La forte reprise de l’économie mondiale ne profite pas à l’agriculture. Les prix des matières premières poursuivent leur ascension excepté les commodités agricoles. Le pétrole est au plus haut depuis quatre ans. Or les agriculteurs n’ont pas moyens de répercuter le renchérissement des coûts de production et des prix des hydrocarbures, selon le Cyclope 2018.
Tout va bien. « Le ciel rit, la terre jubile ». Le sous-titre en allemand de l’édition 2018 du Cyclope Les marchés mondiaux : « Der Himmel lacht, die erde jubilieret » donne le ton du pavé de 800 pages présenté le 16 mai dernier par Philippe Chalmin, professeur d’université. Mais les agriculteurs rient jaune ! En particulier ceux qui sont confrontés, sans garde-fou, aux marchés mondiaux pour commercialiser leurs produits.
L’agriculture est le seul secteur qui ne profite pas de la forte croissance de l’économie mondiale (4 % par an). Et force est de constater que les politiques agricoles des Etats-Unis et de l’Union européenne perdent en consistance.
Dans l’Union européenne, la fin des quotas betteraviers sonne le glas de la politique agricole commune telle qu’elle a été édifiée au début des années 1960 alors que les planteurs de sucre sont confrontés à une conjoncture effroyable. Jamais les cours du sucre n’ont été aussi faibles, en cause la croissance de la production de betteraves sucrières en Europe et de la production de cannes à sucre en Inde en particuliers.
« L’ISO (International Sugar Organization) prévoit ainsi une production mondiale de sucre de 178,7 millions de tonnes (Mt) et table sur une consommation mondiale de 173,5 Mt pour la campagne 2017/18. Soit un excédent de plus de 5 Mt de sucre sur le marché mondial », rapportent les contributeurs du Cyclope 2018. « Le prix de la livre de sucre blanc pourrait être à un chiffre dans les prochaines semaines », affirme Philippe Chalmin, coordinateur du Cyclope 2018.
Aux Etats-Unis, « Donald Trump néglige les intérêts de l’agriculture américaine ». Les exportations de soja sont menacées par les mesures de rétorsion prises par la Chine envers ses exportations d’acier et d’aluminium. L’Empire du milieu commence déjà à s’approvisionner auprès d’autres pays. Les farmers, qui se sont détournés du blé pour cultiver du soja plus rémunérateur, craignent d’être sur le carreau.
Par ailleurs les agriculteurs redoutent les décisions prises pour limiter l’accès des Mexicains et des Sud-américains au marché américain du travail. « La pénurie de main-d’oeuvre agricole se fait de plus en plus aiguë, qu’il s’agisse de la Californie ou même des élevages du Midwest », affirme le Cyclope.
Quant au Farm Bill, l’enjeu du budget de l’année est « la part des crédits alloués aux programmes d’aides alimentaires et à la prise en charge partielle des primes d’assurance », ajoutent les contributeurs de l’ouvrage. Selon eux, ils devaient représenter 76 % des dépenses budgétaires contre 9 % pour les assurances agricoles et 5 à 6 % chacun pour les programmes de soutien (ARC, assurance recette contra-cyclique, et PLC, Deficiency payment) et l’environnement. Or l’an passé seuls 41,5 milliards de dollars ont financé les programmes alimentaires sociaux, consécutivement à la reprise économique. « A l’inverse, les programmes de soutien ARC et PLC coûtent plus cher que prévu – 21 milliards de dollars ».
A Bruxelles, la discussion du budget agricole européen ne commence pas sous les meilleurs auspices. Se profilent une baisse des crédits et l’absence d’outils efficaces de sécurisation des revenus. « Le syndicalisme majoritaire est accroché à un dispositif d’aides qui n’est plus adapté au contexte actuel alors que les nouveaux modèles de systèmes de production émergents, à l’abri de la volatilité des marchés, ne sont pas assez soutenus », a déclaré un des contributeurs du Cyclope 2018.
Par ailleurs, « personne ne sait quel sera l’impact commercial du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne », a déclaré Philippe Chalmin, interrogé par WikiAgri. Hormis d’être un contributeur net au budget, il est aussi un importateur important de produits agricoles continentaux. Et pour certaines filières, il deviendra un rude concurrent lorsqu’il retrouvera son indépendance et ses relations privilégiées avec le CommonWealth. Qu’adviendra t-il en particulier de la filière ovine française ?
Par ailleurs, les accords commerciaux bilatéraux relèguent au second plan l’enjeu des produits agricoles européens.
Au quotidien, la forte croissance de l’économie mondiale conduit à un renchérissement des prix des matières premières (minerais, terres rares) et par conséquent à une hausse des coûts de production des matériels agricoles.
Mais ce qui pénalise d’ores et déjà les agriculteurs est le renchérissement continu du prix du pétrole. Un prix du baril moyen de 80 dollars n’est pas exclu d’ici quelques semaines (le seuil est déjà franchi) alors que les agriculteurs seront en pleines moissons et démarreront les travaux de la nouvelle campagne.
Les marchés pétroliers réagissent aux fortes tensions diplomatiques et politiques observées au Moyen Orient (multiplication des conflits militaires). L’Opep et la Russie régulent leur production pour maintenir des cours. L’offre mondiale de produits pétroliers souffre de la défaillance du Venezuela (production réduite de moitié à 1,5 million de barils par jour). Et l’embargo iranien est déjà redouté. Pourtant, les marchés sont bien approvisionnés par les Etats-Unis. Ces derniers vont devenir l’an prochain le premier pays producteur mondial de pétrole. Alors qu’ils « sont déjà les premiers producteurs d’hydrocarbures fossiles (gaz + pétrole), tirés par l’expansion de la collecte de pétrole de schiste », affirme Philippe Chalmin.
Dans ce contexte, les agriculteurs européens n’auront pas les moyens de répercuter les hausses du prix de l’énergie sur les prix de leurs céréales et des produits animaux. Tout au plus peuvent-ils compter sur un rééquilibrage des marchés avec des productions mondiales de céréales inférieures à la consommation. Toutefois, les marchés des oléagineux réagiront probablement à la hausse des prix des hydrocarbures fossiles.
Ces derniers rendront les productions de biocarburants issus du maïs (Etats-Unis), de la canne sucre au Brésil et du colza (Union européenne par exemple) plus rentables. Mais des droits douanes aux frontières compliqueront les échanges commerciaux entre l’Amérique du sud, les Etats-Unis et l’Union européenne.
En attendant, la bonne conjoncture de l’économie mondiale relègue aux calendes grecques la transition écologique et l’application de l’accord de la Cop 21 sur le climat. Or il est tant que l’agriculture s’affranchisse des hydrocarbures fossiles et optent davantage vers l’électrique et l’hydrogène.
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