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Maraicher d’Annemasse, la solution existe

A Annemasse, le maraicher Pierre Grandchamp est toujours sous la menace d’une expulsion qui entraînerait la mise au chômage de ses 15 salariés. WikiAgri a enquêté sur place, a rencontré de multiples acteurs du dossier, dont les représentants de la communauté musulmane, et est en mesure d’être force de proposition : une solution, satisfaisante pour tous, existe : le site de l’ancien hôpital.

ATTENTION : un article plus 6 éclairages dans le même document, à lire jusqu’au bout, pensez à descendre pour profiter du reportage complet.

Vous avez été très nombreux à lire nos articles sur le sujet. Rappel des épisodes précédents en quelques mots : Pierre Grandchamp, maraicher à Annemasse, a perdu un procès en appel et doit donc libérer ses terres au plus tard le 16 décembre pour qu’un parc municipal et une mosquée y soient érigés. Pour autant, il refuse de partir, et estime être dans son bon droit pour continuer de cultiver les terres concernées.

Je me suis personnellement rendu à Annemasse la semaine dernière. J’y ai rencontré différents acteurs du dossier : Pierre Grandchamp bien sûr, mais aussi ses salariés, la douane chargée de vérifier le bon fonctionnement de la zone franche qui entoure Genève, les représentants de la communauté musulmane qui veulent construire une nouvelle mosquée…

Si certaines échéances juridiques sont telles que l’expulsion de Pierre Grandchamp peut devenir concrète dès le 16 décembre, d’autres sont en cours, avec des dénouements échelonnés jusqu’au second semestre 2014. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est purement et simplement la poursuite ou l’arrêt de son activité maraichère, sachant qu’il emploie 15 salariés (plus précisément 15 l’été et 10 l’hiver, certains étant saisonniers). S’il est expulsé le 16 décembre, il pourrait avoir ses droits reconnus lors de l’un de ses recours judiciaires à échéance 2014 trop tard.

Pourtant, son activité est économiquement viable. Grâce à la zone franche (vous avez plus bas un éclairage complet sur ce qu’elle représente), il est assuré d’un débouché, et peut donc se permettre d’embaucher, ce qui au passage rend de grands services aux salariés concernés (lire, également plus bas, l’encadré dédié à l’interview des salariés).

Malheureusement, à l’heure actuelle, la mairie ne reconnaît pas son droit à cultiver, considérant que les terres n’appartiennent plus à la famille Grandchamp (elles ont en effet été préemptées par le passé). Au passage, elle fait fi d’une jurisprudence, puisqu’en 1995, lorsqu’une route avait été établie sur une partie des terres, les Grandchamp avaient obtenu une indemnisation, preuve qu’ils avaient bel et bien des droits.

Plusieurs projets viennent se juxtaposer sur l’actuel site maraicher : des immeubles, un parc, une mosquée.

Concernant la mosquée, je suis allé à la rencontre de la communauté musulmane. J’ai été accueilli par Hamid Zeddoug, président de l’association, et plusieurs administrateurs. Là aussi, vous avez un article complet plus bas sur cette rencontre. Mais sachez d’ores et déjà que Hamid Zeddoug n’est pas arcbouté sur l’espace maraicher, il craint même qu’il puisse ne pas convenir. En revanche, ce qu’il veut, et on le comprend, c’est une solution réelle qui prenne en compte à la fois la quête d’un site pour une mosquée plus grande que le pavillon qui en fait office à l’heure actuelle, et à un tarif que sa communauté puisse acquitter, soit un budget d’achat du terrain de 700 000 €.

Or cet espace existe. Il s’agit d’une friche industrielle, à tout juste 100 ou 200 mètres de l’actuelle mosquée : l’ancien hôpital d’Annemasse. Le panneau « centre hospitalier d’Annemasse » est encore là, mais le terrain est en fait à cheval sur deux communes, avec Ambilly : c’est donc au niveau intercommunal que la solution peut être validée. Le permis de démolir vient d’être accordé (voir les deux photos). Et il y a là près de quatre hectares de terrains. La communauté musulmane revendique 7 000 mètres carrés, soit moins de 20 % de cette surface, de quoi laisser un espace de choix pour la spéculation foncière (les voisins suisses achètent volontiers de l’immobilier côté français), tout en honorant un culte pacifique (les musulmans que j’ai rencontré n’ont vraiment rien d’intégristes, au contraire, tout commentaire offensant à leur égard est pour le moins déplacé) sans pour autant remettre en cause une activité économique qui fonctionne.

Restent les autres intentions de la mairie. Comme on le constate, il existe d’autres sites que la terre maraichère. On pourrait aussi citer un ancien abattoir, situé trop loin pour convenir pour la mosquée, mais susceptible d’accueillir d’autres projets. Elue du conseil municipal, Anne Michel fut la seule à voter contre le changement de PLU (plan local d’urbanisme), autorisant à rendre les terres agricoles constructibles. Elle explique ainsi que ce vote est intervenu « sans qu’aucun renseignement ne soit donné sur les raisons de cette modification« . Elue de l’opposition, elle n’a pas pu faire grand-chose. On note toutefois que sa remarque reflète une réalité constatée également par Pierre Grandchamp : l’absence de concertation dans le dossier. Jamais le maraicher n’a été approché par qui que ce soit de la mairie. De fait, les arguments du maire (que l’on retrouve notamment sur son compte Facebook), selon lesquels l’amputation des terres maraichères ne devrait pas entraîner de licenciements, n’ont jamais été confrontés à la vérité du terrain.

Pour Pierre Grandchamp, les réalités économiques sont toutes autres. Il est par ailleurs exproprié de 6,5 hectares (qu’il cultive avec un bail à long terme, dont il n’est pas propriétaire, photo ci-dessus) situés plus loin, en amont de l’agglomération, pour qu’une retenue d’eau soit construite, afin d’éviter d’éventuelles inondations. Il accepte sans problème cette expropiation étant donné son caractère solidaire vis-à-vis de la population (au passage, cette terre en moins l’oblige à conserver celle d’Annemasse s’il veut rester en activité et continuer à employer). En revanche, il tient à ce que la transaction soit effectuée à son juste prix. Or, pour le moment, l’expert a estimé le préjudice à 6,8 millions d’euros, et le Sifor, l’organisme payeur, propose moins d’un million. La différence, ce n’est pas une histoire de gros sous perso. C’est peut-être l’avenir du site maraicher dans Annemasse qui en dépend. Car l’argent récupéré, Pierre Grandchamp compte le réinvestir dans son outil de travail, en érigeant une nouvelle serre, justement là où devrait, pour le moment, venir la future mosquée (photo ci-dessous).

Cette nouvelle serre aurait pour originalité d’avoir un toit formé de panneaux photovoltaïques, d’où la possibilité de cultiver dessous, et de produire de l’électricité dessus. Trois emplois nouveaux seraient ainsi créés ! Et Pierre Grandchamp a également l’idée de négocier avec la mairie pour qu’elle récupère cette production d’électricité, d’où un gain pour la municipalité, qui ne perdrait pas tout en abandonnant le projet actuel sur les terres maraichères du quartier du Brouaz.

Il est prêt à lâcher ce lest, pour peu qu’on le laisse, lui sa femme et leurs deux enfants, les quinze salariés actuels, les trois à venir, et leurs familles, profiter de leur propre travail.

 

A SUIVRE CI-DESSOUS (IL FAUT DESCENDRE AVEC VOTRE SOURIS), SIX ARTICLES « ECLAIRAGE » POUR MIEUX APPREHENDER LE CONTEXTE.

=> Eclairage 1 – Fonctionnement de l’exploitation maraichère

=> Eclairage 2 – L’opportunité de la zone franche et le contexte frontalier

=> Eclairage 3 – Rencontre avec la communauté musulmane, une mosquée à ériger

=> Eclairage 4 – Ce que disent les salariés du maraicher

=> Eclairage 5 – Réflexion, vision municipale et vision territoriale

=> Eclairage 6 – Les propositions de WikiAgri

 

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Eclairage 1 – L’exploitation maraichère

Deux tiers de la production vendus en Suisse

L’exploitation maraichère vit grâce au débouché suisse, lui-même issu de la zone franche autour de Genève.

Les 15 hectares en zone franche de Pierre Grandchamp produisent des salades, des plantes aromatiques, des courgettes, des choux, du céleri, des poireaux, des carottes, quelques fleurs… Il a un bâtiment sur zone, où travaillent les salariés notamment pour préparer les commandes. Il a la liberté de vendre en France ou en Suisse. Dans les faits, les deux tiers de sa production partent pour Genève.

Historiquement, les terres ont appartenu d’abord à la grand-mère de Pierre Grandchamp, dans les années 20. Depuis 2002, Pierre Grandchamp cultive seul, en nom propre, alors qu’il était avant en Gaec avec son père et son frère. C’est donc la famille Grandchamp qui a su domestiquer le terrain, y bâtir des serres, embaucher des salariés, élever un bâtiment, ajouter une couche de terre sur une partie qui était marécageuse pour la rendre cultivable… C’est d’ailleurs justement cette part là du terrain qui est aujourd’hui proposée par la mairie à la communauté musulmane pour y construire la mosquée, ce qui pourrait entraîner, en plus du reste, des problèmes techniques : le terrain est-il devenu suffisamment meuble pour accueillir un tel bâtiment ?

 

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Eclairage 2 – Le contexte frontalier

La zone franche, une opportunité fiscale unique, à ne surtout pas galvauder !

C’est un cas unique, expliqué par la géographie mais aussi par l’histoire. La ville suisse de Genève étant littéralement enclavée à l’intérieur du territoire français, il existe une zone franche à sa frontière, côté français, représentant 540 kilomètres carrés, où toutes les productions agricoles sont exemptes de taxes d’export si elles approvisionnent Genève.

Avec cette importance de 540 kilomètres carrés, cela n’existe nulle part ailleurs. La Haute-Savoie et l’Ain en bénéficient, et avec eux leurs agriculteurs, qui accèdent ainsi à un marché solvable certain, et peuvent développer leurs entreprises et l’emploi. Mais attention, pas tous les agriculteurs tout de même, car les délimitations correspondent en fait à une bande de terrains entourant Genève, allant de 800 mètres à 10 kilomètres de large.

Voici la carte. Vous y voyez le lac Léman, Genève à son sud, le canton de Genève en Suisse, et tout autour la zone franche. Annemasse, et les communes qui touchent (Ambilly, Gaillard…) constituent l’agglomération la plus proche de Genève.

Donc, c’est cette situation de Genève, coincée entre le lac Léman et les terres françaises, bien qu’étant suisse, qui est l’origine de l’accord intervenu entre la France et la Suisse. Historiquement, c’est le traité de Turin, qui date de 1816, qui détermine le tracé de cette zone franche. L’anecdote dit que c’est Talleyrand qui, de sa canne, en a dessiné les contours sur une carte. Les 540 kilomètres carrés concernés sont loin d’avoir été choisis au hasard. Les lignes de limite correspondent aux changements de bassins, aux lignes de séparation des eaux.

Administrativement, c’est la sentence de Territet qui donne le cadre juridique, depuis 1933. Juste avant, la France avait voulu dénoncé la zone franche, ce que la Suisse avait refusé, d’où cette « sentence », sorte de compromis administratif déterminant les règles exactes de fonctionnement de la zone franche.

Le principe : tous les produits issus de la zone franche sont exportables en Suisse sans taxe d’exportation, ni limite de contingent, à une seule exception (pour les contingents), le secteur bovin. Ainsi, Genève est assurée d’avoir des produits frais. Les Genévois considèrent d’ailleurs les produits issus de la zone franche comme une sorte d’AOC leur étant réservée.

Pour l’agriculture, sont concernés aussi bien les maraichers, que les céréaliers et les éleveurs. Tous sont contrôlés par une douane particulièrement affectée à la zone franche, dont la mission consiste à vérifier que les produits sont bien cultivés ou élevés localement. Les règles sont strictes, il y a des documents à tenir à jour, qui sont vérifiés. Par exemple, un bovin est considéré « de zone » s’il y est né, ou s’il a été acheté et y vit depuis plus deux ans.

Pourquoi supprimer des terres en zone franche à l’heure du ras le bol fiscal ?

C’est ainsi qu’un secteur maraicher s’est développé, grâce à l’opportunité de vendre à Genève. Les légumes produits répondent à la qualité demandée dans le Genevois : on est bio, ou proche du bio. Sur le seul secteur d’Annemasse, le long de la voie ferrée, il y a ainsi 15 à 20 maraîchers dans cette zone franche, qui font vivre l’économie locale, emploient, fournissent également les marchés locaux mais ne sont pas gênés si ce seul débouché devenait insuffisant. En d’autres termes, le débouché genevois assure la population française locale de produits frais et de proximité. Et pour les Suisses, si une salade est coupée à 6 heures à Annemasse, elle se retrouve sur leur marché dès 8 heures.

Vous l’avez compris, ce statut unique de zone franche autour de Genève a de multiples avantages, des deux côtés de la frontière. Le premier est qu’il permet à des agriculteurs de vivre du prix de leurs produits, et donc d’avoir les moyens d’embaucher, de proposer des légumes (dans le cas des maraichers) ou autres produits frais non seulement aux Genevois mais aussi à l’intérieur de nos frontières.

Comment, dès lors, peut-on comprendre que la spéculation foncière aille jusqu’à pousser les décideurs locaux à vouloir s’emparer de ces terres si particulières ? Qui plus est dans la période actuelle, où le « ras le bol fiscal » gagne peu ou prou tout le territoire français, avoir une telle zone ressemble à un eldorado. Une opportunité fiscale à préserver à tout prix. Avant d’enlever des terres agricoles, et en particulier celles qui sont viables et qui participent à l’économie locale, il faut déjà avoir envisager toutes les autres solutions… Et il en existe, lire nos éclairages suivants.

 

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Eclairage 3 – La communauté musulmane et la mosquée

« Je préfère aller prier dehors sous la pluie plutôt que de mettre des personnes au chômage »

Hamid Zeddoug est le président du Centre Culturel des Musulmans d’Annemasse (CCMA). En compagnie de plusieurs autres administrateurs de l’association, il m’a reçu et nous avons évoqué à la fois leurs attentes, le besoin d’une nouvelle mosquée, mais aussi la meilleure manière d’y parvenir.

En rapprochant cet entretien d’autres discussions que j’ai pu avoir lors de mon enquête, j’ai compris que le choix de la terre maraichère pour la mosquée était né d’un quiproquo. En 2005, le père de Pierre Grandchamp, propriétaire des terres, avait signé un compromis de vente avec le CCMA, déjà pour installer une mosquée. Pierre Grandchamp, il me l’a reprécisé ensuite, pouvait s’opposer à cette vente en faisant valoir ses propres droits. Il ne l’a pas fait à l’époque car il n’en a pas eu besoin : le CCMA n’est pas allé au bout, jugeant le prix trop important par rapport à ses moyens. Mais, de cet épisode, est resté ancrée l’idée que le terrain était libérable. Et lorsque la mairie l’a préempté pour le proposer plus tard à un tarif plus abordable, le CCMA y a vu, en toute logique, une aubaine. Et c’est même avec une certaine surprise que ses administrateurs ont constaté la résistance du maraicher.

« Beaucoup parmi nous consomment du bio, nous sommes sensibles à la cause agricole, m’a précisé Hamid Zeddoug. Ce n’est pas dans notre intérêt d’aller à l’encontre de ces cultures. » L’intérêt de la communauté musulmane d’Annemasse consiste à construire un lieu capable d’accueillir « 300 à 400 fidèles« , ce qui n’est pas possible dans la mosquée actuelle, en fait un petit pavillon dont le rez-de-chaussée sert de salle de réunion et l’étage de salle de prière. J’ai vu le lieu, il est clair qu’il est insuffisant pour cette communauté. La demande pour trouver un terrain où construire une mosquée plus importante est légitime.

Concernant le lieu, je vous parlais de quiproquo. « On n’a pas compris pas la réaction de Pierre Grandchamp, car son père était prêt à vendre« . Pour autant, ce qui intéresse les administrateurs du CCMA, ce n’est pas tant la terre maraichère en elle-même, mais le prix qu’en propose la mairie. « C’est nous qui payons, nos fidèles. Les banques ne prêtent pas à une association qui pourrait connaître des difficultés pour bâtir« , et qui par définition ne rentabilisera pas. Le terrain proposé par la mairie coûte 700 000 €, et le CCMA ne veut pas aller au-delà, car ensuite il faudra construire la mosquée en elle-même.

Le fait qu’amputer des terres au maraicher l’obligerait à fermer boutique n’avait pas été appréhendé ainsi par les administrateurs du CCMA. En pourcentage de surface par rapport à l’exploitation entière, la mosquée ne prenait pas tant de place que cela. Sauf qu’entre-temps d’autres parcelles sont parties, et que la position en zone franche donne une part de chiffre d’affaires plus importante qu’imaginée.

La réaction d’Hamid Zeddoug, devant ces données reconsidérées, fut directe : « Je préfère aller prier dehors sous la pluie plutôt que de mettre des personnes au chômage« , m’a-t-il dit. Hamid Zeddoug a aussi précisé que plusieurs des salariés de Pierre Grandchamp étaient musulmans, ce qui intensifie encore son intention d’éviter d’entreprendre une action qui pourrait leur nuire.

Pour autant, il ne peut être question de demander à cette communauté le sacrifice d’abandonner son projet. Si, à WikiAgri, en tant que média agricole, nous estimons qu’il faut défendre les terres agricoles, ce ne doit pas être au détriment de qui que ce soit. D’où une proposition. Celle que ne peut pas faire la mairie d’Annemasse toute seule car le terrain est aussi sur la commune d’Ambilly (où se trouve aussi l’actuelle mosquée) : utiliser la friche de l’ancien hôpital, dont le permis de démolir vient d’entrer en vigueur. Le site fait 4 hectares (moins d’un hectare convient pour la mosquée), il est juste à côté de l’actuelle mosquée (100 ou 200 mètres tout au plus). Question posée : si l’on vous offrait la possibilité de construire votre mosquée sur ce site de l’ancien hôpital, cela vous conviendrait-il ? Réponse unanime des administrateurs du CCMA présents : « oui !« 

Il pourrait s’agir là d’une solution idéale pour cette communauté, car la terre maraichère, en dehors du prix proposé par la mairie d’Annemasse, ne proposait pas que des avantages : « On nous demande d’affecter 40 % de la surface d’un seul tenant aux espaces verts, de faire un parking… Ce qui ne nous laisse guère de place pour la mosquée en elle-même, d’autant qu’il faudra limiter la hauteur à 14 mètres. » 14 mètres, cela semble suffisant dans un premier temps, mais c’est en cas d’agrandissement futur que cela pose problème, le faire en hauteur éviterait d’avoir à chercher un nouveau terrain et de recommencer des tractations difficiles.

Il existe donc une solution pour la mosquée autre que l’exploitation maraichère, et qui convient à la communauté musulmane.

 

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Eclairage 4 – Ce que disent les salariés du maraicher

« Une fois au chômage, comment ferai-je pour retrouver du travail à mon âge ? »

Les salariés de l’exploitation maraichère de Pierre Grandchamp sont unanimes : il est pour eux un « bon patron », et ils ont tous peur d’un avenir sans cette embauche.

Pierre Grandchamp a au minimum 10 salariés l’hiver, et 15 en été (avec 5 saisonniers donc). J’en ai interviewé trois.

Stéphane Poidevin est un fidèle de l’exploitation maraichère : il y travaille depuis 33 ans, était déjà ouvrier agricole pour le compte du père de Pierre Grandchamp. Aujourd’hui, il s’occupe des commandes, et participe en fait à tous les travaux maraichers. Il craint particulièrement l’avenir si sa situation actuelle venait à évoluer : « J’ai 50 ans, si je me retrouve au chômage aujourd’hui, je fais comment ? Toute ma vie, j’ai travaillé dans une exploitation maraichère, je n’ai pas d’autres qualifications, je ne sais faire que ça. Et si celle-ci devait fermer, je n’en trouverais pas d’autres pour m’embaucher…« 

Joachim Varella est là aussi depuis longtemps. Il est marié, il a 5 enfants, dont un est encore mineur. Et les autres, il faut encore les aider de temps à autres. Il a 60 ans. « Je ne veux qu’une chose, travailler jusqu’à la retraite. Il ne me reste que quelques années à tenir, mais je dois travailler. Et puis, si l’exploitation maraichère continue de vivre, peut-être que mon fils pourra y travailler aussi… » Le fils en question y ayant déjà fait quelques vacations.

Khadraoui Ghazi est plus jeune, il ne travaille dans l’exploitation de Pierre Grandchamp que depuis deux ans, mais ne tarit pas d’éloges sur son employeur : « Je n’oublierai jamais, c’est grâce à lui que j’ai pu obtenir la prolongation de ma carte de séjour. Je suis tunisien, il me fallait un contrat à l’année, or je n’étais que saisonnier à la base. M. Grandchamp a accepté de m’embaucher. Ainsi, je peux travailler. Ma fiancée, ma famille, sont restés au bled. C’est très difficile là-bas. Grâce à mon salaire, je peux leur envoyer de l’argent et les aider. En plus, M. Grandchamp est un patron juste. Il attend de ses salariés qu’ils fassent le boulot, et il leur fait confiance, sans être sur leur dos tout le temps. J’ai connu auparavant des jobs qu’on aurait presque pu apparenter à de l’esclavagisme, là c’est loin d’être le cas. Avec lui, on a envie de travailler, et on est contents quand la paye tombe comme prévu.« 

Joachim Varella (à gauche) et Stéphane Poidevin.

Khadraoui Ghazi (tête nue au centre de la photo) est reconnaissant envers Pierre Grandchamp de lui avoir établi un contrat de travail.

 

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Eclairage 5 – Réflexion sur une vision municipale et une vision territoriale

Elargir le champ pour trouver les vraies solutions

Peut-on encore décider de grands projets avec des implications fortes (arrêt d’une activité économique avec mise au chômage de ses salariés, ou encore recherche du terrain idéal pour installer une communauté religieuse) au seul niveau de la municipalité alors que la solution peut exister en raisonnant sur un espace plus vaste ?

Parvenir à trouver des solutions à tout dans un cadre restreint, c’est difficile. On peut s’émouvoir de choix discutables d’une municipalité, mais en même temps, aussi, remarquer que les solutions que nous prônons dépassent son cadre. La préservation des terres agricoles est un enjeu qui dépasse des intérêts municipaux, un enjeu de territoire. Selon Pierre Grandchamp, « l’équivalent de 700 terrains de football de terres cultivées disparaissent chaque année en Haute-Savoie« . La spécificité montagneuse du département rend les terres les plus arables également les plus avantageuses pour d’autres projets, structuraux ou immobiliers.

D’où l’obligation d’une vision territoriale élargie. Aujourd’hui, les subdivisions en régions, départements, cantons et communes, ou encore les regroupements en agglomérations ou communautés de communes donnent lieu à des foyers de décisions différents, parfois même trop nombreux, chacun essayant d’obtenir les meilleurs financements pour ses projets. Sans doute manque-t-il une vision territoriale globale qui définirait notamment les limites à ne pas dépasser pour ponctionner des terres agricoles au profit de l’urbanisation, mais aussi qui aiderait une communauté culturelle comme celle des musulmans d’Annemasse à trouver le bon terrain au bon endroit. Les services décentralisés de l’Etat (préfectures, sous-préfectures) sont sensés jouer ce rôle, mais avec des effectifs en baisse, ils ont de plus en plus tendance à « expédier les affaires courantes ». En d’autres termes, et c’est criant en agriculture, la décentralisation laisse pour l’instant à désirer, il est temps de réinventer la territorialité et sa continuité.

 

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Eclairage 6 – Propositions concrètes

La solution prônée par WikiAgri

Nous avons essayé d’imaginer une solution où tout le monde ressortirait gagnant. Bien sûr, il peut nous manquer des éléments d’appréciation, certains aspects doivent probablement être affinés. A chacun de se les réapproprier. Mais, déjà, si nous pouvions contribuer à (ré)ouvrir la réflexion…

Constat numéro 1 : peut-être la cause de tout, alors nous commençons par là, le manque de consultation entre les parties, chacun pense que l’autre estime que… et qu’il serait en mesure de… mais sans rien vérifier. Proposition : parlez-vous ! Avant un projet aux conséquences économiques et sociales dramatiques, une mairie se doit de consulter les intéressés. Quant à Pierre Grandchamp, et il est d’accord avec cette vision, il a également des efforts de communication à faire. Nous lui avons proposé d’organiser des visites de scolaires, ou même d’adultes, dans ses serres, pour en expliquer le fonctionnement. « Je le fais déjà avec les amis de mes fils« , dit-il. Il pourrait donc l’organiser plus sérieusement.

Constat numéro 2 : la communauté musulmane a besoin d’un site pour une nouvelle mosquée. Proposition : que les communes d’Ambilly et d’Annemasse envisagent le site de l’ancien hôpital, qu’il y ait des rencontres à trois avec le CCMA pour parvenir à une solution proche, en termes financiers, de celle proposée aujourd’hui au Brouaz. SI tout le monde y met de la bonne volonté, chacun peut y trouver son compte.

Constat numéro 3 : la municipalité d’Annemasse recherche des projets innovants (comme le parc qui doit aujourd’hui avoisiner la mosquée sur les terres maraichères). Proposition : récupérer de l’électricité « verte », issue de panneaux photovoltaïques installés sur des serres. La part environnementale du projet est ainsi préservée, sous une forme différente.

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