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Nabilla, symbole de la crise des valeurs paysannes ?

Une société qui choisit un personnage comme Nabilla comme modèle est-elle compatible avec ce que l’on appelle les valeurs paysannes ? Et n’est-ce pas là l’une des causes du décalage constaté aujourd’hui entre agriculteurs et société ?

Y a-t-il un rapport entre Nabilla, l’ex-star de la téléréalité, qui vient d’être écrouée pour tentative de meurtre sur son conjoint, et le monde agricole ? Pas à première vue, mais si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’elle est le symbole d’une société qui a totalement perdu de vue les « valeurs paysannes ». Démonstration.

Le 5 novembre dernier, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) ont appelé à des manifestations qui se sont déroulées dans une soixantaine de villes en France. Dans un communiqué publié le lendemain, les Jeunes Agriculteurs ont d’indiqué que « cette mobilisation exceptionnelle et réussie traduit bien la crise morale qui mine nos campagnes depuis de longs mois ».

Le monde agricole face à ses différents malaises

Quelle est la nature de cette « crise morale » et de ce grand malaise qui traverse actuellement le monde agricole ? Dans un entretien accordé au Figaro le 3 octobre dernier, le sociologue François Purseigle mentionnait trois sources de ce malaise : (1) la crise agricole à proprement parler, à savoir « les difficultés du métier : la baisse des revenus, la montée des charges et la mise en place des nouvelles contraintes administratives et environnementales » ; (2) mais aussi la solitude ou « le mal être personnel des agriculteurs, de plus en plus seuls sur leur exploitation » ; (3) et enfin, un rapport des agriculteurs avec le reste de la société de plus en plus compliqué parce qu’ils « s’estiment être les boucs émissaires d’une société qui ne les verrait que par le prisme de la pollution ».

Le sociologue Roger Le Guen expliquait lui aussi dans un entretien accordé à La Croix le jour de la manifestation du 5 novembre, que les agriculteurs ont « le sentiment d’être incompris de la société dans laquelle ils travaillent. Si, en tant qu’individus, les agriculteurs sont souvent regardés avec compréhension et même sympathie […], leur métier et la façon dont ils l’exercent est sans cesse remis en cause, débattu publiquement, souvent de manière rudimentaire par une opinion publique qui ne connaît pas ce métier ».

Le géographe Laurent Chalard affirmait à ce propos le 2 février 2014 sur le site Atlantico qu’« Il existe […] souvent une incompréhension entre les urbains qui privilégient une gestion écologiste et de récréation des espaces ruraux et les habitants du monde rural qui s’attachent préférentiellement au maintien de l’emploi au travers d’une agriculture productiviste et de son corollaire une puissante industrie agroalimentaire (pensons à la Bretagne intérieure) ». Les enjeux environnementaux ou autour du bien-être animal semblent être, en effet, symptomatiques de cette incompréhension entre le monde agricole et les préoccupations d’une société urbanisée et tertiairisée qui s’éloigne de plus en plus de ses racines rurales et paysannes.

Une société de plus en plus éloignée des « valeurs paysannes »

Mais Roger Le Guen parle également d’une autre forme de malaise qui serait une véritable « crise de sens » à partir du moment où « la notion même de production agricole est en question », certains agriculteurs allant même jusqu’à ne plus très bien percevoir « leur utilité sociale » en ne sachant plus « pourquoi ils travaillent », notamment parce qu’ils « sont devenus dépendants de l’industrie agroalimentaire, avec un cahier des charges, des procédures de contrôle et de traçabilité strictes à respecter ».

Il est à noter à ce propos que la revue Etudes rurales, dans son numéro 193 paru récemment, a consacré un dossier aux « souffrances paysannes », liées en particulier aux suicides.

Mais on pourrait rajouter sans doute une cinquième forme de malaise. Les agriculteurs semblent, en effet, ne plus se sentir très à l’aise dans la société actuelle car ils ne s’y reconnaissent plus trop étant donné que les valeurs qui sont chères à leurs yeux, les « valeurs paysannes » pour aller vite même si elles ne sont pas toujours faciles à cerner, paraissent y avoir de moins en moins d’influence. Sans tomber dans une nostalgie un peu rancie à la Eric Zemmour, force est de constater qu’un certain nombre de ces valeurs n’ont plus trop cours aujourd’hui dans la société française. Ceci est particulièrement vrai pour diverses tendances de la société actuelle, dont l’ex-star de la télé-réalité, Nabilla Benattia, aujourd’hui incarcérée suite à une tentative présumée d’homicide volontaire sur son conjoint, a été très certainement la meilleure incarnation ces dernières années. Quelles sont ces tendances ?

Nabilla matérialise le culte de l’argent facile

La première de ces tendances est la quête de la réussite rapide et de l’argent facile, sans avoir à produire beaucoup d’efforts ou sans véritable mérite et, parallèlement, un culte de l’argent et de la richesse matérielle. Cette tendance à la quête de l’argent facile est notamment incarnée par les traders, les oligarques russes, les magnats du pétrole, des héritiers, tels que l’américaine Paris Hilton, les footballeurs, les producteurs de télévision, certains artistes, les top models ou encore les caïds de la drogue. Nabilla est sans aucun doute le symbole de ces tendances. Sa réussite a été tout d’abord fulgurante alors qu’elle ne reposait pas nécessairement sur un mérite particulier. Par ailleurs, un article qui lui est consacré sur le site francetvinfo.fr indique qu’« « enfant gâté », elle a un rapport particulier à l’argent ». D’après Le Figaro, elle toucherait 5 000 euros pour chacune de ses apparitions en boîte de nuit et elle aurait perçu entre 25 000 et 30 000 euros pour le tournage de l’émission Les Anges de la télé-réalité 5. Il est évident que ce rapport singulier à la réussite et à l’argent et l’absence de lien évident entre effort fourni et argent gagné ne correspondent en rien aux valeurs partagées par la plupart des agriculteurs.

La seconde tendance est la quête de célébrité rapide, notamment via la télévision, et même l’obsession de la notoriété, quelle qu’en soit l’origine, que celle-ci soit liée à un quelconque mérite ou non. La célèbre citation de l’artiste américain Andy Warhol faite en 1968 semble être bel et bien être devenue une réalité : « A l’avenir chacun aura son quart d’heure de célébrité ». Nabilla en est également l’un des meilleurs exemples. Obsédée par la célébrité, elle a réussi à se faire connaître du grand public en participant à plusieurs émissions de télé-réalité (L’Amour est aveugle sur TF1 en 2011 et surtout Les Anges de la téléréalité 4 sur NRJ 12 en 2012) et à travers quelques phrases devenues célèbres comme « Allo ! Non mais allo, quoi. T’es une fille et t’as pas de shampoing ». Suite à cette notoriété soudaine, elle a obtenu sa propre émission de télévision (Allô Nabilla) avant de devenir chroniqueuse pour le talk-show de D8 animé par Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste !, tout en publiant parallèlement un livre intitulé Allô ! Non mais allô, quoi ! Cette célébrité semble être aussi désormais indépendante d’un mérite quelconque ou même de la « moralité » de la personne en question. Nabilla a ainsi fait un mois de prison pour escroquerie en 2009. La non moins célèbre Zahia, ex-call girl impliquée dans les affaires Benzema et Ribéry, en est un autre exemple récent retentissant. Sur ce sujet aussi, en dehors de quelques agriculteurs pris au jeu de la soudaine notoriété pour avoir participé à l’émission de M6 L’Amour est dans le pré, cette obsession de la célébrité semble être bien éloignée des valeurs de bon sens, de pragmatisme, de patience ou de goût du travail qu’ils tendent à partager.

La troisième est le matérialisme et le consumérisme, qui se caractérise souvent par une consommation ostentatoire et distinctive, un goût prononcé pour le luxe et une fascination pour le mode de vie des super-riches. On se souvient à ce propos de la célèbre citation de Jacques Séguéla : « Si on n’a pas de Rolex à 50 ans, on a raté sa vie ». Or, Nabilla en est aussi l’un des symboles. Elle est, en effet, connue pour dépenser son argent avec une grande facilité, notamment pour se procurer des vêtements de luxe. Elle a été aussi impliquée dans une bagarre de rue après avoir dit à une passante qu’elle n’avait aucun style… Or, même si l’on observe un rapprochement des modes de vie entre les mondes urbains et ruraux, il est aussi évident que la mode du « bling bling » est loin d’avoir déteint sur le monde agricole.

La quatrième tendance est l’égocentrisme, le narcissisme et la frime, incarnée par nombre d’individus à l’ego surdimensionné dont le nombril est le centre du monde. Nabilla appartient sans aucun doute à cette catégorie. Elle s’est fait également connaître par ses caprices de « diva », par exemple en crachant au visage d’un guichetier de la SNCF gare de Lyon en mai 2013 alors qu’elle tentait de doubler les voyageurs qui attendaient patiemment dans une file d’attente. On est là aussi très éloigné de ce que serait la « sagesse paysanne ».

Enfin, la dernière tendance est l’obsession du corps et de l’apparence physique, qui se traduit notamment par un culte narcissique de son corps (régimes alimentaires, fitness, fascination pour les tops models, chirurgie esthétique, etc.) et de la jeunesse. Nabilla en est le symbole évident puisqu’elle a eu recours à plusieurs reprises à la chirurgie esthétique (plusieurs opérations du nez, mais aussi des dents, des lèvres, des pommettes et bien entendu de la poitrine) afin de se sculpter un « corps de rêve » dont elle a fait sa principale valeur ajoutée. Elle a d’ailleurs parlé d’un « investissement » à ce propos dans le Grand Journal de Canal plus. Avant de faire de la téléréalité, elle a été ainsi mannequin et a été élue miss salon de l’auto à Genève en 2011. Là aussi, on semble être très éloigné des préoccupations quotidiennes des agriculteurs et de leurs « valeurs ».

Si la société a choisi une telle idole…

En définitive, il est évident qu’un monde où Nabilla a pu émerger et réussir et obtenir une telle notoriété et même fasciner une partie de la population – c’est le cas pour certains de mes étudiants – n’est pas un monde où les agriculteurs se sentent à l’aise et chez eux. Cela a même sans doute contribué à nourrir leur incompréhension vis-à-vis du reste de la société et leur sentiment d’être de plus en plus coupée de celle-ci, du moins en termes de « valeurs ».

En savoir plus : www.jeunes-agriculteurs.fr/a-la-une-languedoc/item/1014-mobilisation-nationale-du-5-novembre-un-vrai-succ%C3%A8s (communiqué du 6 novembre des Jeunes agriculteurs), www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/10/03/20002-20141003ARTFIG00006-purseigle-des-situations-de-souffrances-extremes-chez-les-agriculteurs.php (entretien de François Purseigle au Figaro le 3 octobre 2014), www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Certains-agriculteurs-ne-percoivent-plus-tres-bien-leur-utilite-sociale-2014-11-05-1260008 (entretien de Roger Le Guen à La Croix le 5 novembre 2014), www.atlantico.fr/decryptage/que-reste-t-encore-dans-pre-que-france-et-francais-sont-devenus-en-eloignant-toujours-plus-racines-rurales-laurent-chalard-969791.html (entretien de Laurent Chalard pour le site Atlantico le 2 février 2014), http://editions.ehess.fr/revues/numero/souffrances-paysannes/ (informations sur le numéro de la revue Etudes rurales consacré aux « souffrances paysannes »), www.francetvinfo.fr/culture/people/nabilla/sept-choses-que-vous-ignorez-peut-etre-sur-nabilla_738829.html (article de francetvinfo.fr consacré à Nabilla), www.lefigaro.fr/argent/2014/11/10/05010-20141110ARTFIG00287-le-business-juteux-de-nabilla.php (informations sur le « business » de Nabilla), www.francetvinfo.fr/culture/people/nabilla/prison-crachat-au-visage-et-chambre-d-hotel-saccagee-le-cote-obscur-de-nabilla_738919.html (autres informations sur Nabilla parues sur le site francetvinfo.fr).

Notre illustration est une copie d’écran d’un extrait de l’émission de Canal+ Le grand Journal, que l’on retrouve sur ce lien : http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/audiences-tv/74955/nabilla-benattia-je-vais-avoir-ma-propre-telerealite.html.

 

3 Commentaire(s)

  1. Je suis attéré en lisant cet article.
    Mais ou vivez vous, pour avoir une vision si tronquée de la réalité? Ou trouvez vous, ces valeurs que vous prêtez aux agriculteurs ?
    Les agriculteurs auraient à l’inverse de la société conservé les valeurs paysannnes?
    Combien d’agriculteurs font des courses alimentaires dans des grandes surfaces hard discount dans le but de préserver leur pourvoir d’achat et accéder à une société consumériste ? Combien d’agriculteurs renouvellent leurs tracteurs (sans raisonnement économique , a part de l’optimisation fiscale), dans le seul but d’épater le voisinage et rentre ainsi dans le bling-bling? Combien d’agriculteurs achètent des 4×4 de marques allemandes ?

    Vous parler de l’égocentrisme des stars de notre société, et la sagesse paysanne? Mais combien de reprises d’exploitations se transforment en duel féroce entre exploitants en place, dans une courses délirantes aux surfaces ..combien de milliers d’euros sont dépenser chaque année par la collectivité pour nettoyer et réparer les dégâts causés par les manifestations d’exploitants agricoles… Pas très philanthrope tout ça !

    Les agriculteurs n’aimeraient pas l’argent facile? Demander à viticulteur des Cru de Bourgogne qui vend des bouteilles à 55 € si il n’aime pas l’argent facile….demander à un céréalier qui prend des options sur sa récolte de 2016 si il ne cherche pas l’argent facile…et si il le pouvait demander à un éleveur laitier de vendre sa tonne de lait à 900 €…
    Bien sur, qu’il le ferait, tout le monde cherche à faire de l’argent le plus facilement ! Votre partie pris est complètement faux.. chaque activité économique cherche à faire de l’argent le plus facilement possible (star de télé réalité et agriculture !)

    Enfin, afin de vous sortir de votre vision complètement passéiste et obsolète du monde rural, je vous invite à vous rendre au Salon International du Machinisme Agricole à Paris en février prochain. Vous y verrez des stands qui n’ont rien à enviez aux salons de l’Auto de Généve… Matériel rutilant, show pyrotechnique, hôtesse ravissantes sur les stands, (Nabilla y aurait toute sa place!) , et des agriculteurs ravis de ce spectacle !!!

  2. je suis plutôt en accord avec le commentaire ci dessus, même si je ne vois pas le rapport entre matif et argent rapide, et si je n’ai jamais vraiment vu des hôtesses ravissantes sur les stands de Villepinte.
    Reprocher à la société la vision qu’elle à de l’agriculture me semble « gonflé », ne serait ce pas l’image que l’on en donne qu’il faudrait changer. Dans l’amour est dans le prés, qu’elle image donne ces pauvres bougres…
    En ce qui concerne le fait que la société choisissent nabilla comme model, je dirais plutôt que la société c’est fait « refiler » la nabilla, avant que n’arrive le tour d’une ou d’un autre. Ces prétendu icône avec comme seul talent leur physique ne sont que des produits du système.

  3. En tant qu’agricultrice de 44 ans, je ne reconnais dans aucun des deux articles.
    Nabilla, dans son bling-bling, son culte de l’apparence et son « argent facile » est très loin de moi. Par contre, les valeurs paysannes, je ne sais pas si on les incarne vraiment.
    On travaille pour produire des bovins ou autres pour les vendre et donc en tirer un revenu. Donc si on peut vendre cher tant mieux mais ce n’est pas souvent.
    Changer un tracteur pour épater le voisin c’est faux dans 90 % des cas. Le tracteur est le matériel indispensable dans une exploitation agricole, si on l’a acheté neuf, on essaiera de le laisser brillant les premiers jours.
    Par contre, je connais pas personnellement d’agriculteurs avec des 4×4 de marques allemandes. Mais pour travailler beaucoup d’agriculteurs ont des 4×4 utilitaires, c’est d’ailleurs très pratiques , on peut rarement briller avec car ils sont tout le temps couverts de poussière. Je connais quelques agriculteurs avec des 4 x 4 de sortie mais bien moins cher que ceux de marques allemandes.
    Pour ma part, j’aime mieux mettre mes produits en avant que moi-même, donc je ne serai jamais une star de la télé réalité, je déteste les caméras, je passe peut-être à côté de beaucoup d’argent…mais je n’y crois pas. Je n’ai même pas pu mettre une photo de mon visage, j’ai préféré mettre une photo d’une partie de notre troupeau.
    Françoise

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