifestation ;
– La crise de la salmonelle est une crise grave du premier groupe laitier européen ;
– L’argent public dépensé pour cette filière exige la transparence au moment où l’Europe ne sait plus quoi faire de ses stocks de 380 000 tonnes de poudre de lait.
En effet, Les foulards noirs diffusés sur France 5 le 31 janvier, Cash Investigation sur France 2, et l’affaire Lactalis qui fait la une des journaux depuis des semaines, interpellent chacun d’entre nous.
Cette filière laitière est en en crise grave depuis l’annonce de la fin des quotas… Qui date désormais de 2003 : ce n’est pas comme si personne ne l’avait vu venir !
Elle n’a pas su préparer l’après quotas laitiers et redéfinir les fondamentaux de cette production sans administration omniprésente. C’est un échec total, et la contractualisation en est un symbole, tout comme la loi de Modernisation de l’économie, portée par un certain Bruno Le Maire pourtant aujourd’hui ministre de l’économie.
L’exploitation familiale chère aux français, et mise en avant sur les bouteilles de lait, a été lâchée, prise en étau entre des marchés volatils et une demande citoyenne renouvelée sur le bien-être animal, la biodiversité, la proximité (circuits courts, liens avec le producteur…).
Pourquoi Sodiaal et la coopération sont-ils visés et quelles sont leurs réponses ?
Les coopératives laitières (qui collectent plus d’un litre de lait sur deux en France) n’ont pas su et surtout pas voulu voir cette situation. Plus que de prendre leur part dans les difficultés de leurs adhérents et des éleveurs, elles leur ont vendu un rêve de conquête de l’Est (La Chine) par la production de volumes de lait à laquelle une partie des éleveurs a répondu, parfois avec zèle !
Pour preuve, après l’émission Cash Investigation du 16 janvier dernier, Sodiaal à travers l’interview de son président délégué en Hauts-de-France (ma région), confie ceci à un journal local : « Notre erreur réside principalement dans notre analyse des perspectives sur les marchés internationaux. La décision d’augmenter les volumes a été prise dans un contexte où le marché chinois était perçu comme un eldorado. » Affligeant, quand on sait que les administrateurs sont encore les mêmes et qu’en tant que première coopérative française, ses choix ont un impact direct sur l’ensemble de la filière.
Et pourtant, en ayant un régime fiscal très favorable (les coopératives bénéficient de mesures fiscales dérogatoires), la coopération doit aussi rendre des comptes. Il ne suffit plus de dire que la coopération, ce sont des fermes familiales dans tous les territoires, le citoyen n’est plus dupe ; il faut désormais le démontrer. La coopération, ce n’est plus raconter une histoire, mais c’est la vivre et la réinventer. Quelles sont les mesures porteuses de solidarité et d’innovation entreprises par la principale coopérative laitière de France ces dernières années ? A-t-elle fait de l’agro-écologie un sujet majeur de développement ? A-t-elle accompagné les fermes laitières vers la transition énergétique ? Les a-t-elle incitées à innover en matière d’organisation du travail ? A créer des contrats avec les collectivités locales pour ancrer l’économie laitière dans les territoires ? Et la liste n’est pas exhaustive…
En réalité, la coopération française, et en particulier Sodiaal, pilote à vue depuis la fin de l’administration, incapable de prendre le manche de la filière et de faire un choix clair vers la qualité et le standard le plus haut (appellations, bio, haute valeur environnementale…).
Pourtant, il est encore temps. Les exploitations familiales de taille petite et moyenne (en comparaison à celles de nos voisins) peuvent encore se réorienter vers l’herbe et l’autonomie, avec des vaches qui pâturent dans des paysages bocagers !
Le volume B dont Elise Lucet parle dans son reportage (la production supplémentaire de lait qui pèse aujourd’hui sur les marchés) est le parfait symbole du non-choix de la plupart des acteurs de la filière entre l’export de quantité en concurrence avec les Néo-Zélandais et la qualité supérieure permettant de sécuriser et de stabiliser le développement des exploitations, qui ne se mesurerait pas que par la seule augmentation du nombre de vaches.
Hé oui, dans une économie ouverte, les individus se comportent comme des agents économiques seuls face au marché et veulent saisir des opportunités ! En réalité, sans encadrement, les éleveurs concourent soit à leur propre perte en produisant plus de matière première sans identité, soit à la perte de leurs congénères les plus fragiles.
Tant que cette catégorie d’éleveurs n’est pas touchée, ils continuent à accentuer les phénomènes de volatilité par des comportements à risque. En clair, ils produisent plus de lait quand il faudrait produire mieux et moins de lait.
Mais cette économie est « faussement ouverte » puisque c’est bien souvent la collectivité qui paye les dégâts et donc l’argent public… Aujourd’hui on gère un surplus de poudre que nous avons contribué à créer par un discours schizophrène entre volonté de régulation et production de volumes supplémentaires.
Et pourtant, Il n’y a qu’à ouvrir les journaux agricoles spécialisés pour observer la foule d’initiatives sur la reconnaissance des particularités des modèles, des territoires et donc des laits : « C’est qui le patron », « lait des hauts de France », « coeur de Normandy ». Il y en a même une (Mont Lait) qui est portée et présidée par l’ancien secrétaire général de la FNSEA qui défend par ailleurs bec et ongles les notions de filière et de contractualisation et qui, à une autre époque, aurait crié à la désorganisation !
Ces initiatives qui fleurissent dans chaque région sont un signal qui marquera soit l’implosion de cette filière et de la coopération, soit un renouveau qui permettra enfin, à travers le lait, de concilier les Hommes, l’économie, la biodiversité domestique et la vie de nos campagnes.
Mickaël Poillion
Polyculteur éleveur laitier
dans le Pas-de-Calais
et coopérateur
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le modèle familial est-il encore celui plébiscité par une France si déchristianisée ?