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Je tire la sonnette d’alarme. Tous les indicateurs sont au rouge, l’année 2016 sera tout aussi difficile, sinon plus, que les derniers mois pour les agriculteurs français. Dans ce contexte, je ne pourrais comprendre que la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire ne fasse l’objet d’un examen approfondi par la majorité gouvernementale lors de son examen en séance publique, jeudi 4 février 2016, à l’Assemblée nationale. La responsabilité gouvernementale est en question.
Sans l’adoption de mesures décisives, la situation pourrait devenir irréversible pour bon nombre d’exploitations. Notre atout économique historique de toujours, l’agriculture, est en péril et avec lui, l’exceptionnel savoir-faire des éleveurs, la richesse française des espèces animales et végétales, mais aussi la survie du monde rural, l’aménagement des territoires, notre souveraineté alimentaire et un nombre conséquent d’emplois. Il y a urgence à adopter des mesures de fond et à activer l’ensemble des leviers disponibles, alors que la crise des derniers mois a agi comme un révélateur de nos faiblesses structurelles.
De leviers, il en est un que le Parlement se doit d’actionner sans plus tarder : l’adoption de dispositions législatives majeures qui impulseront les réformes nécessaires. A ce titre, le Sénat a rédigé et adopté à une large majorité, le 9 décembre 2015, une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire sur laquelle j’ai travaillé en qualité de rapporteur.
Le texte doit être étudié ce jeudi à l’Assemblée nationale. Problème, d’aucuns prédisent que son examen par les députés se soldera par l’emploi d’un artifice de procédure, le renvoi en commission, ce qui reviendrait à enterrer le texte… Inimaginable. Je veux croire au bon sens de mes collègues députés qui ne devraient pas manquer de se saisir de cette proposition pour l’enrichir et nourrir le débat, si impératif. Alors que le désarroi des agriculteurs se fait à nouveau entendre, quel message le gouvernement entendrait-t-il sinon envoyer au monde agricole en adoptant cette posture face à un texte qui pourrait pourtant apporter de vraies réponses et qui est plébiscité par les agriculteurs, à quelques jours du Salon International de l’Agriculture ?
Cette proposition de loi peut réellement enclencher une nouvelle dynamique de compétitivité, dans le cadre d’une stratégie des « petits pas », à travers plusieurs mesures structurelles, mais aussi offrir de nouvelles perspectives aux agriculteurs. J’ai notamment fait adopter au Sénat plusieurs dispositions en faveur de la compétitivité et de l’avenir des hommes et des femmes du monde agricole en ma qualité de rapporteur de cette proposition de loi.
Il en est ainsi des mesures proposées pour une amélioration des relations engagées dans la contractualisation. Partant du constat que les coûts de production des agriculteurs sont insuffisamment pris en compte dans les modalités de détermination des prix d’exécution des contrats, la PPL (proposition de loi) vise à assurer un meilleur équilibre dans la contractualisation en demandant que l’évolution des coûts de production joue un rôle dans le calcul des formules de prix qui figurent dans les contrats agricoles. Ce principe se matérialiserait par une obligation de faire référence à des indicateurs d’évolution des coûts de production d’une part, et à des indicateurs d’évolution des prix sur les marchés d’autre part, tant au niveau national qu’au niveau communautaire, dans les contrats commerciaux. J’ai estimé que cette mesure permettrait aux agriculteurs et aux entreprises de mieux se préparer à la compétitivité nécessaire et à améliorer les relations à l’intérieur des filières pour que ces dernières ne soient pas minées de l’intérieur par des conflits de répartition épuisants et destructeurs. En outre, le Sénat a imaginé une conférence agricole annuelle qui réunira l’ensemble des maillons de chaque filière : production agricole, transformation, distribution et restauration hors foyer, dans le but de rapprocher leurs points de vue et leurs anticipations.
Par ailleurs, la proposition de loi comprend une disposition réclamée de longue date par les producteurs et les consommateurs. Elle instaure la possibilité pour les consommateurs de demander aux fabricants ou industriels de leur indiquer l’origine des produits laitiers ou carnés qu’ils fabriquent ou vendent. Cette mesure permettrait de contourner l’interdiction européenne d’un étiquetage obligatoire de l’origine, tout en valorisant la qualité des produits français. En outre, j’ai estimé que l’origine qui devrait être indiquée au consommateur est celle de l’ingrédient principal et j’ai donné la possibilité aux interprofessions de fixer les modalités d’information du consommateur.
La PPL démontre également sa pertinence dans ses mesures en faveur de l’installation des jeunes. Conscient de l’enjeu clé que représente le renouvellement des générations, j’ai fait inscrire plusieurs mesures en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs dans un contexte où le capital à mobiliser pour installer un jeune ne cesse de croître. La PPL apporte notamment une solution au problème de la marchandisation des contrats laitiers en rendant la cession de contrat inefficiente sur le plan patrimonial. De même, elle propose de faire bénéficier les jeunes agriculteurs de l’exonération partielle de cotisations sociales pour une durée plus longue que celle existante actuellement pour soutenir les jeunes dans la durée, au moment où les dispositifs d’aides s’affaiblissent. L’opportunité de revoir le cadre temporel de l’ensemble des aides à l’installation comme la dotation jeunes agriculteurs ou la minoration de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, toutes les deux actuellement valables cinq ans, a également été évoquée. Enfin, j’ai fait adopter un amendement qui propose de rendre obligatoire la mise en place de prêts de carrière pour mieux accompagner les jeunes agriculteurs, et la souscription d’une assurance contre les risques climatiques pour les rendre moins fragiles.
Plusieurs mesures d’allégement des normes qui pèsent sur la compétitivité des exploitations agricoles ont été adoptées au Sénat avec notamment la fin de la surtransposition des directives européennes concernant les installations classées. Cette disposition est très attendue par les éleveurs, victimes quotidiennes des distorsions de concurrence visibles entre la France et les autres pays de l’Union européenne. En attendant une harmonisation nécessaire des normes sociales, environnementales et fiscales au niveau européen, cette mesure serait un signal fort adressé en particulier aux éleveurs de nos territoires.
Le Sénat a également fait adopter des diminutions de charges sociales des chefs d’exploitation et fait entériner le principe d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dans la limite de soixante hectares pour les exploitants agricoles. De plus, j’ai estimé nécessaire de donner aux agriculteurs qui ont investi à crédit dans du matériel d’exploitation ou du cheptel, lorsque leur secteur d’activité est reconnu comme étant en crise, la possibilité de reporter le remboursement d’une fraction de leurs emprunts en fin de tableau d’amortissement des prêts. En séance, j’ai fait adopter un amendement qui étend cette faculté de report aux emprunts souscrits pour financer la construction ou la rénovation de bâtiments d’élevage dans l’objectif d’apporter aux exploitations une véritable bouffée d’oxygène en situation de crise. Cet instrument juridique imaginé par le Sénat permettrait de répondre à la problématique de « l’année blanche » qui est tant attendue par la profession.
Par ailleurs, j’ai souhaité encourager les investissements en étendant le bénéfice du suramortissement Macron aux constructions ou rénovations de bâtiments, y compris d’élevage, de stockage ou de magasinage de produits agricoles ou alimentaires, et aux CUMA et aux coopératives alors que ces dernières contribuent pour une large part à la modernisation de l’outil industriel agroalimentaire, enjeu stratégique pour l’avenir de notre agriculture.
Cette proposition de loi apporte des réponses structurelles, notamment au secteur de l’élevage si important en France, et à la compétitivité essentielle pour assurer un revenu aux éleveurs. J’en appelle désormais à la mobilisation des députés autour de ce texte jeudi prochain. Ne laissons pas des postures politiques guidées notre action ou nous paierons cher notre inertie, au prix de la perte définitive de pans entiers de notre agriculture et de la filière agroalimentaire. Les hommes et les femmes qui la font vivre au quotidien méritent mieux que cela. Il serait coupable et irresponsable de ne pas saisir cette opportunité législative, qui peut envoyer des signaux forts, notamment auprès des jeunes générations. La France doit se munir d’outils législatifs adaptés aux réalités du monde économique et agricole et anticiper ses mutations afin d’assurer la survie de nos agriculteurs sur nos territoires.
Par Daniel Gremillet
Sénateur des Vosges (LR)
Rapporteur au Sénat de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire
Agriculteur
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