L’INAO (l’institut national de l’origine et de la qualité) a validé en février la délimitation parcellaire de l’appellation vin de savoie-chignin bergeron. Pour les producteurs (une quarantaine), c’est un premier pas vers une éventuelle AOP (appellation d’origine protégée) autonome. Les vignobles s’étalent sur 271 hectares et trois communes : Chignin, Francin et Montmélian.
Accrochées aux coteaux ensoleillés du massif des Bauges, les vignes du chignin-bergeron défient l’apesanteur. « Quand l’AOC vin de Savoie a vu le jour en 1973, le Conseil général proposait des prêts à taux zéro pour replanter des cépages. Une poignée d’agriculteurs de Chignin y ont cru. Ils ont planté quelques hectares de vignes sur des terres peu accessibles, dans les sols les plus caillouteux et les plus exposés au soleil », se souvient Michel Quenard, président du syndicat régional des vins de Savoie et viticulteur à Chignin (Torméry).
Cet élan courageux est salué par les restaurateurs gastronomiques régionaux, meilleurs ambassadeurs du cru. Petit à petit, le chignin-bergeron trouve une place de choix parmi les 17 dénominations géographiques de l’AOP vin de Savoie (précisément : abymes, apremont, arbin, ayze, chautagne, chignin, chignin-bergeron, cruet, jongieux, marignan, marin, montmélian, ripaille, saint-jean-de-la-porte, saint-jeoire-prieuré, pétillant et mousseux de savoie ayze). « Notre vin se distingue par sa qualité. Le terroir parfaitement adapté à notre cépage est propice à la maturation du raisin. Nos cailloux biseautés sont plus drainants que les cailloux ronds, et ils offrent une grande réverbération aux pieds. Dessous, le sol est plutôt riche et calcaire. Enfin, la topographie des coteaux et l’exposition sud-sud-ouest sont idéales. Au final, on obtient de bons degrés d’alcool – environ 10 degrés – et une pourriture noble », poursuit Michel Quenard.
Le cépage blanc exclusif du chignin-bergeron est la roussanne. Ces ceps vigoureux ont un rendement moyen : l’appellation plafonne à 67 hectolitres par hectare, mais les bouteilles s’écoulent comme des petits pains (avec une exportation à l’étranger aux alentours de 5 %) : « C’est un vin fruité avec des arômes de pêche et de mangue. Il est très délicat avec une certaine tendresse, puis il évolue vers des notes miellées très agréables. C’est un vin structuré et harmonieux qui se marie bien avec des plats élaborés », précise avec poésie Michel Quenard.
Il ne manquait au chignin-bergeron qu’une aire géographique précise. En 2001, l’Union des viticulteurs de Chignin lance une réflexion pour limiter le périmètre de l’appellation. « C’est assez rare de demander des restrictions. Mais une zone de production de chignin-bergeron se superposait avec des vignobles de jacquère. Jusqu’à présent, ce n’était pas problématique car les vignerons respectaient une certaine autodiscipline : ils plantaient de la roussanne seulement dans les endroits adaptés ce qui permettait de maintenir la qualité du chignin-bergeron. Ce n’est plus le cas depuis quelques années et il fallait encadrer les choses », justifie Michel Quenard.
Comme il s’agissait d’une démarche qualitative, l’Organisme de défense et de gestion (le syndicat régional des vins de Savoie) a porté le dossier auprès de l’INAO. Le tracé définitif a été acté en février. « Le travail des experts de l’INAO a été rigoureux et réfléchi. Il préserve l’avenir du chignin-bergeron pour les générations futures. Cependant, cette délimitation n’a pas fait que des heureux. On m’a reproché un manque de concertation, mais nous avons tenu des réunions pendant dix ans qui attiraient peu de public… », peste le président.
Finalement, une trentaine de viticulteurs ont été exclus de l’appellation, même si beaucoup d’entre eux ne possédaient que de petites surfaces.
Après avoir effectué une cartographie précise des sols, les enquêteurs ont effectué un état des lieux de l’appellation, ont pris connaissance de ses projets et de l’implantation historique des vignes. A partir de ces paramètres, ils ont retenu trois critères validés par les professionnels : la nature des sols, l’exposition, la topographie et les usages. Si une parcelle ne répondait pas à l’ensemble des critères, elle était exclue de la dénomination. Cette première carte a été refusée par les professionnels, jugée beaucoup trop restrictive. Une deuxième carte est élaborée, retenant les parcelles qui remplissaient au moins trois critères. Douze hectares ont ainsi été réintégrés et cette fois-ci, le zonage a été validé par les viticulteurs et les propriétaires concernés.
« Nous avons négocié avec l’INAO un temps de tolérance de 25 ans car les viticulteurs du secteur n’ont pas de solution de repli : en effet, le cahier des charges générique de l’appellation « vin de Savoie » impose la roussette qui est peu adaptée à nos terres. Certains jeunes viennent de s’installer, il faut bien qu’ils rentabilisent leur investissement. Une seconde phase permettra sans doute de réintégrer certains secteurs. On a peut-être été un peu trop ferme sur quelques parcelles. Personnellement, j’aurais préféré une distinction du type premier cru, second cru… », plaide le président.
La délimitation ne freinera pas pour autant les installations. Malgré la saturation foncière,elles se font principalement par des transmissions familiales, ou les terres sont convoitées par les vignerons des communes voisines.
Maintenant que la délimitation est officialisée, l’Union des viticulteurs de Chignin souhaiterait faire reconnaitre le chignin-bergeron comme une appellation autonome, gage de protection internationale. « Seules les trois AOP vin de Savoie, roussette de Savoie et Seyssel ont une protection communautaire. Les dénominations géographiques qui y sont rattachées ne sont pas protégées en tant que telles. Nous avons besoin de cette protection juridique autant que les grands crus. Récemment, une procédure a été conduite contre un entreteneur chinois qui estampillait « vin de Savoie »… Par ailleurs, l’AOP conforterait notre notoriété. On revendique l’appellation chignin-bergeron, mais on ne veut pas non plus perdre le mot Savoie. Si on réussit, je souhaiterais que notre initiative serve d’exemple car d’autres dénominations mériteraient d’être autonomes », estime Michel Quenard.
Il faudra donc définir un cahier des charges et revoir les critères de production. Il serait question d’augmenter les rendements en réduisant le nombre de pieds par hectare (actuellement 8000 pieds). De plus, les taux d’alcool pourraient être rehaussés.
Dès à présent, un programme d’amélioration de la qualité du vin est conduit pour une durée de cinq ans, avec l’aide du Conseil général. En tout cas, le millésime 2015 promet d’être « idéal » : « Nous avons eu de bonnes conditions climatiques, et l’état sanitaire des vignes est parfait. Les dégats de la canicule se sont limités aux jeunes pieds. Nous devrions produire 125 000 hectolitres. C’est une bonne nouvelle car nos stocks sont au plus bas suite à trois dernières années déficitaires : nous avons réalisé 111 000 hectolitres en 2014 et 108 000 en 2013 », explique Michel Quenard.
Les vendanges débuteront début septembre sur les secteurs les plus précoces.
En savoir plus : http://vindesavoie.net (site de l’interprofession) ; http://www.am-quenard.fr (site de Michel Quenard) ; http://vignobles.tourisme.coeurdesavoie.fr (opération « les rendez-vous du vigneron », 16 vignerons se relaient pour accueillir le public tous les mercredis à 17 heures).
Photo ci-dessous, le chignin-bergeron s’étend sur les coteaux des Bauges en Savoie.
Ci-dessous, le cépage blanc de roussanne, parfaitement adapté au chignin-bergeron.
Ci-dessous, bien qu’étant une petite production savoyarde, le chignin-bergeron vise l’export et l’excellence.
Ci-dessous, Michel Quenard, viticulteur et président du syndicat régional des vins de Savoie.
Le même Michel Quenard…
Trois photos ci-dessous, paysages viticoles à flanc de montagne, à apprécier sans modération !