L’offre politique proposée par le Front National gagne les campagnes, et en particulier le monde agricole. Pour mieux la connaître, sans parti pris, WikiAgri est allé à la rencontre de Philippe Loiseau, céréalier, élu du FN au parlement européen, et participant au programme politique de son parti sur l’agriculture.
Selon un récent sondage réalisé par l’institut BVA, 36 % des agriculteurs se disent prêts à voter pour le FN. Un phénomène suffisamment important, et s’amplifiant, pour que l’on s’intéresse de près à cette offre politique. Pour cela, WikiAgri est allé à la rencontre de Philippe Loiseau, céréalier proche de Chartres en Eure-et-Loir, également député européen pour le FN, et participant au programme national de son parti sur l’agriculture. Sans parti pris, uniquement pour découvrir un homme, agriculteur et militant, et le programme en question.
Philippe Loiseau a 57 ans, il cultive 110 hectares pas loin de Chartres en Eure-et-Loir. Pas plus, car la vie politique a sensiblement pris le dessus au fil des années sur son métier d’agriculteur, lui qui avait plus de 150 hectares il y a quelques années.
Il se présente, déjà, en tant qu’agriculteur : « Mon père était clerc de notaire, il souhaitait que j’exerce le même métier. Moi, j’ai toujours été attiré par la nature, la campagne, j’ai donc préféré l’agriculture. Je me suis d’abord installé sur 35 hectares, puis j’ai pu ajouter une parcelle, et une autre, grâce aux connaissances de mon père. Jusqu’à cultiver 153 hectares. Orge escourgeon (brasserie et aliment de bétail), blé, colza, petit pois (que j’ai abandonnés après leur maladie), un peu de maïs… En fait, le maïs, c’est surtout pour mon autre passion, la chasse. Je peux y abriter un peu de gibier, et j’ai une chasse commerciale.«
Père de trois filles, il sait qu’aucune d’elles ne reprendra l’exploitation, et ne se fait pas d’illusions, elle partira sous forme d’agrandissements de ses voisins. Déjà, au fil des années et de ses engagements politiques, il s’est séparé de quelques hectares, et a du monde qui travaille chez lui. « Je reste agriculteur, je vais régulièrement sur mes parcelles, je suis ma commercialisation, je conduis les tracteurs lors des moissons. J’ai besoin de conserver ce contact, même si avec les mandats politiques, c’est devenu difficile de tout faire.«
La commercialisation, il l’assume en coopérative (Scael) et négociant en dépôt-vente. « J’ai essayé les marchés à terme. Mais un coup, on est dedans, un coup pas… C’est ingérable. Le système du prix moyen avec la coopérative n’est pas si mal.«
L’engagement politique de Philippe Loiseau, parlons-en. « J’ai pris ma carte du Front en 1992. Au moment de la Pac. A ce moment-là, Jean-Marie Le Pen a prononcé un discours auquel j’ai adhéré, il a dit qu’un tel système d’aides ne pouvait pas durer dans le temps. J’étais en total accord, et sur d’autres points aussi, dépassant le cadre agricole. A la même époque j’ai quitté la FDSEA pour la Coordination Rurale, pareil, parce que j’étais en désaccord avec la Pac. Rapidement, à la Coordination, on m’a demandé (et c’était normal) de choisir entre politique et syndicalisme, j’ai choisi.«
Dès lors, les mandats politiques se succèdent pour Philippe Loiseau : conseiller municipal de Lucé de 2001 à 2008 et aujourd’hui depuis 2014, il a également été président du groupe FN au conseil régional (région Centre) de 2004 à 2014. Aujourd’hui, il siège également en tant que conseiller de l’agglomération de Chartres. Et donc il a été élu député européen au dernières élections. A ce dernier titre, il siège à la commission agriculture du parlement européen. Et sa situation pourrait encore évoluer aux prochaines élections régionales, où il est pressenti pour être tête de liste.
Au niveau du Front National, il est membre du bureau politique depuis 2011, secrétaire départemental (c’est-à-dire numéro 1) de l’Eure-et-Loir, et secrétaire régional de la grande région Centre Massif Central (qui correspond à la région élective des élections européennes). Autant dire qu’il assume des responsabilités d’envergure au sein du parti. Cet engagement lui a valu, dit-il, de « perdre pas mal de copains« , qui « me demandaient pourquoi j’avais choisi un parti de fachos« . Selon lui, ce n’est pas le cas, a fortiori « depuis la reprise en main du parti par Marine en 2011, et le départ des mégrétistes« , Bruno Mégret ayant représenté selon lui la branche « dure ». Aujourd’hui, Philippe Loiseau estime défendre une opinion qui a le droit de citer comme une autre, il s’offusque même lorsqu’on lui reproche l’inverse : « Au conseil régional, j’ai demandé à faire partie du conseil d’administration d’un établissement scolaire, comme chaque conseiller régional peut y prétendre. On ma l’a refusé au prétexte de mon parti. Pour moi, ce n’est pas ça la démocratie.«
Tel est Philippe Loiseau. Un élu de terrain, qui se félicite que la présidente nationale du parti fasse appel à un professionnel pour participer à l’élaboration du programme agricole du FN, fidèle à des idées qu’il défend parce qu’il y croit. Attaché à la ruralité, il fait partie de ces éléments qui y font gagner des points à son parti.
Après, on aime ou pas, à chacun d’en juger, mais l’offre politique d’aujourd’hui présente une alternative originale, pas si « infamante » que cela. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si les autres partis politiques recommencent à s’intéresser de près à la ruralité désormais…
Comment peut-on être député européen pour un parti que l’on qualifie d’anti-européen ?
P.L. : Attention, le Front National n’est pas anti-européen, il est pour une autre Europe. Contre l’Europe fédéraliste qui existe aujourd’hui, mais en faveur d’une Europe des nations qui redonnerait à chacun les pleins pouvoirs, tout en ayant des échanges avec les voisins. L’Europe fédérale reste très opaque dans ces choix, j’ai beaucoup de mal, par exemple, à savoir où nous en sommes dans les pourparlers pour l’accord transatlantique, et cela malgré mon mandat. Moi je dénonce les risques d’un tel accord, qui poursuivrait l’américanisation de l’Europe, avec des importations de poulets au chlore ou autres. Dans le cadre d’une Europe des nations, chaque nation reste souveraine, choisit ou rejette l’accord.
Vous n’avez pas de groupe au parlement européen, donc un droit de parole restreint. Est-ce que cela vous gêne dans vos fonctions ?
P.L. : Avoir un groupe dès le commencement aurait été mieux. Cela étant, il n’est pas interdit d’en former un en cours de mandat. C’est plus compliqué, mais notre rôle, à nous députés européens FN, n’en est pas réduit, nous défendons ce en quoi nous croyons. Et puis le parlement européen peut amener à des rencontres improbables. José Bové m’évitait au début. Aujourd’hui, il sait que nous avons des opinions voisines sur certains sujets, comme l’accord transatlantique que nous rejetons l’un et l’autre. Même si nous restons très différents, bien sûr.
Parlons du programme politique du Front National pour l’agriculture. En êtes-vous l’auteur ?
P.L. : Pas exactement, nous avons un conseiller politique, Leif Blanc, qui est spécialiste de l’agriculture, et qui rédige ce programme. Mais je m’y retrouve tout à fait, et mon point de vue y figure.
Selon un document que l’on trouve en ligne sur le site du FN (lien en fin d’article) et qui date de 2012, vous êtes pour le démantèlement de la Pac ? Expliquez-nous ça.
P.L. : La Pac est à l’origine d’une forme de productivisme qui ne convient pas à l’agriculture française. Nous suivons un modèle anglo-saxon, qui amène à l’industrialisation de l’agriculture, avec des exemples célèbres comme celui de la ferme des 1000 vaches. Où est notre identité nationale ? Attention, je n’en veux pas aux éleveurs qui se regroupent, je dénonce qu’ils soient obligés de le faire. Je ne comprends pas cette Europe. C’est l’Europe des règlements, des contrôles, des inégalités. De plus, ensuite, nos propres fonctionnaires en ajoutent une couche. Alors que rien ne nous oblige à accepter des règlements européens qui ne nous conviennent pas. Tenez, je vais prendre un exemple rural mais pas agricole, celui de la chasse. Une espèce de bécassine doit être protégée. Mais comment savoir, entre les quatre espèces principales qui vivent en France, que l’on affaire à celle-ci et donc qu’il ne faut pas tirer ? Résultat, moi, j’ai arrêté la chasse à la bécasse, alors qu’elle fait partie de nos traditions.
A la place de la Pac, vous proposez la Paf, politique agricole française. En quoi consiste-t-elle ? Quel est votre programme pour l’agriculture française ?
P.L. : Le principe est déjà d’ordre budgétaire. L’Europe telle qu’on la connait accueille de nombreux pays. La France, les Français, sont contributeurs, à hauteur de 21 milliards d’euros selon les tous derniers chiffres. Et, en échange, l’agriculture française est rétribuée à hauteur de 13 milliards d’euros. Nous, nous disons, conservons ces 21 milliards d’euros, mais directement pour nos agriculteurs. Soit 8 milliards de plus. Dans l’esprit des exploitations viables, de l’aide aux plus petits, à ceux qui ont du mal à s’en sortir, tout en préservant les aides actuelles aux autres. Nous n’enlevons rien à personne, nous donnons plus à ceux qui en ont besoin. Par ailleurs, dans le cadre d’une Europe des nations, nous conserverions l’euro comme monnaie unique avec nos voisins, mais chaque nation aurait sa propre monnaie. Avec donc la capacité, en cas de crise, de la dévaluer. Dans le système actuel, nous sommes trop tributaires les uns des autres. Chaque nation a droit à sa liberté. Pour l’agriculture, notre premier objectif est la viabilité de toutes les exploitations.
Ces exploitations rendues viables, quelle serait leur mission essentielle ?
P.L. : Déjà, assurer notre autosuffisance. Ensuite, nous avons aussi vocation à exporter. L’agriculture française doit assumer un rôle favorable dans les échanges internationaux avec les autres pays.
Prenons quelques thèmes particuliers pour l’agriculture. Quelle opinion défendez-vous sur les OGM ?
P.L. : A ce jour, le FN n’a pas arrêté une opinion ferme, nous allons le faire très prochainement, après différentes consultations. Ceux qui suivent l’environnement chez nous ont des craintes pour la santé. Moi je pense que nous pouvons regarder l’expérience des autres, pour savoir ce qui est dangereux ou non pour la santé. Certaines cultures OGM existent depuis longtemps… Aujourd’hui, nous disons que nous sommes favorables à la recherche, en milieu confiné. Mais peut-être irons-nous au-delà. Dans la méthode, nous allons monter un groupe de travail, consulter, y compris des personnes totalement extérieures à notre structure, avant de prendre une décision sur la position que nous défendrons sur le sujet.
Quelle est votre opinion sur Ecophyto ?
P.L. : On veut nous obliger à diviser par deux nos phytos en 5 ans. C’est idiot. C’est contradictoire avec l’obligation que l’on donne aux agriculteurs de nourrir une planète avec toujours plus d’habitants.
Quelle opinion avez-vous sur le bio ?
P.L. : Je suis favorable aux circuits courts. Il y a de la place en France pour le bio dans ce cadre. En revanche, dire que l’on va tout passer en bio, sans tenir compte de l’accroissement de la population, c’est ne pas tenir compte des réalités, du besoin de nourrir le plus grand nombre, ce que le bio seul ne saurait assumer.
Vous qui êtes aussi chasseur, en quoi une Europe des nations profietrait à la chasse française ?
P.L. : 80 % de la viande de grand gibier est importée aujourd’hui. Alors que nous pourrions installer en France des entreprises de venaison. Nous avons tout ce qu’il faut sauf, aujourd’hui, la volonté.
Pour conclure, allons au-delà de l’agriculture. Le Front National véhicule toujours une image « peu recommandable ». Avez-vous pensé que vous auriez pu défendre vos idées sous une autre étiquette ?
P.L. : Nous avons le problème d’un parti qui monte. En quelques années, notre électorat a grandi fortement. Et ce n’est pas la même chose quand vous avez 5 % que lorsque vous arrivez à 25-30 %. A 5 %, vous plaisez vraiment à 90 % de vos électeurs. A 25-30, à 70 % seulement. Aujourd’hui, grâce à Marine, nous revendiquons une éthique. S’il y avait des extrémistes, ils ont quitté le parti. On peut nous taxer de souverainistes, de nationalistes, pas d’extrémistes. D’ailleurs, ceux qui nous traitent de fachos sont désormais poursuivis en justice. Nous défendons nos idées, rien de plus.«
En savoir plus : http://www.challenges.fr/france/20150426.CHA5297/plus-d-un-agriculteur-sur-trois-tente-par-le-vote-front-national.html (sondage récent réalisé par l’institut BVA selon lequel plus d’un agriculteur sur trois est tenté par le vote FN) ; http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/redressement-economique-et-social/agriculture (programme agricole du Front National tel qu’il figurait lors de la campagne électorale de 2012).
Ci-dessous, twitt de Philippe Loiseau datant du 15 mars 2015.
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