marges grandes surfaces producteurs

La loi Sapin 2 offre l’opportunité de réviser la loi de modernisation de l’économie

Relations production – industrie – commerce : de la nécessité d’une révision de la loi de modernisation de l’économie.


Point de vue de Thierry Merret,
président de la FDSEA du Finistère,
et Olivier Mével,
maître de conférences en sciences de gestion à l’université Bretagne Loire


Un seul constat s’impose pour les filières alimentaires en 2015 : – 2,4 % sur les prix agricoles (après – 5,3 % en 2014), – 2 % sur les produits des industries agroalimentaires (- 2,5 % en 2 ans) et + 0,5 % sur les prix à la consommation (Insee)… L’écart est donc de plus en plus net dans les linéaires entre les prix agricoles et ceux payés par le consommateur ! Les GMS ont donc une nouvelle fois réussi à préserver leurs marges sur les produits frais afin de financer la guerre des prix qu’elles mènent sur 1 000 à 1 500 produits de grandes marques.

C’est cet état de fait mortifère pour les filières alimentaires françaises que certains qui se prétendent spécialistes de la grande distribution seraient avisés de dénoncer en toute bonne foi au lieu d’asséner, à longueur de réunions, que le principal problème des filières alimentaires françaises a trait actuellement au manque de productivité et de compétitivité du maillon agricole !

Face à une divergence prix agricole/prix GMS encore jamais rencontrée depuis plus de 45 ans, les résultats de l’observatoire des prix et des marges publiés en avril 2016 démontrent une nouvelle baisse généralisée des prix aux producteurs, alors qu’en magasins les prix augmentent graduellement. L’année 2015 a ainsi encore été marquée par un puissant transfert de valeur de l’amont agricole vers les autres maillons de la chaîne alimentaire, sans que le consommateur ne puisse en profiter. Cela signifie également que des reconstitutions de marges ont eu lieu en aval. Pourquoi le nier ? Les chiffres sont implacables.

Face à ce constat, il est plus que surprenant de lire quelques articles relatant les propos d’un soi-disant « spécialiste de la grande distribution » – Olivier Dauvers – qui affirme lors d’une conférence à l’ANIA (association nationale des industries alimentaires) que « modifier la LME ne changera strictement rien »… Entendez par-là que cela ne changera strictement rien à la guerre des prix, à l’âpreté des négociations commerciales, au transfert massif des marges de l’amont vers l’aval et à la destruction des prix payés aux producteurs. La LME (loi de modernisation de l’économie), en libéralisant la négociation commerciale, a eu pour graves conséquences de renforcer le pouvoir de marché de la grande distribution, pourtant déjà en situation d’oligopole resserré, mais aussi de fragiliser le tissu de PME agricoles et agroalimentaires françaises qui ont toutes payé un lourd tribut à la LME depuis 2008.

Or, ceux qui bénéficient aujourd’hui d’un pouvoir de marché, en l’occurrence ici les GMS, détiennent aussi la capacité exorbitante de fixer, en France, les prix et les marges de chacun des autres acteurs des principales filières alimentaires. 120 enseignes de distribution en 1970, 30 enseignes dans les années 1990 et puis, aujourd’hui, uniquement 4 super-centrales d’achat qui font face à une centaine de transformateurs dans le lait et la viande et à 200 000 éleveurs… A ce train-là, les comptes sont vite faits…Pourquoi, là encore, le nier ?

Mais cela, Olivier Dauvers feint ou ne veut pas le voir… trop occupé qu’il est à vouloir légitimer les comportements pourtant prévaricateurs des distributeurs vis-à-vis du monde agricole.

Les pratiques commerciales déloyales auxquelles se livre la grande distribution à l’égard de ses fournisseurs se sont répercutées tout au long de la filière, et ont envenimé les relations commerciales entre industriels et producteurs depuis 2008, sur fond de guerre des prix et de crise agricole. Et rien ne devrait jamais changer, selon certains « experts de la grande distribution » ? Pour qui ? Sûrement pas pour les producteurs dont les revenus s’annoncent une nouvelle fois famélique… Plus certainement pour la grande distribution. A se demander si la qualité « d’expert » est toujours une preuve d’indépendance… devant de tels propos…

Olivier Dauvers, affirme qu’« il faut arrêter de cibler systématiquement la grande distribution », et rejette la responsabilité unique de la baisse des prix sur les « problèmes de productivité et de compétitivité de l’agriculture ». Celui-ci étrille vertement la production agricole, évoquant le peu de performance du premier maillon de la chaîne alimentaire. Oui, la production agricole est victime de « facteurs endogènes » liés aux distorsions de concurrence fiscales, sociales et administratives qui pénalisent fortement la compétitivité de notre secteur.

Mais ce sont là les propos de tous les chefs d’entreprises français soumis à la concurrence européenne ! Il est vrai que la grande distribution française, forte de sa situation d’oligopole, ne risque pas de voir ses parts de marché grignotées en France par l’arrivée de concurrents européens ou étrangers. La loi Raffarin du 5 juillet 1996 s’est chargée à elle toute seule d’empêcher toute contestabilité des parts de marché des distributeurs français par des enseignes étrangères en construisant une barrière législative à l’entrée des bastions dans lesquelles les distributeurs se concoctent des marges aux petits oignons. L’urbanisme commercial français est donc responsable d’une distribution consanguine, exempte de toute concurrence étrangère alors même que l’agriculture française est livrée aux vents souvent mauvais de la mondialisation… L’autorisation administrative départementale (CDAC), dont dépend l’ouverture des magasins, crée une véritable barrière à l’installation d’une réelle concurrence au niveau local, tout en empêchant l’entrée d’une concurrence étrangère sur le territoire. C’est cela qu’il faut changer au travers de l’évolution de la LME.

Par ailleurs, la grande distribution œuvre contre l’organisation des producteurs, un levier fondamental pour contribuer à rééquilibrer les rapports de force au sein des filières et ainsi rétablir un bon fonctionnement au sein de la chaîne alimentaire. Lors des discussions relatives à l’adoption du paquet lait en 2012, destiné à rééquilibrer le pouvoir de négociation des producteur, la grande distribution s’est opposée jusqu’au dernier moment à ce texte. Et la voici depuis plusieurs années à l’œuvre pour s’intégrer verticalement au plus près de la formation des prix agricoles en s’offrant à bon compte des outils industriels agroalimentaires, pour sans doute mieux intégrer demain le dernier maillon : les producteurs.

Alors, pour quelle raison faudrait-il réellement arrêter de cibler la grande distribution, comme l’exhorte le « spécialiste de la distribution » Monsieur Dauvers ? Il n’y a aucune raison objective à cela, si l’objectif est bien celui de rééquilibrer les négociations commerciales, et d’avoir un meilleur fonctionnement de la chaîne alimentaire, dans l’intérêt des producteurs et des consommateurs. Les pouvoirs publics ont non seulement laissé faire l’hyper concentration de la grande distribution (à ce jour, 4 centrales d’achats se répartissent 90 % du commerce de détails alimentaire en France), mais ont également libéralisé la négociation commerciale : c’était le cocktail explosif pour les filières agricoles et agroalimentaires ! Modifier la LME pourrait changer beaucoup de choses, à condition que cela ne soit pas de la « poudre aux yeux pour rassurer les agriculteurs ».

Le renforcement des contrôles dans les centrales d’achat, la protection des lanceurs d’alerte dans le canal, l’organisation d’une voie d’accès à la médiation pour les PMI/ETI et coopératives à l’issue d’une procédure de déréférencement, la tenue des négociations commerciales hors les « box » des centrales d’achat et l’abrogation du dispositif Raffarin sont toutes des mesures susceptibles de pacifier les relations Production-Industrie-Commerce.

La loi Sapin 2 peut être l’occasion de faire évoluer la LME qui porte toujours en elle-même les germes de la guerre des prix et une logique déflationniste. La LME a, certes, permis de purger les marges arrière, mais en redonnant à la grande distribution le pouvoir de négocier les prix des industries agroalimentaires sans nullement envisager des contreparties à leur pouvoir de marché en faveur des maillons amont, la Loi de Modernisation de l’Economie a échoué. Il est temps de constater qu’à la suite de la baisse de leur taux de marge, le taux de défaillance des exploitations agricoles et des PME/PMI de l’agroalimentaire atteint des proportions inquiétantes alors même que, à l’abri de toute concurrence étrangère, jamais les GMS ne sont concernées par aucune menace de dépôt de bilan.

Est-ce cela l’équité au sein d’une nation ?

Tribune co-signée par

Thierry Merret,
président de la Fdsea du Finistère

et Olivier Mével,
maître de conférences en sciences de gestion à l’université Bretagne Loire

 

En savoir plus : http://www.agrisalon.com/actualites/2016/04/21/olivier-dauvers-modifier-la-lme-ne-changera-strictement-rien (les affirmations de Olivier Dauvers selon lesquelles « modifier la LME ne changera strictement rien »).

Sur les auteurs : https://wikiagri.fr/users/Thierry-Merret/1869 (la présentation complète de Thierry Merret, ainsi que les liens vers les précédentes tribunes qu’il a signées pour WikiAgri) ; https://wikiagri.fr/articles/la-grande-distribution-se-sert-du-maillon-agricole-pour-nourrir-sa-guerre-des-prix/4836 (interview d’Olivier Mével sur Wikiagri, déjà sur la grande distribution).

Plus précisément sur Olivier Mével :
Maître de Conférences
Habilitation à diriger des recherches (HDR)
Docteur en Sciences de Gestion
Agrégé d’Economie-Gestion
Directeur pédagogique LP Commerce et Distribution (LPCD)
Directeur pédagogique M2 Management des Chaînes Logistique Globales (MacLog)
Université de Bretagne Occidentale
IUT de Brest
Département GACO à Morlaix

Notre illustration ci-dessous symbolise la monnaie rendue aux producteurs sur un ticket de caisse de grandes surfaces, et est issue du site Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/23716397.

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