En 2100, il ne sera plus possible de produire des tomates en Espagne. La culture de l’olivier sera inenvisageable en Tunisie si la température augmente de plus de 2°C. En France, les vergers de pommes Golden au sud de la Loire seront réimplantés au plus nord car la période de vernalisation sera sinon trop courte.
Cette nouvelle répartition des zones de productions dans le bassin méditerranéen et en Europe, induite une hausse des températures de plus de 4°C à l’horizon de 2100, a été présentée par Serge Zaka, agroclimatologue et président d’AgroClimat 2050. Il participait à la conférence MedClimat + 2024 « Une méditerranée en mouvement, nourrir et s’adapter face aux changements climatiques » organisée conjointement par la Fondation Farm et le Ciheam (1).
Le climat plus chaud sera encore plus imprévisible. Les printemps plus précoces seront ponctués par des périodes de gel tardifs qui rendront, dans le Roussillon, la production d’abricots impossible.
Le changement climatique relocalisera les filières entières.
Au nord de la Seine, les rendements de blé croîtront car le climat sera plus clément mais à l’extrême sud, la culture de la céréale pourrait ne plus être rentable en raison des périodes d’échaudage et des fortes chaleurs estivales.
Migrations massives
La nouvelle répartition des cultures pourrait conduire à la désertification des régions les plus chaudes en Afrique du Nord et au Moyen Orient et, à des migrations massives de populations.
Au cours des prochaines dizaines d’années, des paysans maghrébins et orientaux quitteront leur village s’ils ne parviennent plus à nourrir leur famille. Une partie d’entre eux cherchera peut-être à s’implanter en Union européenne où l’on pourrait manquer d’agriculteurs.
Il y a douze ans, la guerre civile en Syrie a débuté après une intense sécheresse probablement causée par le réchauffement climatique en cours. Elle avait entraîné une migration de masse de la campagne syrienne vers les villes. Cette hausse de la population urbaine ne serait pas étrangère au soulèvement de 2011, qui a fini par dégénérer en guerre civile.
Serge Zaka, Agroclimatologue et président d’AgroClimat 2050 participait à la conférence MedClimat + 2024 « Une méditerranée en mouvement, nourrir et s’adapter face aux changements climatiques » organisée conjointement par la Fondation Farm et le Ciheam (1).
Ces deux organisations ont lancé avec leurs partenaires le projet « Adaptation des agricultures au changement climatique en Méditerranée » (AACC-Med).
Les futurs modèles agricoles méditerranéens
Une des idées phares défendues durant ce colloque parisien est la relocalisation de l’agriculture.
A proximité d’Alger, Lydia Merrouche consultante en agriculture urbaine, commercialise en direct des fruits et des légumes cultivés sur son exploitation et sur celles de ses partenaires. Elle a même créé un réseau de livraisons de paniers. Paul Reder, éleveur et vigneron dans l’Hérault, promeut aussi le localisme. Et il adapte son exploitation au changement climatique en convertissant une partie de son vignoble en lande pour y élever davantage d’ovins.
Mais le modèle agricole promus par ces deux paysans est « pauvre en calories ».
Ils n’ont pas expliqué comment les pays méditerranéens puiseront l’eau nécessaire pour produire les millions de tonnes de céréales, de poudre de lait et de viande qu’ils importent, pour nourrir leur population.
En attendant, les réalisations de ces deux agriculteurs font partie des initiatives sur lesquelles s’appuie le projet « Adapatation des agricultures au changement climatique en Méditerranée » (AACC-Med) lancé par Farm.
N’exclure aucune technologie
Ce projet conduit en partenariat avec le Ciheam et d’autres acteurs très engagés dans l’avenir de l’agriculture méditerranéenne, « aidera les acteurs du monde agricole méditerranéen à mieux appréhender les risques liés au changement climatique. Il identifiera aussi les moyens de les anticiper et de s’y adapter ». Et une fois achevé, ses contributeurs formuleront des recommandations à l’attention des acteurs politiques, économiques et financiers.
Pour réaliser ce projet, Farm et le Ciheam font participer des intervenants d’horizons différents ; par exemple des adeptes de l’agroécologie et des partisans des biotechnologies. Ils ne défendent pas le même modèle agricole mais ils ont en commun la volonté d’adapter l’agriculture méditerranéenne au changement climatique.
« Les nouvelles variétés de blé qui se contenteront de 200 mm d’eau pour se développer seront à la fois issues de variétés locales et de la recherche génétique, indispensable pour sélectionner les plantes les plus productives et les plus résistantes aux agents pathogènes », soutient Mouin Hamze, du Ciheam.
Le livre blanc « L’urgence de l’adaptation, pour des agricultures résilientes au changement climatique» est la première réalisation du projet AACC-Med. Il porte sur « les impacts du changement climatique et il pré-identifie les pistes de réflexions sur l’adaptation qui serviront tout au long du projet ».
Miser sur la coopération
Dans cet ouvrage, Farm et le Ciheam misent la coopération entre Etats et organismes de développement et de recherche pour trouver les solutions qui renforceront la souveraineté alimentaire des pays méditerranéens.
Par exemple, le réseau Beans du Ciheam favorise la culture des légumineuses dans le bassin méditerranéen et au-delà. Elles ont des vertus nutritionnelles, environnementales et de durabilité incomparables en plus d’être frugales en intrants.
Selon Guénael le Guilloux, le directeur général d’Agropol, la France doit s’inspirer des pratiques culturales en vigueur au Maroc ou en Tunisie pour cultiver des oléagineux pour adapter les siennes au cours des vingt prochaines années.
L’assurance fait aussi partie des leviers de coopération puisqu’elle mutualise le risque. En fait, l’assurabilité de l’agriculture se réinventera au fil de l’évolution des risques, selon Bruno Lepoivre, directeur à Pacifica. Mais les zones et les productions assurables seront toujours celles qui ont la confiance des réassureurs.
(1) Ciheam : Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennesµ
Farm : Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde