La directive européenne en faveur de la protection des sols vient d’être officiellement retirée par la Commission européenne, qui devait statuer dessus depuis 2006. Ainsi, la problématique des sols ne bénéficiera pas d’une politique à part entière, mais sera considérée à l’intérieur de politiques plus larges. Du pour et du contre dans les réactions.
Les constats sont multiples pour réclamer cette protection des sols : artificialisation (urbanisation), érosion, ruissellements, formation de ravines, tassements… Les dangers ne manquent pas, et l’agriculture est concernée au premier chef, que ce soit comme étant (involontairement bien sûr, les connaissances dans le domaine ont évolué) à la cause de ces phénomènes ou, le plus souvent, comme devant subir les conséquences funestes de ces différents fléaux.
La première fois que l’idée d’une directive sur les sols est née en Europe, c’était en 2002. Différents groupes de travail (avec des scientifiques de tous les pays européens) s’étaient alors constitués… Et c’est précisément le 22 septembre 2006 que la Commission européenne a présenté sa stratégie pour la protection des sols, incluant une directive-cadre, ainsi qu’une évaluation d’impact.
Le Parlement européen a voté pour, mais les ministres de l’environnement des pays-membres n’ont pas suivi, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Autriche ayant voté contre, et la France s’étant abstenue. Depuis, la question est restée en suspens. Les tractations sur le degré de subsidiarité (c’est-à-dire sur le degré de dérogation acceptable par pays) n’ayant pas abouti, la Commission européenne vient, officiellement, de retirer cette directive européenne sur la protection des sols, qui ne sortira donc jamais.
Dominique Arrouays, ingénieur de recherche à l’Inra, du comité info sol de l’Inra, agronome, docteur en sciences du sol, est « le » spécialiste en France du sol et de sa cartographie. Lui, il plaide pour une reconnaissance du sol au même niveau que l’air ou l’eau, estimant que la problématique mérite cette attention. Interrogé par WikiAgri sur ce retrait de la directive sols, il a réagi en exprimant sa « déception » : « Je trouve que c’est un peu dommage qu’elle soit totalement retirée. On savait qu’il existait des blocages empêchant que la directive passe en l’état. Il est toujours possible d’espérer que, dans quelques années, elle repasse sous une forme différente, en différenciant bien les sujets qui fâchent, c’est-à-dire les sols contaminés, de l’ensemble de la problématique.«
En attendant, cette problématique des sols est désormais traitée à l’intérieur de politiques plus larges, comme la Pac. Ce qui n’inspire que moyennement Dominique Arrouays : « Bien sûr, c’est déjà ça. Mais une directive focalisée sur les sols présentait aussi l’intérêt d’éveiller l’attention sur ce sujet en particulier, qui est et reste un sujet à part entière.«
A l’inverse, le syndicat européen des agriculteurs et des coopératives, le Copa-Cogeca, se félicite, lui, de l’abandon de ce projet de directive sols. Dans un communiqué, son secrétaire général Pekka Pesonen s’est « réjoui de la décision prise par la Commission. La proposition de Directive en faveur de la protection des sols (publiée au Journal officiel) était bloquée au Conseil depuis des années. Par ailleurs, elle n’allait pas nécessairement améliorer la protection des sols dans l’UE. Sa seule conséquence aurait été une charge administrative accrue pour les agriculteurs et les coopératives agricoles.«
Tout en commentant : « Les sols constituent une précieuse ressource pour les agriculteurs et les propriétaires forestiers ainsi qu’un facteur clé de production. La protection et l’utilisation durable des sols sont donc primordiales. Les agriculteurs consentent d’immenses efforts pour éviter la dégradation des sols due à l’érosion, le tassement et la diminution de la teneur en matières organiques. L’UE a déjà une législation efficace, qui comprend des mesures très strictes en matière de protection des sols, lesquelles sont incluses dans la nouvelle politique agricole commune ainsi que dans le cadre de la législation environnementale européenne. La Directive en faveur de la protection des sols n’aurait fait qu’ajouter des strates supplémentaires de bureaucratie. Elle n’était pas nécessaire.«
De tous les côtés, il est clair que la conscience de la préservation des sols existe, même si elle s’exprime différemment. Dans la nouvelle Pac, la protection des sols est finalement très présente, même si elle n’obtient pas un chapitre en tant que tel.
Ainsi, dans la partie « découplage« , la Commission européenne encourage une utilisation des surfaces et des intrants plus rationnelle, ainsi que des schémas de culture ou de densité de pâturage plus flexibles. La « conditionnalité« , qui existe depuis 2005, exige le respect de normes minimales, notamment en matière d’érosion des sols. Et avec la nouvelle Pac, cette conditionnalité va étendre son influence. Un système de conseil agricole arrive avec la réforme, obligeant les Etats à dispenser des conseils sur le respect des exigences réglementaires, y compris celles concernant les sols donc… Et l’on pourrait citer ainsi d’autres exemples où la simple application de la politique européenne dédiée à l’agriculture encourage à la préservation des sols.
Pour synthétiser et commenter ce retrait de directive, j’avoue être partagé. Il est un fait avéré que la juxtaposition de plusieurs règlements et de plusieurs normes émanant de sources différentes pèse énormément sur les agriculteurs. Pour eux, il est évidemment plus gérable d’avoir à obéir à une seule règle, celle de la Pac, déjà suffisamment compliquée en soi à saisir.
Parallèlement, l’argument de Dominique Arrouays, qui aurait préféré que la problématique « sols » soit identifiée en tant que telle, se tient également.
En fait, au-delà de tous les règlements ou directives d’où qu’ils viennent, l’important est aussi le comportement de chacun. S’il a existé une époque où l’information manquait sur les risques de tassement ou d’érosion, aujourd’hui tous les renseignements sont à portée de chacun, à travers les différents réseaux agricoles, ou même individuellement par une recherche internet. Inclure la problématique sols dans son plan de développement de l’exploitation devient une nécessité. Ecrite noir sur blanc, ou non.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/5-decembre-journee-mondiale-des-sols/843 (autre article de wikiagri.fr sur les sols agricoles) ; https://wikiagri.fr/archive/9 (retrouvez en ligne le n°9 de WikiAgri Magazine paru en septembre dernier, entièrement dédié aux sols agricoles, avec une longue interview de Dominique Arrouays, mais aussi plusieurs reportages). => Rappel : pour accéder en ligne à notre magazine, il suffit d’être inscrit, gratuitement et sans obligation, sur wikiagri.fr.
Ci-dessous, toutes les cultures reposent sur le sol…
Pour poursuivre sur le dernier paragraphe de l’article, le film de la Global Soil Week, très pédagogique: http://vimeo.com/54012605
Quel dommage,
Nous aurions créé un nouveau service administratif, donc créé de nouvelles embauches pour permettre de rendre un peu plus complexe le système actuel….
Plaisanteries à part, c’est une très bonne nouvelle pour nos porte-feuille. Pour le respect de nos sols, il suffit, d’une part, de mettre au travail les services de l’État en charge de l’environnement, et d’autre part, de faire taire une fois de plus,les réac anti paysans qui, le plus souvent, souillent dame nature en allant manifester pour des sujets qui les dépassent…
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Il aurait fallu écrire : »Les sols constituent une précieuse ressource pour a Copa-Cogeca ». je crois que cela semble claire que ceux qui vivent, commercialement parlant du sol, soient contre. Comment continuer à faire avaler au sol autant de cochonneries si l’on réglemente.Vous avez bien choisi vos commentaire, un scientifique qui ne peu ignorer la dégradation des sols, même si cela reste discret, et de l’autre coté des fournisseurs de phytos, engrais, amendements bien souvent plus lucratifs qu’utiles