Les normes sont à la fois des éléments de compétitivité de l’agriculture française, mais aussi des entraves à sa compétitivité. Elles s’imposent de plus en plus souvent aux agriculteurs sans contreparties. Au Sénat, un groupe de travail a listé 16 propositions pour faire le tri entre les bonnes et les mauvaises normes et en réduire le nombre.
Trop de normes tuent les normes. Un groupe de sénateurs a récemment émis 16 propositions en vue de mettre fin à l’avalanche et à la surabondance de réglementations qui paralysent décourage toute initiative. C’est le début d’un vaste chantier. Ni la loi de modernisation agricole et ni la loi d’avenir de l’agriculture n’ont tenté d’encadrer la production de normes.
En fait, la première mesure à prendre pour limiter l’inflation des normes est d’en faire l’inventaire. Ces normes émanent à la fois de la Commission européenne, du gouvernement français et de leurs transpositions localement. Par ailleurs, le secteur agricole est à l’interface de ce qui relève de la santé et de l’environnement. Aussi, il est soumis à des normes par rapport auxquelles les agriculteurs n’ont aucune réelle emprise.
Lors de la présentation du rapport d’information du groupe de travail sur « Les normes en matière agricole » qu’ils animaient, Gérard Bailly (PS) et Daniel Dubois (UDI), sénateurs du Jura et du Gers, ont reconnu qu’ils n’avaient pas les moyens de dresser cet inventaire exhaustif, pourtant nécessaire. Tout au plus pensent-ils avoir trouvé quelques ficelles pour « en atténuer la production et retrouver le chemin du bon sens ».
En présentant leurs conclusions, ces sénateurs ont proposé l’adoption d’un plan de simplification des normes, par le conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et agroalimentaire, opposable aux ministères. Mais le groupe de travail s’inscrit plutôt dans une dynamique de réduction du rythme de production de normes que dans une logique d’élimination. (lire les propositions 4 et 5 à la fin de l’article).
Toutefois, il n’est pas question de vivre sans normes. Les produits sous appellation d’origine contrôlée doivent leur notoriété aux normes qui les définissent. Celles-ci sont même indispensables pour réguler la production et garantir sa qualité.
Au niveau européen, les IGP sont des remparts érigés face à la concurrence internationale et à contrefaçon.
Selon Gérard Bailly, sénateur et ancien éleveur laitier en Franche-Comté, les agriculteurs ne se plaignent pas des règles imposées pour produire du lait à comté puisque la tonne de lait est payée en conséquence. En revanche, les normes en vigueur posent problèmes dès lors que les prix des produits ne compensent pas les charges supplémentaires qu’elles engendrent.
Depuis 20 ans, le coût des mises aux normes des élevages n’a jamais été compensé par une rémunération du service environnemental rendu par les éleveurs.
En fait, retrouver le chemin du bon sens en termes de normes passe, selon les sénateurs, par l’adoption de trois principes intangibles :
– associer la profession agricole lors de l’élaboration de normes pilotées par d’autres ministères que l’agriculture mais qui peuvent avoir un impact sur le secteur agricole. Ce serait peut-être la mesure la plus pertinente pour limiter la production de nouvelles règles inadéquates ;
– se concentrer sur les résultats attendus des normes édictées et non pas sur les moyens à mettre en œuvre, pas toujours adéquates, pour l’appliquer. Il faut donner davantage d’initiatives aux agriculteurs ;
– évaluer les normes appliquées dans un délai de 3 à 5 ans après leur mise en œuvre et abroger les dispositions ayant un effet négatif ou insuffisant par rapport aux objectifs initiaux.
Ces propos synthétisent dix des seize propositions du groupe de travail « Normes agricoles » de la commission des affaires économiques du Sénat.
Les six autres sont concrètes et font échos aux revendications syndicales. Certaines ont été émises lors des états généraux de l’agriculture en 2015.
Mais l’overdose normative dénoncée par les sénateurs résulte en partie de la méconnaissance des processus contre lesquels les normes imposées sont tentées de combattre. Et comme les résultats attendus ne sont pas aux rendez-vous, les autorités redoublent alors de mesures pas pour autant plus efficaces.
La maitrise des taux de nitrates est l’exemple flagrant de cette escalade normative. Depuis plusieurs années, les recherches conduites sur les mécanismes de lessivage des sols ont montré que les capacités de rétention des sols en minéraux (NPK) sont sous-estimées. Leur écoulement dans les nappes phréatiques est plus lent et plus compliqué que prévu. Aussi, la baisse des quantités d’engrais épandues ne se traduit pas systématiquement par des diminutions de taux de nitrates.
C’est pourquoi le bilan des programmes de mises aux normes des exploitations est plutôt décevant. Ils ont été mis en place il y a plus de 20 ans sans réelle connaissance des mécanismes de réduction des taux de nitrates dans le sol.
Proposition n° 1 : Faire adopter un plan de simplification par le Conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et agroalimentaire, avec des objectifs chiffrés. Rendre le plan de simplification opposable aux autres ministères. Rendre compte une fois par an devant le Parlement.
Proposition n° 2 : organiser l’association systématique de la profession agricole lors de l’élaboration de normes pilotées par d’autres ministères que le ministère de l’agriculture, mais qui peuvent avoir un impact sur le secteur agricole.
Proposition n° 3 : faire une analyse d’impact économique systématique sur l’agriculture des nouvelles normes.
Proposition n° 4 : pour les normes prises en application de textes communautaires, mettre en place un contrôle approfondi de la sur ou sous-transposition et s’interdire réellement de sur-transposer.
Proposition n° 5 : proposer un accompagnement lors de la mise en place des nouvelles normes, en orientant les personnels des services déconcentrés de l’État et des chambres d’agriculture vers ces missions.
Proposition n° 6 : développer l’expérimentation des normes avant généralisation.
Proposition n° 7 : faire évoluer les contrôles en agriculture.
Proposition n° 8 : mettre en place une évaluation ex-post des normes agricoles dans un délai de 3 à 5 ans après leur mise en oeuvre et abroger les dispositions ayant un effet négatif ou insuffisant par rapport aux objectifs initiaux.
Proposition n° 9 : faire appliquer le principe voulant qu’une norme agricole créée doit être « gagée » par une norme abrogée.
Proposition n° 10 : faire évoluer les règles de la PAC pour donner une tolérance sur les calculs de surface.
Proposition n° 11 : assouplir les règles en matière de prairies permanentes.
Proposition n° 12 : aligner les exigences en matière d’études d’impact des installations classées agricoles sur le droit européen.
Proposition n° 13 : imposer à l’administration un délai d’instruction pour les installations classées, tout dépassement de délai valant approbation.
Proposition n° 14 : faciliter la mise en place de retenues collinaires.
Proposition n° 15 : différer pour l’agriculture la mise en place du compte pénibilité et la complémentaire santé.
Proposition n° 16 : allègement des plans d’épandage, sans référence à la parcelle.
En savoir plus : http://www.senat.fr/rap/r15-733/r15-733.html (le rapport d’information du Sénat).
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