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Poissons, stop ou encore ?

Le rapport récemment publié par la FAO sur la Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture tend à montrer que les prévisions les plus pessimistes sur la disparition progressive du poisson à l’état sauvage ne sont peut-être pas aussi certaines.

Lorsque l’on évoque la situation de la pêche ou du poisson dans le monde, à tort ou à raison, on tend à avoir une vision extrêmement pessimiste, qui s’appuie en particulier sur trois types d’arguments.

Peurs des océans qui se vident ou des méthodes d’aquaculture

Les premiers correspondent à ceux avancés par les mouvements écologistes qui dénoncent les effets jugés délétères de la pêche industrielle des bateaux-usines, de la surpêche, de la « pêche pirate », des filets dérivants, la disparition progressive du thon rouge en Méditerranée ou d’autres espèces dans un avenir proche, voire la disparition de tous les poissons sauvages d’ici quelques décennies. Greenpeace estime ainsi qu’« au rythme actuel, les océans pourraient être vides de poissons dès 2048 ».

Ce point de vue est partagé par certaines organisations internationales comme le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). En mai 2010, Achim Steiner, le secrétaire adjoint de l’ONU et le directeur exécutif du PNUE affirmait ainsi : « Les stocks de poissons sont actuellement pillés ou exploités à un rythme insoutenable à travers le monde ».

Cette évolution serait même aggravée par les effets du changement climatique. En 2014, le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a ainsi indiqué que le changement climatique, notamment l’augmentation de la température et l’acidification des océans, mais aussi une surpêche, la modification de l’habitat et la pollution devraient probablement contribuer à la disparition de certaines espèces de poissons.

Les arguments suivants ont trait aux inquiétudes suscitées par l’aquaculture. Deux informations parues en 2013 ont ainsi alimenté les inquiétudes du public à propos de la consommation de poissons. En juin 2013, la Commission européenne a autorisé le recours aux farines animales (de porc ou de volailles) dans les élevages de poissons, alors que cette pratique était interdite depuis la crise de la « vache folle ». L’aquaculture est d’ailleurs aussi souvent critiquée par les ONG environnementalistes, notamment en raison des risques sanitaires liés à l’élevage intensif de poissons.

Un peu plus tôt dans l’année, au mois de février, un rapport publié par l’ONG américaine Oceana dénonçait une importante fraude à l’étiquetage aux Etats-Unis concernant le poisson. L’ONG a analysé l’ADN de 1 215 échantillons de poisson qui avaient été collectés dans 674 points de vente aux Etats-Unis. Or, 33 % des poissons analysés ne correspondaient pas à l’espèce qui était affichée. Au total, 44 % des lieux de vente visités vendaient des poissons ne correspondant pas à l’étiquetage. Un même type d’enquête a été mené en France pendant un an par des ONG (Bloom et Oceana), le Museum national d’histoire naturelle et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur la base de 371 échantillons. Ses résultats ont été divulgués en février 2014 et apparaissent beaucoup moins préoccupants qu’aux Etats-Unis puisque seuls 3,5 % des espèces de poisson étudiées avaient un problème d’étiquetage.

Enfin, le pessimisme s’appuie sur la situation du secteur de la pêche en France qui apparaît particulièrement sinistré. Les données de France AgriMer montrent ainsi un effondrement de la flotte de pêche en France qui est passée de 6 593 navires en 1995 à 4578 en 2012, soit une baisse de 31 % en près de vingt ans. Elles indiquent également que les quantités de poissons vendues en France métropolitaine baissent depuis la fin des années 1990. Le caractère sinistré du secteur est visible également dans l’évolution de l’emploi. Selon des données assez anciennes maintenant de la Dares (ministère du Travail), il y avait 57 000 marins, pêcheurs et aquaculteurs en 1982-1984 et seulement 29 000 en 2007-2009, soit une réduction de 49 %. On peut supposer que la situation de l’emploi dans ce secteur a continué à se dégrader depuis.

Une situation moins grave qu’annoncé

La situation est-elle pour autant désespérée ? Pas nécessairement, du moins si l’on en croît le contenu d’un rapport publié en mai 2014 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur la Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture.

Que doit-on en retenir ? Le premier enseignement de ce rapport est que, ainsi que l’affirme la FAO, « jamais les hommes n’ont autant consommé de poisson ou n’ont dépendu à ce point de ce secteur pour leur bien-être ». Elle souligne ainsi à quel point « les océans de la planète ont un rôle important à jouer pour créer des emplois et nourrir le monde » dans un contexte de demande alimentaire croissante compte tenu de l’accroissement démographique mondial. Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva en conclut que « la santé de notre planète, notre propre santé et notre sécurité alimentaire future dépendent de la façon dont nous traitons le monde bleu ».

Le second enseignement est que la consommation moyenne de poisson par habitant a beaucoup progressé ces dernières décennies. Elle est ainsi passée de 9,9 kg dans les années 1960 à 19,2 kg en 2012. Cela s’expliquerait par la croissance de la population mondiale, un accroissement des revenus moyens et une urbanisation croissante. Selon la FAO, le poisson représenterait ainsi 16,7 % des apports protéiques mondiaux et 6,5 % de l’ensemble des protéines consommées. Cet apport est même de près de 20 % pour 2,9 milliards de personnes et jusqu’à 70 % pour les populations de pays côtiers et insulaires.

Le troisième enseignement est que l’offre globale apparaît en mesure de répondre à cette demande croissante. En 2012, la production halieutique et aquacole s’est ainsi élevée à 158 millions de tonnes, ce qui est représente une progression de plus de 10 millions de tonnes par rapport à 2010. La production globale de poisson augmente d’ailleurs de façon régulière depuis cinq décennies. Celle-ci progresse même à un rythme deux fois plus rapide que la population mondiale, avec un taux de croissance annuel moyen de 3,2 %, contre un taux de 1,6 % pour la population. Cette production est principalement destinée à la consommation humaine, à plus de 85 %. Elle l’est de plus en plus puisque cette part se situait à environ 70 % dans les années 1980. D’après la FAO, cette production ferait vivre de 10 à 12 % de la population mondiale et l’emploi dans ce secteur depuis 1990 progresserait plus rapidement que la croissance démographique.

Le quatrième enseignement est qu’en ce qui concerne l’offre de poissons, l’aquaculture prend de plus en plus le pas sur la pêche. La FAO observe, en effet, une stabilité des captures marines, c’est-à-dire de la pêche traditionnelle, avec 91,3 millions de tonnes en 2012. C’est d’ailleurs depuis le milieu des années 1980 que les prises de poissons de mer tendent à stagner autour de 80 à 90 millions de tonnes. Elle avait atteint un sommet en 1996 avec 93,8 millions de tonnes. Depuis, les captures tendent à se réduire. Il est à noter que ces captures sont concentrées dans une vingtaine de pays. 18 pays, dont 11 pays asiatiques, capturent plus de 76 % du poisson dans le monde. En 2012, la Chine, à elle seule, était ainsi à l’origine de 17 % des prises de poissons de mer.

En revanche, la production aquacole augmente de façon rapide avec une production totale de 90,4 millions de tonnes en 2012, soit un niveau sans équivalent jusqu’à présent, dont 66,6 millions de tonnes pour la production de poissons destinée à l’alimentation humaine. La croissance de l’aquaculture est spectaculaire depuis les années 1980. Elle était ainsi seulement de 49,9 millions de tonnes en 2007. Celle-ci serait même l’un des secteurs alimentaires dont la croissance est la plus rapide. En 2012, elle fournissait ainsi 42,2 % des poissons pour la consommation humaine, contre 13,4 % en 1990 et 25,7 % en 2000. Selon la FAO, cette part pourrait s’élever à 62 % d’ici 2030. Cette progression de l’aquaculture est d’abord à mettre au crédit de la production chinoise en raison d’une explosion de la demande de poisson dans le pays. La consommation moyenne des Chinois a progressé à un rythme annuel de 6,0 % durant la période 1990-2010 pour aboutir à une consommation moyenne de 35,1 kg en 2010. La Chine est ainsi à l’origine de 62 % de la production aquacole mondiale destinée à la consommation humaine. Cette production est également très concentrée dans quelques pays puisque 15 pays produisent à eux seul 93 % de la production mondiale et surtout en Asie. Il est d’ailleurs intéressant de noter que sur ce continent, depuis 2008, la production aquacole dépasse les captures marines.

La surpêche existe, mais sans catastrophisme

Enfin, le cinquième et dernier enseignement a trait aux ressources en poissons. La FAO indique que les stocks de poissons pêchés à des « niveaux biologiquement durables » ont diminué depuis 40 ans, passant de 90 % en 1974 à 71,2 % en 2011. Cela signifie que 28,8 % des stocks de poissons sauvages font l’objet d’une surpêche. Il s’agit à l’évidence d’un chiffre élevé, mais loin des évaluations catastrophistes de certaines ONG écologistes. Si cette part de poisson qui est « surpêché » a augmenté rapidement de 1974 (10 %) à 1989 (26 %), on tend néanmoins à observer, selon la FAO, un ralentissement en la matière ces dernières années puisque ce taux est monté jusqu’à 32,5 % en 2008 pour baisser ensuite et s’établir donc à 28,8 % en 2011.

Même si tout n’est pas parfait loin de là, les prévisions les plus catastrophistes sur la disparition totale des poissons à l’état sauvage sont par conséquent sans aucun doute à nuancer. En définitive, ce qui doit être poursuivi et encouragé, c’est une « gestion durable et responsable » des ressources aquatiques, ce que la FAO appelle la « croissance bleue ».

 

En savoir plus : www.fao.org/news/story/fr/item/231537/icode/ (communiqué de presse de la FAO à l’occasion de la parution du rapport sur la Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture), www.fao.org/documents/card/fr/c/097d8007-49a4-4d65-88cd-fcaf6a969776/ (rapport de la FAO sur la Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture), www.greenpeace.org/france/fr/campagnes/oceans/fiches-thematiques/surpeche-et-peche-pirate/ (source de la citation de Greenpeace sur le site internet de l’association), www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=624&ArticleID=6566&l=fr (source de la citation d’Achim Steiner sur le site du PNUE), http://ipcc-wg2.gov/AR5/images/uploads/WGIIAR5-Chap7_FGDall.pdf (rapport du GIEC consacré à l’impact du changement climatique sur la sécurité et la production alimentaires), www.lemonde.fr/planete/article/2013/02/22/un-tiers-des-poissons-vendus-avec-un-etiquetage-frauduleux-aux-etats-unis_1837096_3244.html (article du Monde du 22 février 2013 sur l’enquête de l’ONG Oceana), www.terraeco.net/Fausses-etiquettes-les-resultats,53785.html (données sur l’enquête menée en France sur l’étiquetage des poissons), www.franceagrimer.fr/content/download/23161/191433/file/broch%20p (données de France AgriMer sur le secteur de la pêche en France), http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2011-066.pdf (données de la Dares sur l’emploi dans le secteur de la pêche).

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