colleville cimeti re am ricain herv pillaud

Planter des croix n’y changera rien !

L’agriculture est malade, c’est un euphémisme que de le dire ; le désespoir gagne les campagnes, conduisant parfois à l’acte sans retour ; la colère n’est plus en devenir, elle est là ! Les réactions violentes, les symboles que l’on veut fort, l’appel au secours peut-il changer quelque chose ? Non, la solution est ailleurs, elle est à se prendre en main, comprendre un monde en mutation et contribuer à le bâtir, avec deux ingrédients majeurs : l’innovation et le collectif.

Une crise sans précédent et sans issues visibles ?

Je suis agriculteur, producteur de lait en Vendée, je vis la crise comme beaucoup de mes collègues, peu d’entre nous n’y échappent. Les agriculteurs vivent depuis plusieurs mois une crise sans précédent, puisqu’elle concerne toutes les productions principales de notre pays. Nous étions habitués à avoir en crise tantôt une production, tantôt une autre. Toutes en même temps, c’est je pense inédit. Alors ce n’est plus une crise, c’est un monde qui mute !

Dans le même temps nous croulons sous les charges et les contraintes administratives : le triptyque procédure, règlement, contrôle réduit considérablement nos possibilités de compétitivité.

La peur a gagné le plus profond du cœur du paysan : peur de ne pas satisfaire les échéances, peur du contrôle, peur d’être paupérisé, montré du doigt, déconsidéré par ses proches.

Nous demandons des prix, mais à qui et comment ? Nous demandons aux politiques de trouver des solutions mais ont-ils des solutions ? Nous sommes désormais prêts à tout, mais les actes de désespoir, de colère et de provocation sont-ils la solution ?

Une utilisation des symboles qui dérange ?

Semaine après semaine on assiste à une escalade dans la manifestation du mécontentement. Les déversements de fumiers sont des déferlements de colère, des cris de désespoir qui se répandent dans les rues. Jours après jours, ils ont fait place à des actions plus violentes et à l’utilisation de symboles mettant en scène la mort de l’agriculture. Ces mouvements et l’utilisation de symboles macabres sont un appel au secours désespéré. Ils peuvent aussi être perçus comme un signe de provocation désuet banalisant des représentations sacrées qui doivent rester celles du souvenir et du respect d’êtres chers.

Au risque d’être accusé de sensiblerie religieuse et de patriotisme déplacé, je veux exprimer mon désaccord avec cette utilisation, que ce soit par les paysans et aussi par bien d’autres corporations.

Il y a 100 ans du Fort de Douaumont au Chemin des Dames, nos aïeux sont morts, leur sang est mêlé à celui de ceux qui était considérés comme l’ennemi. Face à la mer à Colleville-sur-Mer, des milliers de croix blanches, associées à quelques croissants et étoiles de David, nous rappellent à jamais que des gamins sont venus mourir pour reconquérir notre liberté. Plus près de nous les fleurs posées au pied de la statue de la République sont là pour rappeler que des innocents sont tombés, victimes de la folie des barbares. Utiliser les mêmes symboles pour crier notre colère n’est-il pas excessif ? Personnellement je le pense et tout ce qui est excessif est insignifiant, dit l’adage. Même si notre situation est désespérée, nous ne pouvons pas tout nous permettre. Alors que faire quand il n’y a plus d’espoir ?

« C’est quand il n’y a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien ! » dit Sénèque, raccrochons-nous à cette maxime et nous trouverons des solutions.      

Faire société commune !

Partout dans les manifestations transpire un appel au secours à l’Etat, aux collectivités, aux politiques. Nous voulons d’eux des solutions, nous les avons élus démocratiquement, ils sont là pour ça. En déléguant par le vote à une classe politique la vie de la cité, nous leur laissons animer notre société comme ils l’entendent. Ils légifèrent, règlementent, contrôlent, quand ils devraient être des facilitateurs du vivre ensemble. « La démocratie ne se définit pas seulement par le vote, elle se définit par l’envie de faire société commune », dit Pierre Rosanvalon.

Au début des années soixante, la cogestion entre la profession agricole et l’Etat était une nécessité pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. Ce fut le cas jusqu’en 1974 et l’objectif fut largement atteint. Depuis 1974 une autre réalité a supplanté celle-ci : faire baisser les prix des denrées alimentaires pour donner plus de pouvoir d’achat aux français et relancer l’économie par la consommation. L’Etat nous a fait croire que la cogestion devait continuer mais la véritable connivence depuis lors, est avec la grande distribution. L’Etat ferme plus ou moins les yeux sur ses agissements tant que le pouvoir d’achat du consommateur est préservé. Dans le même temps, une nouvelle donne politique a vu le jour, celle de la protection de l’environnement, générant quantité de plans, lois, règlements. Notre néo-cogestion a depuis consisté à rendre acceptable des règlements de plus en plus complexes, nous conduisant dans un imbroglio dont personne ne sait comment sortir.

Alors la démocratie ne doit elle pas passer à autre chose et véritablement faire société commune ? Différents sondages démontrent que 85 % de nos concitoyens ont une bonne opinion des agriculteurs, pendant qu’ils n’ont plus guère confiance dans notre représentation politique et qu’ils se méfient terriblement de la grande distribution. Nous le savons et nous n’en tenons pas compte. Avons-nous pensé à écouter et entendre les consommateurs ? Nous devons créer du lien consommateur/producteur, il nous faut faire des consommateurs des ambassadeurs de l’agriculture par leurs actes d’achat et les inciter à le faire savoir. Ils y sont prêts, nous devons l’entendre sans plus tarder. Nous, paysans, préférons être dans la justification de ce que nous faisons et aller contrer les quelques zozos qui contesteront toujours nos pratiques et qui ont fait des peurs un fond de commerce.

Nous produisons, nous produisons beaucoup, parce que nos terres sont fertiles et nos troupeaux performants. Notre savoir faire et la qualité de nos produits sont reconnus dans le monde, le guide Agroalimentaire, où exporter en 2016 ? le démontre à chaque page. Nous l’ignorons considérant le plus souvent l’exportation comme un marché de dégagement de surproductions honteuses, laissant le champ libre aux évangélistes de la décroissance qui n’ont de cesse de montrer du doigt d’hypothétiques surplus subventionnés venant priver de marchés nos collègues paysans africains. La réalité est ailleurs, notre savoir faire d’excellence est attendu partout et nous feignons de l’ignorer.

Changer nos rapports avec l’Etat, changer la politique, ne pas tout en attendre ; entendre le message d’espoir de nos concitoyens ; saisir l’attente du monde demandeuse de notre savoir-faire ; ce sera « faire société commune » et retrouver notre fierté. Nous en avons les moyens si nous prenons toute la dimension d’un monde en mutation.

Aller vers une économie de réseaux

Nous ne traversons pas une crise, nous vivons une profonde mutation ; la notion de temps est changée, le travail est changé, les territoires n’ont plus la même signification et l’économie de marché va être supplantée par une économie de réseaux. L’agriculture n’échappera pas à cette mutation, nous devons en prendre pleinement la mesure.

Il serait trop long de développer ici tous les éléments de cette mutation et réducteur de les résumer en quelques mots. Retenons simplement que la massification des entreprises pour gagner en compétitivité a vécu. Internet a dématérialisé la transparence, la blockchain va permettre de créer de nouvelles formes de structures organisationnelles, capables de réorganiser la société elle même. La blockchain incarne la transformation de la société, passant de grandes organisations centralisées qui s’adressent à des consommateurs passifs, à des formes de coproductions actives.

C’est dans cette perspective que j’ai initié depuis deux ans les challenges AgreenStartup. Le « digital labor » sera l’organisation du travail de demain. L’industrialisation avait aliéné le travail à la machine, le numérique met la machine au service du travail et va aller jusqu’à revoir la notion d’emploi pour lui suppléer celle du réseau. L’économie collaborative devient une réalité. Elle n’est rien d’autre que la structuration de nos organisations à leurs origines (coopératives, organisations mutualistes…) et nous avons peu de travail à faire pour à la fois retrouver nos fondamentaux et bénéficier des possibilités qu’offrent les technologies nouvelles pour conquérir la compétitivité. Nous devons cesser de penser massification pour penser économie de réseau. L’excellence de notre agriculture n’est pas dans la modernité de nos machines, elle est dans la compétence de ceux qui sont en capacité de les utiliser ensemble.

Accompagner le plus grand nombre

L’été dernier lors d’une discussion avec le grand philosophe Michel Serre, celui-ci m’a dit : « L’agriculture est la plus grande révolution du 20e siècle, nous sommes passés de 78 % de la population du temps de Méline en 1895 à guère plus de 2 % aujourd’hui en 2016 en multipliant par dix la productivité. Aucune catégorie socioprofessionnelle ne peut se targuer d’avoir réussi une telle performance. » Nous pouvons rajouter que cette mutation s’est faite en deux temps : de la fin du 19e siècle à 1960 puis de 1960 à aujourd’hui. Dans un premier temps, nos campagnes se sont vidées sans que pour autant nous n’ayons gagné beaucoup en productivité, puis à partir de 1960 nous avons considérablement développé notre productivité et notre savoir faire.

Nous pourrions considérer comme certains le font, que le résultat est décevant ayant conduit à la paupérisation d’une partie de l’agriculture. Je préfère en garder l’excellence de la performance et proposer de mettre en œuvre les éléments du renouveau.

Réduit à 2 % de la population, nous avons besoin de tous les agriculteurs en place et même susciter de nouvelles vocations. Si certains d’entre nous ont atteint les limites de la viabilité de leur entreprise, il faut trouver des solutions pour les accompagner, il n’y a pas de problèmes économiques et financiers qui n’ont de solutions. En 2010 j’ai eu la responsabilité dans mon département d’accompagner le retour à la compétitivité des exploitations agricoles sinistrées après la tempête Xynthia. Je m’étais fixé pour objectif de ne laisser personne au bord du chemin. Six ans après toutes les entreprises sont encore là. La solidarité et les solutions collectives sont le ferment de l’action du développement agricole français. Nous devons faire le serment de trouver une solution pour chacun ce sera le premier message qui redonnera espoir. Il y a de nouvelles formes d’agriculture, de nouveaux modes d’organisations à inventer. En inventant une nouvelle forme d’économe agricole collaborative, nous pourrons ainsi démultiplier la motivation, partager le travail et les risques. Certains l’ont fait depuis longtemps en regroupant les exploitations en GAEC, en CUMA, en assolement commun ou autres formes, et ont gagné en condition de vie et en efficience.

La société nouvelle dans laquelle nous entrons change tous les repères, elle va nécessiter des changements profonds partout, nous devons nous atteler à accompagner ces changements au lieu de courir pour singer une économie qui se meurt. Les agriculteurs ont autant de capacités à le faire que le reste de la société, nous ne sommes pas une exception mais une partie prenante d’une nouvelle construction collaborative maillée de la société. Nos organisations doivent s’y atteler. Les élites de demain ne se trouvent pas dans les ministères et dans les sociétés du CAC 40. C’est ailleurs que nous devons aller les chercher avant qu’elles ne nous poussent vers la sortie dans la vague des néo conservateurs qui ne comprendront qu’à ce moment là que le monde a changé. Que les choses soient claires, je ne veux là montrer du doigt tel ou tel qui serait responsable. Quoi qu’en pense certains ils sont tous, sans exception, d’abord des paysans. Je veux simplement parler des cadres que nous allons chercher pour diriger nos organisations, ils sont le plus souvent brillants mais pas vraiment au fait du management de l’innovation et de la créativité pourtant indispensable à la révolution en cours. Si les agriculteurs seront toujours indispensables, le maintien de nos organisations dépendra de notre capacité à incarner cette révolution. La vie en réseau est dans notre ADN, il nous faut simplement l’ouvrir, le doter des outils modernes permettant son développement et passer à un mode de management agile, vecteur de créativité.

Alors laissons les croix au souvenir des héros qui ont donné leurs vies pour faire avancer l’humanité et retroussons nos manches pour participer à construire l’humanité de demain. Trouver une solution pour donner une perspective à chaque exploitation agricole, entendre la société, redonner du sens à la vie de la cité, mettre toute notre énergie pour entrer dans le monde de demain ; la tache est considérable, le plus grand enthousiasme et le courage sans limite seront nécessaires, mais le challenge en vaut la peine.

Hervé Pillaud

Notre illustration montre le cimétière américain de Collevile-sur-Mer cité dans la tribune de Hervé Pillaud, et est issue de Fotolia https://fr.fotolia.com/id/32644082.

3 Commentaire(s)

  1. personnage sans intérêt , qui n’a de regard que pour les boutons dorés de ses manchettes .
    camarade ! donne-moi ta montre je te donnerai l’heure.
    bienvenu dans le futur kolkhoze de Mr PILLAUD.

    j’ai honte pour lui , quand il ose parler des sinistrés de Xynthia , alors qu’il a encore la confiture qui lui coule au bout des doigts.

  2. Toujours un peu ennuyeux que ces prêcheurs de morale…

    Nous nous sommes toujours adaptés à l’évolution de la société et des diverses règlementations. Les magasins sont biens remplis, nous ne mettons pas en danger la vie de nos concitoyens ( à moins de nous prouver le contraire), et la campagne française est plutôt bien entretenue et diversifiée !

    Le consommateur, il veux se nourrir à pas cher( à part quelques pourcentages prêts à mettre le prix dans des produits différenciés). Ce n’est pas prêt de changer, et je crois que là dessus, nous avons fait les efforts nécessaires.

    Réfléchissons à quel équipement ou service dont le prix actuel est le même que dans les années 80, qui serait encore produit en France aujourd’hui ?

    Il y a trente ans, une voiture de 100 000 francs, c’était un modèle sport ou grand luxe… Aujourd’hui, pour 15000 euros, faut pas trop d’options…

    Quant aux agriculteurs en détresse financière, je crains que nous les regardions disparaître petit à petit en nous disant que ce n’est pas encore nous, ouf…

    A mon grand regret…

  3. A lire la bio de l’auteur, je crains que la profession d’éleveur laitier ne soit ne soit qu’un titre honorifique. En tout les cas, sûrement pas sa première source de revenu…

Il n'y a pas de commentaires pour le moment. Soyez le premier à participer !

Article Précédent
Article Suivant