La ligne LGV Bordeaux-Toulouse tel que le projet est conçu aujourd’hui remet en cause directement l’appellation vinicole sauternes… Un projet insensé par les temps qui courent d’un point de vue financier, pour le moins discutable écologiquement, mais également aux conséquences lourdes sur l’un des fleurons de notre terroir national.
Tout amateur de (bons) vins connaît le sauternes, ce vin liquoreux issu de la commune girondine du même nom et d’un terroir historique, et dont on dit à l’envi qu’il est le compagnon idéal pour bien apprécier un foie gras… Même si sa dégustation ne doit pas s’arrêter là.
Aujourd’hui, les producteurs de sauternes sont sur le qui vive. Un projet de LGV, ligne de train à grande vitesse, peut en effet remettre en cause toute la richesse de terroir de ce vin peu commun, fondé sur la pourriture noble qui envahit les raisins très mûrs, et que l’on ne récolte surtout pas avant qu’ils n’en soient affublés. Il s’agit de relier Bordeaux à Dax et à Toulouse (il y a une fourche) avec cette ligne. La ligne Bordeaux-Toulouse actuelle met entre 2 heures et 2h10, la nouvelle ligne approcherait les 1h30 de trajet, pour donc gagner une demi-heure… A terme, la ligne qui s’arrête à Dax (une seule minute de gagnée pour Bordeaux-Dax…) doit aller au-delà et rejoindre le réseau espagnol. Tandis que Bordeaux-Toulouse répond à un maillage du territoire interrégional reliant l’Atlantique à la Méditerranée.
Le réseau ferroviaire en évolution répond, sur le papier, à l’ambition de territoires plus proches les uns des autres. Le problème est qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’améliorer les lignes actuellement en vigueur (c’eût été trop simple) pour qu’elles puissent accueillir la LGV, mais de créer de nouveaux tracés.
Or, le nouveau tracé de la ligne Bordeaux-Toulouse traverse une forêt de hêtres, et coupe à plusieurs reprises une rivière, le Ciron, ainsi que 30 de ses affluents. Il se trouve qu’il s’agit d’une forêt résiduaire, la plus ancienne forêt de hêtres en Europe, datée à au moins 50 000 ans par les chercheurs de l’Inra (un incendie ayant eu lieu en ces temps ancestraux, ils ont retrouvé du charbon et ont pu utiliser la technique de datation au carbone 14, irréfutable). Déjà, d’un point de vue écologique (au sens noble du terme), autoriser une telle ligne en ces lieux paraît invraisemblable.
Mais il existe d’autres conséquences. La rivière le Ciron traverse cette forêt, et y fait couler son eau froide, souvent cachée du soleil par des passages en gorges. Plus loin, le Ciron se jette dans les eaux chaudes de la Garonne. Et c’est cette rencontre qui favorise, à travers la naissance d’un brouillard souvent épais qui envahit les vignes, l’existence d’un champignon microscopique appelé « botrytis cinerea« , qui constitue la pourriture noble du vin de sauternes. Si la forêt de hêtres est dévastée, le Ciron perdra sa qualité de rivière froide, le champignon n’existera plus, et donc le grain noble, et donc, enfin, le sauternes, ainsi que l’appellation voisine, le barsac. Alors que nous sommes dans une zone en principe protégée, par le Parc régional ou encore Natura 2000…
Xavier Planty, président de l’association ODG (organisme de défense et de gestion) de l’appellation sauternes, lui-même producteur et copropriétaire du château Guiraud (premier grand crû classé), s’insurge contre cette LGV, d’autant, précise-t-il, « qu’une commission d’enquête publique chargée d’étudier ce projet a donné un avis défavorable extrêmement argumenté » : sur 14 000 contributions, plus de 90 % d’avis négatifs. Il note pourtant que le projet ferroviaire rebondit cet été, et il s’attend à ce que le Président de la République donne « l’arrêté d’utilité publique (Ndlr : pour débuter les travaux) au mois d’août, période où personne ne suit l’actualité« …
C’est pour cette raison que les producteurs de sauternes et de barsac ont souhaité prendre les devants. Leur communiqué de presse précise entre autres : « Les vignobles de Sauternes et Barsac couvrent 2200 hectares, sur une zone de 6000 hectares, ils représentent 170 producteurs, font vivre directement de nombreux foyers, et bien plus encore indirectement. Ils sont garants, avec d’autres acteurs économiques et sociaux, de la préservation du paysage de tout ce territoire, par ailleurs remarquablement beau et historiquement très riche, qui attire de plus en plus : l’oenotourisme y est en plein essor et représente un avenir très encourageant pour cette appellation et bien au-delà.«
Une lettre ouverte au Président de la République, cosignée par les producteurs mais aussi par plusieurs associations écologistes, a également été envoyée fin juin dans cet esprit. Les uns et les autres relèvent le coût « pharaonique » du projet ferroviaire (9,5 milliards d’euros selon les prévisions de 2013, qui pourraient être dépassées…), et surtout les atteintes écologiques majeures, alors qu’il reste possible de longer les autoroutes ou de renforcer les lignes actuellement en activité pour un résultat quasi identique.
Plusieurs hommes politiques éminents seraient en effet favorables au projet ferroviaire, le nom de Alain Rousset, président de la région Aquitaine et de l’association des régions de France, étant cité dans le communiqué de presse des producteurs de sauternes.
Au passage, il faut aussi rappeler que toutes les appellations sont liées à un cahier des charges. Celui du sauternes comprend un volet « lien au terroir ». Il y est écrit en toutes lettres : « Le climat original offre des conditions meÌsoclimatiques particulieÌ€res qui sont aÌ€ l’origine du deÌveloppement d’un minuscule champignon sur le raisin, le « botrytis cinerea » conduisant aÌ€ la « pourriture noble » qui confeÌ€re leur typiciteÌ aux vins du Sauternais dans cet environnement speÌcifique. » Ainsi qu’un volet « lien à une zone géographique », qui lui précise : « Au confluent du Ciron et de la Garonne, les pheÌnomeÌ€nes de condensation apportent une humiditeÌ abondante. Cette alternance d’humiditeÌ nocturne et de ventilation diurne rapide et puissante sont aÌ€ l’origine de l’envahissement des raisins par un minuscule champignon le « botrytis cinerea » deÌveloppant la « pourriture noble » et la concentration des raisins. »
D’où le commentaire de Xavier Planty : « Si nous ne remplissons plus les conditions de terroir et de zone géographique, alors n’importe qui pourra s’emparer de nos appellations. Les Américains ont déjà essayé, mais sans succès, grâce aux protections dont nous bénéficions avec les appellations et leurs cahiers des charges. Si nous ne pouvons plus les respecter, alors rien n’empêchera d’avoir demain un château Yquem produit en Californie…«
Une pespective pas vraiment rassurante pour l’ensemble de notre terroir et sa noblesse si souvent vantée à travers tant de discours…
Photo ci-dessous : vignes à Sauternes (château Guiraud). Crédit photo : François Poincet.
Photo ci-dessous : le Ciron et la forêt de hêtres. Crédit photo : Alexis Ducousso.
Photo ci-dessous : portrait de Xavier Planty. Crédit photo : Etienne Garnaud.
Photo ci-dessous : vignes à Sauternes (château Guiraud). Crédit photo : François Poincet.
Photo ci-dessous : vignes à Sauternes (château Guiraud). Crédit photo : François Poincet.
Ci-dessous, vidéo du sujet de France3 Aquitaine sur le risque de disparition du sauternes avec la nouvelle ligne LGV.