insecte nuisible c r ale

Les nuisances des insectes invasifs pour l’économie mondiale

Une étude scientifique récente montre à quel point les insectes invasifs peuvent avoir un impact nocif pour l’économie mondiale, et notamment pour l’agriculture, et que les effets du changement climatique pourraient contribuer à aggraver ce phénomène dans les décennies à venir, en particulier en Europe.

Depuis quelques années, les insectes, en l’occurrence les insectes comestibles, sont à la mode dans le domaine de l’alimentation. Mais dans d’autres secteurs, en particulier dans l’agriculture bien entendu, les insectes invasifs sont avant tout perçus comme des nuisibles, facteurs de destruction de récoltes et de coût économique.

Une étude scientifique publiée début octobre dans la revue Nature Communications a tenté d’évaluer pour la première fois de façon globale l’impact économique de leurs nuisances : diffusion de maladies pour l’homme et le bétail, endommagement d’infrastructures, destruction de récoltes et de réserves, et dégradations de forêts. Elle a été menée par une équipe française dirigée par Franck Courchamp, directeur de recherche CNRS au laboratoire Ecologie, systématique et évolution (université Paris-Sud/CNRS/AgroParisTech). Pour réaliser cette étude, ses auteurs ont compilé de très nombreuses études parues sur le sujet, 737 sources au total (articles, chapitre et rapports), soit la plus importante base de données jamais élaborée sur le sujet.

Le fléau des insectes invasifs pour l’économie mondiale

Leur conclusion est sans appel. Les invasions d’insectes représentent un coût très élevé pour l’économie mondiale de l’ordre de 69 milliards d’euros par an pour les biens et services et de 6,18 milliards par an en matière de santé humaine. C’est en Amérique du Nord, puis en Europe que ce coût est le plus prononcé.

Mais le coût réel pourrait être encore bien plus élevé. Les auteurs de l’étude estiment, en effet, que cet impact économique est largement sous-estimé car les données en la matière sont incomplètes. Ainsi, si l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) identifie actuellement 86 espèces d’insectes parmi les espèces envahissantes, 70 d’entre elles n’ont fait l’objet d’aucune étude sur les dégâts qu’elles pouvaient occasionner, alors qu’elles peuvent être très dangereuses (ou nuisibles), comme, par exemple, le charançon du cotonnier.

L’équipe de chercheurs appelle d’ailleurs à ce que l’impact des insectes sur l’économie fasse l’objet de davantage d’études car celles-ci sont très peu nombreuses en Asie, en Afrique ou en Océanie. Ces études sont également bien moins fréquentes en Europe qu’aux Etats-Unis. Or, Franck Courchamps estime « que si un nombre équivalent d’études était réalisé en Europe et aux Etats-Unis, le coût constaté pour l’économie serait d’environ 270 milliards d’euros par an ».

26 milliards d’euros de dégâts par an pour le seul « supertermite »

L’insecte qui est économiquement le plus nuisible est sans conteste le coptoterme formosanus ou le termite souterrain de Formose, souvent surnommé « supertermite ». Originaire de l’Est de l’Asie, il présente désormais un caractère invasif, notamment aux Etats-Unis, où il occasionne de très importants dégâts pour les bâtiments en détruisant mobilier et immobilier. Le coût des dommages de ce termite s’élèverait à 26,7 milliards d’euros par an. Il est d’ailleurs considéré par l’UICN comme l’espèce envahissante la plus nuisible, d’autant qu’une fois installé dans un endroit, il est impossible de l’éradiquer. Le réchauffement climatique pourrait malheureusement favoriser son implantation en Europe.

Dix espèces d’insectes invasifs
ont un impact d’au moins un milliard d’euros
sur l’économie mondiale

Viennent ensuite la teigne des choux ou des crucifères (Plutella xylostella), une chenille qui s’attaque aux crucifères, notamment au chou cultivé, avec un coût de 4,1 milliards ; puis le longicorne brun de l’Epinette (Tetropium fuscum), un insecte forestier s’attaquant aux sapins et aux épicéas en déposant ses œufs dans leur écorce, ce qui contribue à dégrader ces arbres, avec un coût de 4,0 milliards ; puis la spongieuse (Lymantria dispar), une chenille qui s’attaque au feuillage des arbres (forêts ou vergers) et que l’on retrouve désormais en Europe occidentale avec un coût de 2,8 milliards ; et enfin le capricorne asiatique (Anoplophora glabripennis), un coléoptère xylophage, qui, comme son nom l’indique, se nourrit de bois avec la particularité de s’en prendre aux plantes saines (érables, marronniers, bouleaux, platanes, peupliers, saules) avec un coût de 2,7 milliards. Au total, dix espèces d’insectes invasifs ont un impact d’au moins un milliards d’euros sur l’économie mondiale.

L’étude rappelle également que, du XVIIe siècle au XXe siècle, les maladies liées aux insectes ont causé plus de décès que toutes les autres causes combinées. Aujourd’hui, les maladies les plus courantes en lien avec les insectes sont (1) la dengue (provoquée par le moustique tigre et le moustique de la fièvre jaune), (2) le virus du Nil occidental (par le moustique Culex pipiens), (3) les allergies aux fourmis, (4) et le chikungunya.

Une agriculture particulièrement touchée

Les secteurs d’activités les plus affectés sont les infrastructures, devant l’agriculture. Ce coût économique concerne, en effet, en particulier ce dernier secteur puisque d’après Franck Courchamp, les insectes consomment 40 % de la production agricole mondiale, soit, d’après lui, « l’équivalent de ce qui pourrait nourrir un milliard d’êtres humains ». Une étude publiée en 2013 indiquait ainsi que les insectes ravageurs contribuent à réduire les rendements agricoles de 10 à 16 % avant les récoltes, mais aussi après celles-ci.

Si l’on élargit les évaluations à d’autres nuisances, au-delà des insectes ravageurs, les résultats sont encore plus spectaculaires. Une étude plus ancienne estime ainsi que, malgré « les pratiques de protection actuelle des récoltes » de blé, de riz, de maïs, de pommes de terre, de soja et de coton, les pertes pour la période 2001-2003 liées aux mauvaises herbes, aux animaux (insectes, acariens, rongeurs, limaces et escargots, oiseaux) et aux plantes pathogènes (virus, bactéries, champignons, etc.) sont très élevées. Ils provoquent des pertes entre 26 et 29 % pour le soja, le blé et le coton, de 31 % pour le maïs, de 37 % pour le riz et de 40 % pour les pommes de terre.

Ainsi sans protection (pesticides), près de 75 % de la production de pommes de terre serait perdue, tout comme 50 % des récoltes de blé. Avec la protection, les pertes pour ce dernier sont réduites à 29 %. L’auteur souligne d’ailleurs à ce propos qu’« en dépit d’un net accroissement de l’utilisation de pesticides, les pertes de récoltes n’ont pas baissé de façon significative durant les 40 dernières années ». Il note également que les données quantitatives disponibles sur l’effet des mauvaises herbes, des animaux et des plantes pathogènes sur les récoltes sont très limitées.

Pertes potentielles liées à différentes nuisances, période 2001-2003

Des nuisances appelées à se renforcer

Ce fléau des insectes invasifs devrait certainement s’aggraver dans les décennies à venir compte tenu du réchauffement climatique, d’un accroissement de la densité de la population et de l’intensification du commerce international. La colonisation de nouveaux territoires par ces insectes est, en effet, favorisée, par les échanges humains et de marchandises. Ainsi, par exemple, la spongieuse asiatique a été transportée à bord de cargos soviétiques jusqu’au Canada où elle y a été observée pour la première fois en 1991. Ou plus récemment, chez nous en France, le Suzukii, d’origine asiatique, s’en est pris à nos cerisiers.

Le changement climatique en particulier devrait favoriser l’implantation d’insectes ravageurs dans des régions où ils n’étaient pas encore présents. Ainsi, pour Franck Courchamp, « la distribution de beaucoup d’espèces envahissantes est aujourd’hui limitée par des barrières thermiques (les températures sont trop basses pour la prolifération des espèces) et le changement climatique pourrait leur permettre d’envahir des régions jusqu’ici inhospitalières ».

On observe ainsi en moyenne un mouvement de 2,7 km par an de ces insectes en direction du Nord (pôles). En définitive, les surfaces terrestres où les insectes invasifs devraient se répandre pourraient s’accroître de 18 % d’ici à 2050 en raison du réchauffement climatique si rien n’est fait pour limiter ses effets. Cela pourrait concerner tout particulièrement le continent européen, comme on a pu le voir ces dernières années avec l’arrivée en France du moustique tigre, vecteur de la dengue ou du virus zika.

Alors, la solution consiste-elle à utiliser les pesticides de façon plus massive ? Pas forcément selon Franck Courchamp, car « les insectes finissent toujours par s’y adapter ». Pour lui, il s’agit plutôt de tout mettre en œuvre pour limiter la propagation des insectes invasifs, notamment en renforçant le « contrôle des produits agricoles aux frontières ».


En savoir plus : www.nature.com/articles/ncomms12986 (article évaluant le coût global des insectes pour l’économie mondiale : Bradshaw C.J.A., Leroy B., Bellard C., Roiz D., Albert C., Fournier A., Barbet-Massin M., Salles J-M., Simard F. & Courchamp F., « Massive yet grossly underestimated global costs of invasive insects », Nature Communications 7, 12986, 4 octobre 2016) ; http://mashable.france24.com/tech-business/20161004-monde-economie-insectes (source de la citation de F. Courchamps où il fait référence à un coût qui pourrait être évalué à 270 milliards d’euros par an) ; http://invacost.fr/decouverte-fr/invasion-des-insectes-leconomie-mondiale-affectee (source de la citation de F. Courchamps où il explique que les dégâts occasionnés par les insectes sur la production agricole représentent l’équivalent de qui pourrait nourrir un milliard de personnes et d’une autre citation où il explique que le changement climatique devrait favoriser la propagation des insectes invasifs) ; www.nature.com/nclimate/journal/v3/n11/full/nclimate1990.html (étude mesurant l’impact des insectes ravageurs sur les rendements agricoles : Bebber, D. P., Ramotowski, M. A. T. & Gurr, S. J., « Crop pests and pathogens move polewards in a warming world. Nature Climate Change », Nature Climage Change 3, 985-988, 2013) ; http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.657.5813&rep=rep1&type=pdf (étude évaluant l’impact de différentes nuisances sur les récoltes : Oerke E-C., « Crop losses to pests », Journal of Agricultural Science (2006), 144, 31-43) ; https://wikiagri.fr/articles/cerises-et-dimethoate-exemple-type-de-la-deconnexion-entre-decisions-et-agriculteurs/8996 (arrivée du Suzukii en France) ; www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/les-insectes-invasifs-coutent-au-moins-69milliards-d-euros-par-an-a-l-economie-mondiale-selon-une-etude_1855373.html (source de la citation de F. Courchamps où il parle des pesticides).

Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/11938024.

Ci-dessous, infographie fournie par le sponsor de l’étude sur l’impact des insectes sur l’économie mondiale, la fondation BnpParibas. Lien source : http://invacost.fr/decouverte-fr/invasion-des-insectes-leconomie-mondiale-affectee.

Article Précédent
Article Suivant