Depuis quatre ans, une filière amande s’esquisse en Provence, portée par les pouvoirs publics et les transformateurs. La culture de l’amandier est très technique, mais les perspectives de marché sont encourageantes.
En Provence, les fêtes de Noël sont associées aux santons, mais aussi aux nougats, aux calissons… Pourtant, l’amandier a progressivement disparu des paysages du sud-est. « L’amande de Provence est devenue très rare. C’est une production exigeante, sensible au gel et dont la rentabilité est difficile à atteindre. C’est pourquoi la France en importe aujourd’hui environ 90% », analyse Claire Silvain, chargée de communication de la nougaterie Silvain dans le Vaucluse.
Les amandes consommées en France (un peu moins de 35 000 tonnes) proviennent principalement de Californie et d’Espagne. Or, le marché international hyper spéculatif a connu une inflation délirante. Cela pousse les transformateurs à chercher des approvisionnements locaux dans un contexte où la demande intérieure est croissante.
Globalement, les volumes français ont tendance à baisser, variant entre 1 500 à 3 000 tonnes par an. Une seule coopérative transforme et commercialise les amandes françaises : la coopérative Sud Amandes, à Garons (Gard), qui récolte 150 tonnes d’amandons. Mais depuis quelques années, les initiatives fleurissent dans le sud de la France pour développer les vergers.
Trois nouveaux facteurs ont engendré cette dynamique. Tout d’abord, l’attrait économique : le kilo d’amande se négocie en 2017 entre 5,90 à 6,60 euros HT l’amande sèche de France. Ensuite, les méthodes culturales ont été optimisées pour sécuriser la production : les amandiculteurs ont à leur disposition à présent des variétés tardives, une mécanisation adaptée, une optimisation de leur système d’arrosage… Dernier facteur du regain de l‘amande française : sa qualité gustative reconnue par les grands chocolatiers.
C’est pourquoi la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles soutient la création d’une filière amande depuis 2015, convaincue de son intérêt agricole, économique, culturel et touristique. Les élus travaillent avec la chambre d’agriculture depuis 2015 sur différents points : cartographie des sols, journées techniques, objectifs chiffrés (1000 hectares plantés en cinq ans, et des rendements passant de 500 à 1000 kg/an avec un retour sur investissement attendu entre 6 et 7 ans), création d’un syndicat de producteurs, projet de casserie en 2018… Les premières récoltes des nouveaux vergers sont attendues en 2018-2019.
En parallèle, le parc naturel régional des Alpilles envisage d’installer des vergers référence pour améliorer la lutte naturelle contre l’eurytoma, principal ravageur des amandiers qui complique la conversion des vergers en bio. D’ailleurs, l’étude est menée en collaboration avec le Grab (groupement de recherche en agriculture biologique).
Quelques initiatives proviennent aussi directement des nougatiers, comme la nougaterie Silvain située à Saint-Didier dans le Vaucluse. Depuis quelques mois, elle recrute des amandiculteurs pour faire face à la croissance de son activité.
Dans les années 1980, Philippe Silvain et son frère Pierre cultivaient environ 40 hectares d’amandiers, de cerisiers et de vigne. « Pour se diversifier, mon père et mon oncle ont décidé en 1985 de transformer une partie de leurs amandes en nougat pendant l’hiver. Pour cela, ils ont arraché la vigne et replanté des amandiers afin de maîtriser complétement les approvisionnements, sachant que mon oncle avait aussi des ruches pour fournir le miel. Mais surtout, ils avaient une recette de famille : celle de mon arrière grand-mère qui faisait du nougat tous les Noëls », explique Claire Silvain. Un nougat garanti sans huile de palme, sans arômes artificiels ni conservateurs. En 2012, les deux frères installent leur atelier au cœur du village. Très vite, ils triplent la surface en ajoutant une boutique, un salon de thé pour développer les ventes l’été.
Actuellement, 30 tonnes de confiseries sortent de la nougaterie, dont 80 % de nougats, et 20 % de pâtes de fruits et calissons. Comme les volumes augmentent chaque année, la production familiale ne suffit plus. « Mon père et mon oncle sont partis à la retraite. Mon frère s’est installé il y a six ans comme apiculteur avec 400 ruches, et ma cousine Adeline a repris les trente hectares d’amandiers. Elle fournit à la société dix tonnes de variétés Ferragnes et Lauranne. On s’est demandé comment garder ce côté paysan-nougatier, tout en augmentant nos volumes. Après réflexion, nous avons décidé de racheter les amandes d’autres agriculteurs de la région. Nous recherchons des amandiculteurs de toutes tailles, même de petits producteurs capables de nous fournir une ou deux tonnes. Le principal pour nous, c’est d’avoir des amandes de belle taille et goûteuses. »
En 2017, l’entreprise a défini une charte de qualité axée sur la transparence des pratiques et la traçabilité. En contrepartie, elle propose des prix au-dessus du marché (environ 3%). Le petit plus : les amandiculteurs peuvent devenir actionnaires de la société.
La nougaterie souhaite aussi accompagner les agriculteurs qui voudraient démarrer cet atelier de diversification. « Nous pouvons les conseiller car nous avons trente ans de savoir-faire familial ! Nous avons aussi lancé un verger test et nous allons réfléchir à des prestations de formation », confie Claire Silvain qui précise que la nougaterie est labellisée « entreprise du patrimoine vivant ».
En savoir plus : http://vallee-des-baux-alpilles.fr/projet-amandes (le projet amandes présenté par la communauté de communauté de communes de la vallée des Baux-Alpilles) ; http://www.grab.fr/la-filiere-amande-relancee-en-provence-7443 (article du groupe de rechercheen agriculture biologique sur la filière amande relancée en Provence) ; http://arboriculture.ecophytopic.fr/arbo/surveillance/les-bioagresseurs/connaissance-et-m%C3%A9thode-de-lutte-eurytoma-amygdali-un-grand (article sur le « grand ravageur de l’amandier en Europe ») ; http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/01/30/l-amande-ne-boit-plus-de-petit-lait_4856441_3234.html (article du Monde sur la volatilité des cours de l’amande).
Les photos ci-dessous sont à créditer Pertusatofilm et Philippe Giraud. Sur la deuxième, c’est Adeline Silvain qui passe en tracteur entre les amandiers en fleurs au printemps. Les suivantes montrent le produit fini, nougat noir et nougat blanc.