« Pour espérer recréer une filière de chanvre textile, il fallait pouvoir inventer un procédé mécanisé de rouissage au sol. Grâce à la région Normandie, nous avons pu passer commande à un jeune constructeur talentueux, Nils Baert (à gauche) », explique Henri Pomikal.
Henri Pomikal a passé toute sa carrière à développer des cultures rémunératrices que ce soit au sein de son exploitation ou par son engagement collectif notamment dans la filière du lin fibre. A 59 ans, il participe à faire renaître une activité de chanvre textile jusqu’ici disparue de France.
Je me suis installé le 10 mai 1981, le jour même où François Mitterrand est arrivé au pouvoir. Cette année, j’en suis à ma quarantième moisson. Cela n’aura pas été la plus facile, vu le climat compliqué et mon engagement dans des essais d’arrachage de chanvre textile », relate Henri Pomikal avec un sourire et une énergie qui semblent ne jamais devoir le quitter. Aujourd’hui associé avec son fils, l’agriculteur basé dans le Calvados, en périphérie de Caen a aussi développé une SARL de travaux agricoles dédiés aux travaux du lin fibre. Depuis 2010, il s’est lancé dans la production, transformation et vente de miscanthus sur d’anciens herbages difficilement labourables. Les agri- culteurs ont trouvé leurs propres débouchés notamment auprès des collectivités. A la même période, celles-ci s’engageaient dans des programmes zéro phyto. Avoir une bonne idée, si possible avec un peu d’avance et un peu de chance également ; voici des ingrédients favorables pour entreprendre qu’Henri aura réussi à réunir à plusieurs reprises dans sa carrière aussi bien sur sa ferme que dans ses engagements collectifs.
Quand Henri Pomikal reprend la ferme aux côtés de son père, l’exploitation comporte un atelier laitier. Avec l’arrivée des quotas Henri prend la décision de tout arrêter. La création de valeur sur la ferme passera par les grandes cultures et notamment la culture du lin qu’il développe au même moment. « Très vite je suis devenu passionné, comme le sont d’ailleurs tous les liniculteurs tant cette plante est techniquement très exigeante, constate l’agriculteur. Le lin fibre est aussi une culture qui peut être très rémunératrice. Ce revenu est lié à une combinaison gagnante entre un savoir-faire et un climat unique. Mais s’il n’y avait pas eu des gens pour prendre des risques et croire dans l’innovation pour industrialiser la production, notre filière n’existerait pas. C’est l’esprit d’entreprise et la créativité qui a sauvé la production avec l’invention du rouissage au sol et la mécanisation de toute la chaîne jusqu’au teillage ».
La conviction de pouvoir accomplir de grandes choses par le collectif, Henri l’a de longue date chevillée au corps. Peu après son installation, il prend des respon- sabilités au sein du CDJA (Jeunes Agriculteurs), puis à la FDSEA. En 1991, il devient administrateur de la coopérative linière du Nord de Caen. Il en prendra la présidence en 2001 avant de laisser la main en 2019. Pendant ces années, l’outil connaît des hauts et des bas. Henri est amené à voyager chaque année chez les clients ou prospects filateurs notamment en Chine. Au cœur du réacteur de l’industrie textile, il comprend que la filière aura besoin de plus de matière première. Au milieu des années 2010, il sera ainsi l’initiateur d’un mouvement d’investissement et de modernisation des teillages, avec deux lignes ultra-modernes mises en route en 2016 et qui font encore référence aujourd’hui dans le milieu. « Très vite l’outil a été saturé, constate l’agriculteur. Aujourd’hui il fonctionne en sursaturation à 130 % de ses capacités. Entre temps, les surfaces de lin sont passées de 1 250 ha à 4 300 ha en 2020 ».
En 2019, Henri laisse les rênes de la coopérative, dont il reste le vice-président. Avec Marc, le nouveau président, une idée le tourmente. La sucrerie de Cagny s’apprête à fermer ses portes. Pour l’agriculteur qui est aussi bet- teravier, c’est la perte d’une culture rémunératrice mais aussi d’une tête de rotation intéressante. Se pose alors la question du remplacement de la betterave. De son expérience, Henri sait qu’il y a un débouché potentiel pour du chanvre textile. Par ailleurs il a vu travailler le chanvre en Chine, sur les mêmes lignes que le lin tout le long du process.
C’est ainsi que dès le mois d’avril 2019, l’agriculteur casse une de ses parcelles de culture de betterave pour un premier essai concluant de conduite en chanvre textile. En 2020 la coopérative est convaincue de se lancer un peu plus en avant dans les essais. Cependant pour pouvoir avancer, il faut mettre au point un nouveau procédé de machine capable de faire rouir le chanvre au sol. Le concessionnaire local, la Sama, leur trouve un constructeur prêt à relever le défi et Henri parvient grâce à ses succès passés à convaincre l’ancien ministre et président de la région Normandie, Hervé Morin lui-même, de financer une partie de la machine.
C’est ainsi que huit mois plus tard, un prototype unique au monde arrive de Belgique. La machine est construite sur le modèle d’une arracheuse à lin. Cependant elle doit couper le chanvre en deux pour pouvoir former des nappes parallélisées de 90 cm de large. Ces nappes, sont de la même largeur que pour le lin ce qui permet d’utiliser ensuite la même chaîne de mécanisation et de teillage. Les premiers essais réalisés en 2021 sont concluants, même, s’il faudra encore retravailler sur la machine tout l’hiver pour pouvoir la rendre plus poly- valente. L’an prochain, 20 à 40 ha de chanvre textile seront semés. A terme le chanvre pourrait remplacer les surfaces de betterave pour représenter 12 000 ha. Cela nécessiterait cependant d’investir dans de nouveaux outils industriels de teillage. Les marchés quant à eux seraient déjà prêts à engloutir cette production de chanvre à un niveau de rémunération équivalent au lin.
Le chanvre qui mobilise le même parc matériel que le lin (retourneuses, enrouleuses…),permettrait aussi de conforter les outils dédiés au lin chez les agriculteurs et de conforter les teillages.« Sans compter que le chanvre est une excellente tête de rotation. Cette année, j’ai fait 10 quintaux par hectare de plus en blé après un précédent chanvre, constate Henri Pomikal.
L’originalité de ce projet c’est aussi que nous avançons main dans la main avec la filière bio représentée par l’association Lin et Chanvre Bio. Ils ont été précurseurs sur le sujet du rouissage au sol du chanvre et de l’itinéraire technique pour le semis. Nous avons fortement besoin des Bio pour nous accompagner sur ces aspects. En retour, les Bio ont besoin de l’outil industriel pour pouvoir créer le débouché pour leurs producteurs. C’est gagnant pour tout le monde ».
Le chanvre textile doit être semé au maximum de densité (environ 400 pieds par mètre carré). Une fois arraché, le rouissage est réalisé au sol où il profite de la fraîcheur naturellement présente au pied du chanvre.
Auteur: Loïc Dufour