Le retrait annoncé (pas encore confirmé) de l’autorisation de vente du Cruiser® OSR pour colza en France aurait des conséquences multiples pour la filière. Décryptage d’un sujet où les enjeux économiques induits par la décision finale méritent d’être éclaircis.
Le 1er juin, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, a annoncé qu’il « envisageait de retirer l’approbation de mise sur le marché » du Cruiser® OSR, en se fondant, a-t-il déclaré dans la conférence de presse, uniquement sur les conclusions d’une enquête menée par l’Anses (Agence sanitaire de l’environnement et de l’alimentation). Légalement, la décision ne peut être prise sans une consultation contradictoire du groupe commercialisant le Cruiser, à savoir Syngenta, qui a quinze jours pour cela. La raison de ce retrait, s’il devait être confirmé, tient dans la nuisance qu’aurait le Cruiser utilisé pour le colza sur les abeilles.
La décision est donc proche (le 15 juin étant un samedi, qui plus est veille d’une élection susceptible de chambouler le gouvernement, on peut supposer qu’elle ne sera effective que dans la semaine suivra). Il convient donc d’en analyser tous les effets, et je tiens à m’attarder ici sur l’aspect économique.
Réussir son colza pour la campagne 2024
Aujourd’hui, 650 000 hectares de colza en France, 2,7 millions sur l’ensemble de l’Europe, utilisent le Cruiser comme de protection. 650 000 hectares, cela signifie qu’un hectare sur deux cultivé en colza en France est concerné. L’arrêt du Cruiser serait loin d’être neutre. Comme alternative, les producteurs de colza devraient choisir d’autres procédés insecticides qui réclament non seulement – comme le Cruiser – d’être bien dosés, mais encore d’être appliqués au meilleur moment par rapport à la météo – ce qui complique singulièrement la tâche et peut être source d’erreur. Syngenta a calculé que la filière colza en France perdrait 100 millions d’euros, chiffre qui inclut des calculs sur les pertes de productions par quintaux, mais aussi la valorisation, les semences… Si le Cruiser est si présent dans les champs français de colza, c’est en raison d’une application simple, de la semence à la plante, et localisée.
Mais le plus grave problème économique auquel s’expose la filière colza française est la distorsion de concurrence : la France est l’unique pays à remettre en cause son utilisation, parfaitement légale au Royaume-Uni comme en Allemagne ou chez les autres producteurs européens de colza. De fait, cette utilisation du Cruiser viendrait s’ajouter à bien d’autres difficultés de distorsion de concurrence interne à l’Europe concernant l’agriculture (molécules interdites en France et autorisées en Espagne, coût de la main-d’oeuvre…). Alors que le bon sens tendrait plutôt à essayer d’uniformiser les règles entre pays.
Concernant l’aspect reproché au Cruiser, à savoir sa nuisance supposée contre les abeilles. N’étant pas scientifiquement suffisamment pointu moi-même, je me garde de toute interprétation « définitive ». Mais voici quelques faits qui portent à réfléchir. Il y a donc eu cette étude de l’Anses. Pour établir le degré de dangeriosité du produit, il a fallu en ajouter, petite dose par petite dose, jusqu’à ce que la nocivité soit rencontrée. Or, les conclusions de l’étude portent sur un dosage largement supérieur à celui qu’apportent les agriculteurs dans leurs champs (10 fois supérieur selon des sources proches du ministère, 36 selon Syngenta, en fait ce calcul dépend de la prise de certains référentiels). A la limite, peu importe que ce soit 10 ou 36 fois la dose, dans les deux cas il est implicitement déclaré que le Cruiser, tel qu’il est utilisé aujourd’hui, n’est pas dangereux. Pourtant, l’agence sanitaire estime qu’une exposition à cette dose « ne peut être totalement exclue dans des circonstances particulières« . Un argument tendancieux que réfute Syngenta, qui réclame une étude scientifiquement éprouvée, et validée par un panel d’experts.
Au-delà des enjeux économiques et écologiques, on comprend également que le sujet est éminemment politique. La volonté de changement d’un nouveau gouvernement qui se met en place est certes légitime, mais il convient tout de même de se méfier de changements trop rapides et trop radicaux, qui n’interviendraient qu’après la consultation de partenaires politiques aux opinions très tranchées, alors qu’il existe de véritables spécialistes de ces questions avec lesquels on peut coopérer.
En conlusion, si le Cruiser est réellement néfaste pour les abeilles, bien sûr qu’il y a là une gravité dont il faut tirer des conclusions. Mais encore faut-il que les faits soient avérés. Et compte-tenu des enjeux économiques représentés par un retrait éventuel du produit, un examen plus approfondi de la situation s’impose. N’en déplaise aux jusqu’au-boutistes que la démocratie a évacué par les urnes, mais qui comptent user de leur influence et imposer leurs solutions du fait de leur alliance au pouvoir légitime. Une solution plus consensuelle consisterait à commander une nouvelle expertise, plus précise, scientifiquement rigoureuse et avérée. Réponse au lendemain des législatives, en espérant que ce ne sera pas le résultat de celles-ci qui dictera le choix, mais bien l’analyse objective de la situation.
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Travaillant depuis plus de 20 ans avec le groupe Syngenta, je ne peux immaginer que ce groupe commercialise un produit dangereux, dans la mesure ou l’on respecte les doses prescrites.
Le vrai probleme pour moi reside dans le fait que pour calmer certains ecologistes ultras, surtout en periode electorale, le ministre fasse cette concession!
Autre point a retenir, M Mondebourg, s’est engage a reindustrialiser notre pays, hors une interdiction du Cruiser, pousserait les industriels de l’Agro a poursuivre leurs recherches sur d’autres terres que celles de la France, ce qui est deja le cas pour des concurrents de Syngenta