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Les secrets du bonheur collectif

La clef du bien vivre ensemble résiderait d’abord dans la cohésion sociale selon une étude récente menée par des chercheurs en Allemagne.

Nul ne l’ignore, la France se caractérise aujourd’hui par une grande morosité et un profond pessimisme. Cette atmosphère délétère est en partie entretenue par les médias qui, de fait, ne s’intéressent qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure ou même à ceux qui déraillent, et par les déclinologues de tout poil à partir du moment où l’on semble être davantage pris au sérieux lorsque l’on annonce des lendemains qui déchantent et que l’on va nécessairement au-devant d’une catastrophe et à partir du moment où l’on peut être soupçonné de naïveté, voire de collusion avec le système si l’on considère que le pire n’est pas toujours certain.

Les sociologues et les économistes ont identifié les deux principaux symptômes de cette morosité ambiante : la grande peur du déclassement social et la société de défiance. Cela aboutit à une société française largement bloquée où chacun semble s’accrocher à sa position avec la hantise absolue de perdre son emploi et donc son statut social dans une atmosphère de défiance des uns vis-à-vis des autres et surtout vis-à-vis des élites et où la vision dominante semble être le précautionnisme, c’est-à-dire une vision quasi intégriste du fameux principe de précaution consistant à s’abstenir d’agir en cas de risque même non avéré. Certains auteurs vont même jusqu’à considérer que ce pessimisme français serait de nature culturelle. Une étude très sérieuse avait d’ailleurs été publiée en 2011 sur le sujet.

Face à cela, certains vantent les bienfaits de l’optimisme par des méthodes qui relèvent quelquefois de ce que prônait le fameux pharmacien et psychologue Emile Coué, consistant notamment à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. C’est le cas par exemple du Manifeste pour l’optimisme lancé en 2011 par le communiquant Thierry Saussez, du site internet Tousoptimistes, qui a été créé à l’instigation de l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, de la Ligue des optimistes de France, branche française des Optimistes sans frontières, lancée en 2010 ou encore d’ouvrages qui paraissent sur le sujet écrits par des auteurs qui se révoltent contre l’état d’esprit français du moment, comme Merde à la déprime de Jacques Séguéla ou Tout va bien (ou presque). La preuve en 18 leçons d’Olivier Pastré et Jean-Marc Sylvestre.

Au-delà de ces postures, existe-t-il une recette du bien vivre ensemble ? Certains Etats semblent, en effet, cultiver le bonheur collectif qui paraît fuir la France depuis plusieurs décennies. C’est en particulier le cas du Danemark qui truste systématiquement les premières places dans les classements sur le bien-être et sur le bonheur. Beaucoup d’analyses ont tenté d’expliquer pourquoi les Danois étaient aussi heureux. Il s’agit d’un petit pays de 5,6 millions d’habitants, dont le niveau de vie est très élevé, même si ça n’est pas le pays le plus riche du monde, où le taux de pauvreté est l’un des plus faibles d’Europe et où le taux de chômage est également réduit. Mais la clef du bonheur collectif danois semble résider dans la cohésion de la société qui est la plus égalitaire du monde, dont le système de protection sociale est l’un des plus développés, avec un système de santé gratuit pour tous, six semaines de congés annuels, une allocation mensuelle importante pour les étudiants qui ne résident pas chez eux, dans l’un des pays les moins corrompus du monde et où le degré de confiance des uns vis-à-vis des autres est particulièrement élevé.

Outre la richesse d’un pays et la liberté individuelle qui y règne, l’une des clefs du bonheur collectif semble, en effet, résider dans la cohésion sociale. Ceci avait déjà été souligné en 2012 dans un rapport sur le bonheur (World Happiness Report) qui avait été publié pour la première fois sous l’égide de l’ONU en perspective d’une Conférence des Nations unies sur le bonheur. Il indiquait que la satisfaction des individus vis-à-vis de leur bien-être dépendait du niveau de vie du pays, mais aussi de la force des liens sociaux, du degré de liberté individuelle et de l’absence de corruption.

L’idée selon laquelle la cohésion sociale est l’un des principaux facteurs de bonheur collectif a été confirmée dans une étude qui a été menée par des chercheurs de l’université de Brême en Allemagne et qui est parue en juillet 2013. Le classement établi par ces chercheurs place d’ailleurs le Danemark en première position sur les 34 pays industrialisés étudiés. Il s’agit, en effet, de la première étude comparative mesurant spécifiquement la cohésion des sociétés, à savoir la manière dont les membres d’une communauté donnée vivent et travaillent ensemble. Les chercheurs ont essayé de la mesurer à travers trois critères : (1) les relations sociales entre les individus, (2) les liens émotionnels que ceux-ci entretiennent entre eux et avec la collectivité et (3) les actions menées par eux vis-à-vis des autres et de la communauté. Il ressort de cette étude que les pays scandinaves (Danemark, Norvège, Finlande, Suède) connus pour leur modèle d’intégration sociale arrivent en tête, même s’il y a eu des émeutes récemment dans les banlieues suédoises, devant les pays industrialisés d’Océanie (Nouvelle Zélande, Australie), les Etats d’Amérique du Nord (Canada, Etats-Unis), les petits Etats riches d’Europe occidentale (Suisse, Luxembourg, Pays-Bas, Irlande, Autriche) et les grands Etats d’Europe occidentale (Allemagne, Royaume-Uni, France, Espagne), la Bulgarie, la Grèce et la Roumanie fermant la marche de ce classement. Celui-ci apparaît donc proche des classements établis sur la qualité de vie ou le bien-être et tend par conséquent à indiquer que des sociétés prospères, égalitaires avec une répartition équitable des revenus et où la cohésion sociale est forte sont aussi celles où la satisfaction des individus est la plus grande. C’est certainement une leçon à méditer pour celles et ceux qui croient encore à la célèbre expression allemande « heureux comme Dieu en France ».

En savoir plus : www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS09.pdf (ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc sur La Société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit, Editions Rue d’Ulm, 2007), www.repid.com/La-peur-du-declassement.html (vidéos relatives à l’ouvrage de Eric Maurin, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, La République des idées/Seuil, 2009), http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/62/88/37/PDF/wp201134.pdf (la nature culturelle du malheur français selon le rapport de Claudia Senik, The French Unhappiness Puzzle: The Cultural Dimension of Happiness, Working Paper N°2011 – 34, 2011, Ecole d’économie de Paris), http://tousoptimistes.com/, http://fr.optimistan.org/ (site de la Ligue des optimistes de France), www.youtube.com/user/ThierrySaussez (vidéos de Thierry Saussez sur le Manifeste pour l’optimisme), www.earth.columbia.edu/sitefiles/file/Sachs%20Writing/2012/World%20Happiness%20Report.pdf (le rapport sur le bonheur des Nations unies, World Happiness Report), www.bertelsmann-stiftung.de/cps/rde/xbcr/SID-C9C634DA-21C0B08C/bst_engl/xcms_bst_dms_38334_38335_2.pdf (le rapport comparatif sur la cohésion sociale, Social Cohesion Radar).

Notre photo d’illustration est issue du site http://www.photo-libre.fr .

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