Il n’existe aucun dispositif approprié (assurance récoltes, aides contracycliques, épargne de précaution), lorsque les producteurs de céréales sont confrontés, pendant plusieurs années successives, à une baisse générale de leurs revenus.
Quelle que soit la qualité des céréales livrées, leurs débouchés sont assurés. Les coopératives et les collecteurs privés ont les moyens de nettoyer et de traiter les grains livrés par les producteurs de céréales pour constituer des lots homogènes commercialisables. Mais il ne faut pas s’attendre à des miracles : on n’a jamais fait du bon grain avec de l’ivraie. Et les industriels, comme les transformateurs, n’ont pas l’intention de revoir à la baisse leurs niveaux d’exigences et leurs cahiers des charges car le contexte économique actuel ne s’y prête pas : les marchés mondiaux sont très bien approvisionnés. Au pire, les lots de grains les moins bons seront destinés à la méthanisation, mais ils ne seront pas payés bien chers.
Un des rares points de satisfaction de cette campagne serait la teneur en protéines des céréales récoltées. La baisse des rendements généralisée sur l’ensemble des territoires se traduit corrélativement par une hausse des taux.
Ce n’est pas dans le sud-ouest que les problèmes des rendements et de qualité des céréales se posent. Ils n’ont jamais atteint des sommets et les mauvaises conditions climatiques n’ont pas vraiment affecté les cultures. « La récolte sera moyenne-plus, autour de 60 quintaux par hectarea. Aucun sinistre n’a été constaté pour le blé dur. Et à ce jour, les cultures de printemps ont une belle tenue car elles ont bien été alimentées en eau », explique Christian Pèes, président de la coopérative Euralis, également président « métiers du grain » à Coop de France.
Dans les grands bassins de production au nord de la Loire, le contexte est tout à fait différent. Des pertes de rendements de plus de 30 % ne sont pas exclues après deux années de fortes baisses de revenus et la qualité n’est pas au rendez-vous. Personne ne sait encore quelle sera la capacité d’exportation des céréales à paille de la France. La volatilité des cours traduit une certaine inquiétude des marchés même si, dans le contexte actuel, la France n’est pas en mesure d’orienter, seule et durablement, les cours mondiaux sur le long terme.
Mais le choc est rude. Deuxième exportateur mondial de céréales, notre pays est habituellement un acteur sûr et fiable sur lequel les importateurs ont toujours pu compter pour s’approvisionner. Sa production et ses capacités d’exportation sont peu affectées par des accidents climatiques dévastateurs dont sont régulièrement victimes les autres grands pays producteurs de céréales et exportateurs mondiaux (Etats-Unis, bassin de la Mer Noire, ou Australie notamment).
En France, les marchés, comme la Pac, ne seront d’aucun secours. Cette année, le niveau actuel des prix des céréales ne compensera pas la chute des rendements et le régime d’indemnisation des assurances récoltes sera largement insuffisant pour espérer une quelconque indemnisation à la hauteur des pertes subies. Le taux de franchise appliqué de 30 % n’est pas adapté à la situation. Il conduira les assurés à supporter seuls une grande partie du manque à gagner.
Résultat, les agriculteurs savent d’ores et déjà que l’année 2016 sera de nouveau mauvaise avec des chutes de revenu qu’aucune autre catégorie socioprofessionnelle n’accepterait de supporter.
Après plusieurs années difficiles, ils n’ont même plus les moyens de puiser dans leur épargne de réserve pour faire fonctionner leur exploitation, s’ils ont pu, du reste, s’en constituer une, sous forme de DPA par exemple.
Tel qu’il a été construit, le dispositif d’aides découplées financé par un budget européen annualisé montre une nouvelle fois ses limites.
« La Pac n’est pas réactive pour apporter des solutions appropriées à des situations de crises telles que les vivent les agriculteurs depuis des années », déplore Christian Pèes.
Cette situation renforce les partisans, comme lui, de l’instauration d’aides contracyliques, cheval de bataille du think tank Momagri, et dont le montant serait calculé par rapport à un niveau de revenu moyen : leur montant serait élevé les années de mauvaises récoltes ou lorsque les prix sont faibles, et il serait plus faible lorsque la conjoncture est porteuse. Evidemment, ce système de soutien suppose des budgets européens conséquents, pluriannuels et facilement mobilisables.
Les aides découplées ne permettent pas de faire face à la volatilité des marchés ou à des accidents climatiques de plus en plus fréquents et imprévisibles. Elles n’ont jamais permis de compenser les manques à gagner des producteurs tant les préjudices subis sont alors importants. Et cette année, le dispositif est aussi insuffisant pour parer à des crises sanitaires et à des chutes de production. Enfin, les pertes sont si élevées qu’elles dépassent largement les enjeux du rééquilibrage et de convergence des soutiens publics entre les états membres et entre les agriculteurs européens et français.
En savoir plus : http://www.coopdefrance.coop/fr/29/metiers-du-grain (Coop de France « métiers du grain », dont Christian Pèes est président) ; http://www.euralis.fr (site de la coopérative Euralis).
La qualité du grain (ici de l’orge) laisse à désirer en cette année 2016.