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La récupération des aides entravant la libre concurrence pose question

Aides d’Etat : le mécanisme de récupération des aides illégales et incompatibles ne conduit-il pas à créer en lui-même des avantages concurrentiels ?

Le 21 février 2015, la France a été sévèrement condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne en manquement. Il est lui reproché de n’avoir pas, dans les délais impartis, mis en œuvre une procédure de récupération d’aides illégales et incompatibles dans le secteur des fruits et légumes. Surtout, l’ensemble des moyens de défense présentés par la France ont été systématiquement rejetés. (arrêt du 21 février 2015, aff C-37/14, République française c/ Commission).

La récupération des aides illégales et incompatibles vise à mettre fin à la distorsion de concurrence sur le marché commun que constitue une aide d’Etat. Face à une Commission intransigeante, servie par un juge communautaire appliquant strictement une jurisprudence particulièrement sévère pour les Etats, la France ne pouvait qu’être condamnée.

Mais le caractère inéluctable de cette condamnation vient interroger plus profondément la finalité du mécanisme de récupération des aides d’Etat.

Le droit des aides d’Etats, c’est du droit de la concurrence qui a pour sujet les Etats

Avec la mise en œuvre du marché commun, les aides économiques accordées par les Etats à une ou plusieurs entreprises ont été analysées comme des  mesures protectionnistes altérant les conditions d’une saine et loyale concurrence. A ce titre, elles sont interdites comme l’énonce l’article 107, §1, du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.« 

L’article 107 du TFUE n’a pas d’effet direct. Des dérogations au principe d’interdiction absolue des aides publiques sont possibles et prévues notamment aux paragraphes 2 et 3 du texte. L’article 108 instaure un mécanisme de dialogue entre les Etats et la Commission sur les aides nouvelles dont la compatibilité avec le marché intérieur doit être appréciée par les autorités communautaires préalablement à leur mise en œuvre.

Dans une vision idéale, il ne devrait pas exister de récupération des aides d’Etat puisque les textes organisent d’une part des dérogations pour les aides existantes et d’autre part un contrôle préventif de la Commission sur les aides nouvelles… Bref, le débat semble clos. 

Sauf quand les Etats estiment pouvoir s’abstenir de respecter les règles qu’ils édictent, notamment en violant les principes d’une concurrence saine et loyale entre eux sur le marché commun, par l’instauration d’aides non notifiées et incompatibles.

Quand toute une filière est victime du mécanisme de récupération… du fait de l’instauration d’aides non notifiées et non compatibles

Ainsi, par une décision 2009/402 du 28 janvier 2009, la Commission européenne a demandé à la France de procéder à la récupération d’aides publiques versées entre 1992 et 2002 aux producteurs français de fruits et légumes au titre des « plans de campagne », lesdites aides ayant été déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun.

Effectivement durant une dizaine d’année, la France a soutenu la filière fruits et légumes au travers du mécanisme dit « des plans de campagne » ; des sommes servant notamment à la promotion générique des produits, à prévenir ou atténuer les effets des crises par des actions sur le marché (destruction d’excédents, exportation) ont été versées par les autorités publiques. Ce mécanisme s’inscrivait dans l’OCM (organisation commune des marchés) Fruits et Légumes antérieure à 2003.

Malheureusement, la France n’avait pas, à l’époque, notifié à la Commission, en application de la règlementation sur la concurrence, ces mesures de soutien préalablement à leur mise en œuvre, aussi ont-elle été qualifiées, de ce fait, d’aides publiques illégales. Dans sa décision du 28 janvier 2009, la Commission les a de surcroît, déclarées incompatibles avec le marché commun.

Conséquemment, la France a été condamnée à récupérer auprès des producteurs de fruits et légumes les sommes versées durant les années 1992 à 2002, soit un total d’environ 338 millions d’euros, hors intérêts de retard.

Et, une procédure de récupération a été mise en œuvre auprès des producteurs de fruits et légumes français.

Petit panorama des moyens de défense face à une décision ordonnant la récupération d’une aide illégale et incompatible

Les producteurs de fruits et légumes français ont bénéficié des « plans de campagne » qui ont été mis en place par les autorités publiques… Lesquelles ne les ont évidemment pas alertés du fait qu’elles n’avaient pas prévenu la Commission européenne de leur décision de leur allouer une aide publique.

Nonobstant, les producteurs ne peuvent pas soutenir en droit leur confiance légitime dans le mécanisme des plans de campagne pour faire échec à la récupération sauf à prouver l’existence de circonstances exceptionnelles. Autrement dit, les producteurs ne peuvent avoir confiance dans le fait que leurs autorités nationales respectent leurs obligations communautaires et doivent s’attacher à vérifier effectivement, dans le cas présent, que la Commission a été saisie et a statué sur le projet d’aide que l’Etat se propose de leur allouer.

« L’Etat membre est tenu (…) de provoquer
la liquidation de l’entreprise
ou de prendre toute autre mesure
permettant le remboursement de l’aide »

La récupération doit se faire dans le cadre des procédures françaises. La seule chose importante est l’effectivité de la récupération. Bref, difficile voire impossible pour les producteurs d’y échapper.

Surtout que l’Etat ne peut pas invoquer de difficultés pratiques, juridiques, ou politiques pour se défausser cette fois-ci de ses devoirs communautaires. Ainsi l’état de difficultés ou de cessation d’activité d’une entreprise bénéficiaire d’une aide ne saurait justifier la non-récupération. L’Etat membre est tenu, selon le cas, de provoquer la liquidation de la société, de faire inscrire sa créance au passif de l’entreprise ou de prendre toute autre mesure permettant le remboursement de l’aide. Par ailleurs, si l’entreprise bénéficiaire est en faillite et qu’une nouvelle société poursuit ses activités, cette dernière pourra, si l’avantage persiste à son profit, être tenue au remboursement des aides en cause, en particulier si elle conserve la jouissance effective de l’avantage concurrentiel lié au bénéfice des aides illégales.

Ce 21 février dernier, la Cour de Justice vient de rappeler ces beaux principes à la France en lui reprochant, en substance, de n’avoir pas, au travers de la procédure de récupération des aides « plans de campagne », éradiqué purement et simplement toute une filière économique.

Quelle finalité pour le droit de la récupération des aides illégales et incompatibles ?

En théorie, tout est clair ! Les aides d’Etat illégales et incompatibles introduisent des distorsions de concurrence auxquelles il doit impérativement être mis fin par le biais d’une récupération des avantages économiques alloués auprès des bénéficiaires des aides prohibées. Jusque là, difficile de ne pas être d’accord.

Dans la pratique, plusieurs problématiques doivent être prises en compte… Et ne le sont pas.

Tout d’abord le temps ; la procédure de récupération intervient souvent de longues années après l’octroi des soutiens condamnés. Tel est le cas des producteurs de fruits et légumes qui se voient réclamer des sommes reçues entre 1992 et 2002. Les situations économiques ont évoluées mais cet aspect n’est pas pris en compte.

Et le temps, c’est de l’argent où plutôt des intérêts. L’aide à récupérer comprend en effet des intérêts courant à compter de la date de mise à disposition de l’aide à son bénéficiaire ; très clairement, cela peut doubler les sommes, au principal, réclamées. Ceci n’est pas neutre économiquement et aboutit, dans les faits, à une véritable sanction des bénéficiaires.

Ensuite la procédure elle-même impose l’individualisation des aides versées ; dans le cas des producteurs français, les autorités publiques ont dû procéder à un travail réellement considérable pour déterminer exactement qui avait reçu quoi et à quelle période. Ce travail prend beaucoup de temps…ce qui n’accélère pas la mise en œuvre des décisions de la Commission.

Enfin, il n’existe aucune limite réelle à la mise en œuvre du mécanisme de récupération puisque le fait de conduire une entreprise à la liquidation n’est pas même un obstacle admissible à la récupération.

Dans ce contexte, en voulant, légitiment mettre fin à une distorsion de concurrence passée, ne crée-t-on pas un avantage économique pour les concurrents actuels des bénéficiaires d’une aide publique ?

La question mérite d’être posée.

 

Photo d’archives de salades sous serre.

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