La Pac 2014-2020 est enfin actée, sur le double principe du verdissement et du rééquilibrage des aides. Des motifs de satisfactions pour les uns, des inquiétudes pour d’autres, zoom panoramique, avec l’interprétation exclusive de Christian Pèes.
La première remarque qui vient à l’esprit est que l’accord conclu entre les pays européens avec leurs trois institutions (conseil de l’Europe, Commission et Parlement) ne règle pas tout. Il va rester des arbitrages nationaux, certes sur une base dont les contours sont définis, mais pas entièrement le contenu.
Mais prenons déjà ce qui est acté. Premier point positif, l’installation. Il y aura ainsi, dès 2015 (2014 sera une année transitoire en la matière) une surprime par hectare pour les jeunes installés. Une véritable incitation pécuniaire dont la profession a un réel besoin, pour cet enjeu du renouvellement des générations qui, au fil des crises agricoles, devient de moins en moins évident.
Ensuite, ceux qui bénéficie des ICHN, indemnités compensatrices de handicap naturel (par exemple les agriculteurs de montagne) voit le plafond de leur aide passer de 300 à 450 €, et peuvent bien sûr être satisfaits. Pour les éleveurs de manière plus générale, une surprime sur les premiers hectares doit autoriser une plus grande viabilité pour les petites exploitations.
En revanche, du côté des céréaliers, cela paraît beaucoup moins enviable. Le verdissement et la rééquilibrage doivent être payés, et cela se fera au détriment de la base des aides. Si tout le monde était d’accord pour ces objectifs, il n’est pas non plus souhaitable de réclamer à ceux qui auront moins d’aides de franchir une « marche trop haute« , selon l’expression prononcée par Xavier Beulin et reprise dans un article de ActuAgri. Ce point de la convergence des aides peut toutefois, apparemment, encore être discuté dans les détails. En revanche, pour les betteraviers, une satisfaction, la sortie des quotas, initlalement prévue en 2015, a été repoussée en 2017.
Par ailleurs, sachez que les Gaec sont désormais reconnus au niveau européen. Et qu’il ne sera plus possible d’utiliser des fonds de la Pac pour d’autres destinations que la production agricole (exit les financements d’aéroports dans les pays de l’Est, pour citer un exemple, dont WikiAgri vous avait parlé).
Le président du Cogeca (confédération européenne des coopératives agricoles) Christian Pèes a salué le renforcement de la reconnaissance des organisations de producteurs. Joint au téléphone par WikiAgri ce mercredi 26 juin au soir, il a livré un sentiment mitigé, appréciant qu’il y ait eu un accord, mais en posant des questions sur la suite des événements : « Je me demande si, telle qu’elle transparaît aujourd’hui, la Politique agricole commune répond à la compétitivité dont nous avons besoin en Europe pour bien nous positionner à l’international. L’agriculture durable sur laquelle elle repose est en soi une excellente chose, mais à condition aussi d’inclure la productivité. Nous allons ouvrir des négociations avec les Etats-Unis bientôt, sommes-nous armés pour cela avec cette Pac ? Je sais qu’il y a eu beaucoup d’efforts de fournis pour parvenir à cet accord, que je ne veux pas dénigrer. Mais puisqu’il reste encore des discussions (Ndlr : le passage devant le Parlement européen, le budget…), je souhaiterais qu’elles soient orientées pour que nos agriculteurs puissent répondre aux demandes de nos consommateurs tout en étant armés face à la concurrence.«
Christian Pèes met également en garde face à la possible distorsion de concurrence qui pourrait s’accentuer à l’intérieur de l’Europe : « Le présent texte contient une part importante de subsidiarité (Ndlr : de pouvoirs de choix redonnés aux Etats). D’où la possibilité pour que deux agriculteurs européens faisant exactement la même chose mais dans deux Etats différents ne retrouvent pas du tout les mêmes conditions de travail et de rémunération. Attention à ce que la distorsion de concurrence ne s’amplifie pas entre pays voisins, appartenant à une même entité…«
Dans un communiqué, Orama exprime son désappointement devant une Pac « sans ambition dans ses objectifs et dangereuse pour les grandes cultures dans ses modalités« . En précisant : « La nouvelle Pac, massivement renationalisée, juxtapose des mesures spécifiques incohérentes : de lourdes menaces de distorsions de concurrence en vue, au détriment des producteurs de grains français. Tout se jouera désormais dans la traduction nationale.«
Ce communiqué est conclu par une citation de Philippe Pinta, président d’Orama : « Dans la France d’aujourd’hui, il est impensable de vouloir affaiblir un secteur céréalier qui marche, jusqu’à présent exportateur et innovant. Tel serait pourtant le résultat du ministre de l’Agriculture si, utilisant à l’excès des marges de manœuvre auparavant inconnues, il méprisait dans la fixation des curseurs, les enjeux des producteurs de grains, qui concernent 70% des exploitations françaises. »
Le président du Copa (fédération européenne des syndicats de producteurs) Gerd Sonnleitner a lui poussé un ouf de soulagement sur le fait qu’il y ait eu un accord, tout en sachant qu’il va falloir rester vigilant sur plusieurs sujets : « Selon l’accord trouvé aujourd’hui, l’aide sera ciblée vers les agriculteurs actifs et les mesures visant à verdir davantage la Pac seront plus pratiques et flexibles, donc plus bénéfiques pour l’environnement, tout en garantissant la sécurité alimentaire. Les mesures jugées équivalentes aux mesures de verdissement de la nouvelle Pac seront autorisées dans le cadre de programmes agroenvironnementaux ou de régimes nationaux/régionaux de certification environnementale. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Cela fait quatre ans que nous consacrons de nombreux efforts de lobbying à cet objectif. Concernant la politique de développement rural, je salue globalement les éléments principaux de l’accord. L’accent a notamment été mis sur la viabilité et l’innovation des exploitations agricoles, ainsi que sur la gestion durable des forêts. Je regrette toutefois vivement que la compétitivité du secteur sylvicole européen n’ait pas été définie comme prioritaire. Je me réjouis de voir que le régime européen de quotas de production de sucre sera prolongé. Cela laissera aux producteurs un certain temps pour s’adapter et assurer un marché du sucre stable, tout en maintenant la croissance et l’emploi dans les zones rurales de l’UE. (…) Certains éléments de l’accord vont toutefois à l’encontre des objectifs de la Pac. Nous sommes en particulier opposés à tout transfert de fonds du premier vers le deuxième pilier de la Pac. Le premier pilier de la Pac sera plus important que jamais si l’on souhaite que l’UE continue à garantir la sécurité, la stabilité et la durabilité alimentaires. »
Sur RTL ce mercredi matin, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll avait indiqué qu’il trouvait que l’accord donnait à la Pac une allure « plus juste, plus verte, plus régulée, avec des mesures spécifiques pour les jeunes« . Ce furent hélas ses seuls mots concernant l’agriculture en 10 minutes d’interview.
Sur son mur Facebook, le commissaire européen à l’agriculture Dacian Ciolos a indiqué être « ravi que nous ayons trouvé un accord, qui donne à la politique agricole commune une nouvelle direction en prenant mieux en compte les attentes de la société tel qu’exprimé lors du débat public au printemps 2010. Cet accord aboutira à des changements profonds en faisant des paiements directs, plus justes et plus verts, renforcera la position des agriculteurs au sein de la chaîne de production alimentaire, et rendra la Pac plus efficace et plus transparente.«
En savoir plus : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-621_en.htm (les détails de l’accord, en anglais uniquement au moment où nous mettons ce lien en ligne, mais probablement traduit ensuite, voir la fenêttre en haut à droite pour changer de langue). http://micheldantin.net/index.php?view=article&id=311:baisse-du-budget-de-la-pac-le-gouvernement-pris-en-defaut&format=pdf (communiqué édité par les députés européens Michel Dantin et Agnès Le Brun contestant le montant du budget alloué à la France), une information que WikiAgri vous avait donnée dès fin février ici : https://wikiagri.fr/articles/les-6-milliards-deuros-qui-vont-manquer-a-la-ferme-france/464.
Ci-dessous, il était possible de suivre une partie des débats en direct sur internet (ici Dacian Ciolos).