Un rapport prospectif récent du ministère américain de l’Agriculture dessine les contours d’une agriculture mondiale qui, durant la période 2015-2024, devrait voir la demande et les échanges de produits agricoles s’accroître de façon notable.
Le ministère (département) américain de l’Agriculture (USDA) publie chaque année une étude prospective sur l’agriculture des Etats-Unis à l’horizon de 10 ans. La nouvelle édition, intitulée US Agricultural Projections to 2024, est parue en février et couvre donc la période entre 2015 et 2024. Ce rapport apparaît d’autant plus intéressant, qu’au-delà de la situation agricole américaine, il tente d’établir quelles devraient être les grandes tendances de l’agriculture mondiale dans la décennie à venir.
Que doit-on en retenir ? Deux éléments importants : (1) quelques tendances majeures à suivre durant la période 2015-2024 et (2) l’impact que ces tendances devraient avoir pour la demande, la production et le commerce des produits agricoles et des denrées alimentaires dans le monde.
Le rapport de l’USDA part tout d’abord de ce qu’il appelle « les forces majeures et les incertitudes relatives aux marchés agricoles futurs ». Ses auteurs identifient à ce titre plusieurs grandes tendances qui devraient avoir des répercussions sur l’agriculture mondiale d’ici 2024.
L’USDA évalue la croissance économique mondiale à 3,5 % en moyenne sur la période 2015-2024, soit un taux supérieur aux périodes précédentes : 2,8% pour les décennies 1991-2000 et 2001-2010. Cette croissance serait principalement portée par le dynamisme des économies émergentes, en premier lieu de l’Inde et de la Chine, dont les taux de croissance seraient les plus élevés avec des taux respectifs de 7,5 % et de 7,1 %, mais aussi des autres économies en développement. Durant cette période, le monde en développement devrait prendre, en effet, une part croissante dans l’économie mondiale passant ainsi de 38 % en 2015 à 44 % en 2024. La part de la Chine à elle seule devrait passer de 11 % à 16 %. Ceci s’explique tout simplement par le fait que le taux de croissance des pays en développement (PED) serait plus de deux fois supérieur à celui des pays développés : 5,5 %, contre 2,1 %. Ce sont les économies asiatiques, puis les économies africaines qui devraient croître le plus rapidement durant cette période, avec, par exemple, un taux de croissance annuel moyen dépassant les 5 % en Afrique.
En revanche, les prévisions de l’USDA sont assez pessimistes concernant la croissance du Japon et de l’Union européenne, qui serait relativement faible dans les deux cas. La croissance de l’économie américaine, quant à elle, resterait néanmoins robuste avec un taux moyen de 2,7 % sur la période (contre une moyenne de 1,7 % durant la période 2001-2010), alors que les économies de la zone euro se contenteraient de 1,9 %.
Cette croissance mondiale devrait bien entendu contribuer à nourrir la demande alimentaire mondiale, ainsi que les échanges agricoles internationaux. Cela devrait concerner en particulier les pays en développement dès lors que la consommation alimentaire tend à progresser avec la croissance des revenus par habitant et que ces pays connaissent une transition nutritionnelle, les régimes alimentaires de leurs populations passant d’une alimentation de base à une alimentation plus diversifiée avec une consommation plus importante de viandes, de produits laitiers et d’aliments transformés. Les PED sont donc appelés à jouer un rôle croissant dans la demande alimentaire mondiale, et en particulier dans la demande de produits alimentaires à haute valeur ajoutée et d’aliments pour animaux.
L’USDA prévoit une poursuite du ralentissement de la croissance de la population mondiale. Celle-ci ne devrait progresser en moyenne que de 1,0 % par an sur la période 2015-2024, contre un taux moyen de 1,2 % entre 2001 et 2010 et de 1,4 % entre 1991 et 2000. Sans surprise, la croissance démographique devrait être très faible dans les pays développés avec un taux annuel moyen de 0,4 %. C’est tout particulièrement le cas pour l’Union européenne, avec une croissance de 0,1 %, et a fortiori du Japon où la population devrait continuer de baisser (-0,3 %), tandis que la population américaine, elle, est appelée à croître à un rythme moyen de 0,7 % sur la période.
En revanche, la croissance de la population dans les PED devrait continuer à être soutenue entre 2015-2024, avec un taux supérieur à 1 %, même si le rythme de cette croissance a beaucoup ralenti par rapport aux décennies précédentes. On peut ainsi noter que l’USDA prévoit un très faible taux de croissance de la population chinoise, de l’ordre de 0,3 %. Cette croissance démographique reste néanmoins très élevée dans les pays d’Afrique subsaharienne avec un taux de 2,3 % par an en moyenne sur cette période, soit le rythme le plus rapide au monde.
Deux autres évolutions sociodémographiques devraient avoir un impact sur la demande alimentaire mondiale. Il s’agit de l’urbanisation croissante, principalement dans les PED, et de la montée des classes moyennes dans les pays émergents, d’autant que, d’après l’USDA, l’urbanisation tend généralement à favoriser un accroissement et une diversification de la consommation alimentaire.
L’USDA estime que, dans la décennie à venir, le dollar américain devrait s’évaluer par rapport aux autres principales devises (euro, yen, yuan), mais rester tout de même globalement faible. Cela devrait donc contribuer à favoriser les exportations agricoles américaines.
Selon les prévisions de l’USDA, le prix du pétrole devrait continuer à baisser jusqu’en 2016, notamment en raison de l’exploitation massive de pétrole et de gaz de schiste aux Etats-Unis, avant d’augmenter à nouveau à partir de 2017, compte tenu de l’amélioration de la conjoncture économique mondiale. Ce prix du pétrole plus élevé devrait bien entendu peser sur les coûts de production du secteur agricole.
Pour l’USDA, les tentions qui existent actuellement entre la Russie et l’Ukraine ne devraient pas avoir de conséquences à long terme sur le développement agricole de ces pays. Il en est de même pour l’embargo russe sur les produits agroalimentaires qui est censé être effectif seulement entre août 2014 et août 2015. Le ministère américain souligne néanmoins que la Russie devrait continuer à mener une politique visant à limiter sa dépendance vis-à-vis des importations agricoles.
La croissance des biocarburants devrait se poursuivre entre 2015 et 2024, mais à un rythme moins rapide que durant la décennie précédente. La demande de matières premières agricoles pour fabriquer les biocarburants devrait donc se ralentir.
Enfin, selon l’USDA, les prix agricoles devraient continuer de baisser encore pendant quelques années, avant de remonter à nouveau. Cette progression des prix s’expliquerait par la demande mondiale croissante pour les produits agricoles, la faiblesse du dollar et la demande en matière première agricoles pour les biocarburants. Le ministère américain estime ainsi qu’en 2024, les prix agricoles devraient se situer à des niveaux supérieurs à ceux de la période précédant la flambée des prix de 2007.
L’USDA prévoit trois évolutions importantes pour l’agriculture mondiale durant la période 2015-2024 : (1) un accroissement de la demande mondiale pour les produits agricoles, (2) une production agricole mondiale progressant à un rythme plus rapide que la croissance de la population mondiale, et (3) une croissance toujours aussi soutenue du commerce agricole mondial.
En particulier celle de céréales, d’oléagineux ou de viande, durant la période 2015-2024 est principalement le résultat de l’évolution de la situation dans les pays en développement avec un accroissement de leur population et du revenu par habitant, une urbanisation croissante, un meilleur accès à la distribution de produits alimentaires modernes et une transition des régimes alimentaires. Selon l’USDA, les PED devraient ainsi représenter, par exemple, 81 % de la progression de la consommation de viande dans le monde entre 2015 et 2024, et jusqu’à 87 % de la progression de la consommation de céréales et d’oléagineux.
Cet accroissement prévisible de la demande devrait concerner tout particulièrement la viande dont la consommation devrait progresser dans la décennie à venir. Sur la période 2015-2024, la consommation de porc devrait ainsi s’accroître à un rythme annuel de 1,2 %, celle de bœuf, de 1,3 %, et celle de volailles, de 2,2 %. Cette augmentation de la consommation de viandes sera principalement le fait des PED, avec un taux de croissance annuel de 1,9 %, contre un taux de 0,7 % pour les pays développés.
L’USDA estime, en outre, que la demande de produits agricoles en provenance des PED, et en particulier de viande, devrait progresser à un rythme plus rapide que leur production. Cela devrait donc favoriser les importations. La croissance de cette demande devrait ainsi être particulièrement forte pour l’Afrique et le Moyen-Orient, compte tenu de l’importante croissance démographique dans ces régions et de l’augmentation conséquente de leur revenu par habitant : +4,2 % au Moyen-Orient et même +5,1 % en Afrique. A elles deux, ces régions représenteraient ainsi 1/5 de l’accroissement des importations de bovins dans le monde, 2/5 de celui des importations de volailles, 42 % de celui des importations de blé et jusqu’à 73 % de celui des importations de riz. Ainsi, en 2024-2025, la région Afrique du Nord-Moyen-Orient et l’Afrique subsaharienne devraient être, par exemple, les principaux pôles d’importations mondiales de blé avec des parts respectives de 28 % et de 15 % de ces importations.
L’USDA signale également deux autres marchés particulièrement prometteurs en termes d’importations agricoles. Le premier est le marché mexicain, bien entendu notamment pour les exportations agricoles américaines, qui deviendrait en 2024 le plus important importateur de maïs, dépassant ainsi le Japon. Le second marché est bien évidemment le marché chinois, alors que la Chine est devenue ces dernières années un importateur net de coton, de graines de soja, de colza, d’orge et de sorgho, d’huile de soja et de palme, de porcs, de bœuf, de maïs, de blé et même de riz depuis 2011-2012. Or, selon l’USDA, ces tendances devraient perdurer dans la décennie à venir et même se renforcer (à l’exception notable du riz). Les importations de bœuf de la Chine et de Hong Kong progresseraient ainsi de 71 % d’ici 2024 et celles de porcs de 41 %.
Cette croissance serait liée à une amélioration des rendements agricoles, compte tenu du recours à un certain nombre d’innovations technologiques et de l’accroissement des surfaces agricoles. Cette progression ne serait cependant pas continue. Cette production pâtirait ainsi, dans un premier temps, de la faiblesse des prix agricoles. En outre, elle serait moins rapide que durant les décennies précédentes, alors que la croissance des rendements agricoles tend déjà à se ralentir depuis deux décennies, notamment en raison de la raréfaction des ressources en eau qui limitent le recours à l’irrigation, mais aussi, selon l’USDA, de la réduction des fonds publics en faveur de la recherche et développement depuis 25 ans.
Selon l’USDA, les grands pays ou régions exportateurs (Argentine, Australie, Brésil, Canada, Etats-Unis, Union européenne) devraient le rester dans la décennie à venir, ce qui semble être une bonne nouvelle pour l’agriculture française.
Mais le ministère américain souligne également le rôle croissant joué par des pays qui ont massivement investi dans leur secteur agricole et qui cherchent à développer leur production domestique, comme la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan. La Russie et l’Ukraine, qui représentaient à elles deux en 2013-2014 17 % des exportations mondiales de blé, auraient ainsi une part de marché de 22 % en 2024-2025, soit un pourcentage supérieur à la part des Etats-Unis (16 %) ou de l’Union européenne (20 %).
Enfin, d’autres pays exportateurs de denrées alimentaires spécifiques, tels que l’Inde pour le riz, le coton et les bovins, devraient également tirer leur épingle du jeu dans ce marché agricole mondial particulièrement dynamique.
En savoir plus : www.ers.usda.gov/media/1776036/oce151.pdf (rapport US Agricultural Projections to 2024 disponible en ligne).