La Deuxième Conférence internationale sur la nutrition organisée du 19 au 21 novembre montre que la malnutrition reste l’un des principaux problèmes auxquels l’humanité doit faire face, que ce soit sous la forme d’une sous-alimentation et de plus en plus d’une suralimentation.
La Deuxième Conférence internationale sur la nutrition est organisée à Rome au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) du 19 au 21 novembre sous l’égide de cette dernière organisation, mais aussi de façon symptomatique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celle-ci a, en effet, défini des « cibles mondiales 2025 » en matière de nutrition visant à améliorer la nutrition des mères, du nourrisson et du jeune enfant. Ces cibles sont les suivantes : réduire de 40 % le nombre d’enfants de moins de 5 ans présentant un retard de croissance, réduire de 50 % l’anémie chez les femmes en âge de procréer, réduire de 30 % l’insuffisance pondérale à la naissance, stabiliser la proportion des enfants en surpoids, réduire et maintenir au-dessous de 5 % le dépérissement chez l’enfant (émaciation) lié à une malnutrition aiguë.
Il s’agit d’une conférence intergouvernementale, réunissant donc les représentants des Etats, qui ne vise pas seulement à savoir comment parvenir à nourrir la population mondiale au XXIe siècle, mais aussi comment mieux la nourrir puisque elle ambitionne d’attirer l’attention du monde sur la malnutrition, et pas uniquement sur la sous-alimentation (sur ce sujet, des Sommets mondiaux de l’alimentation ont été organisés en 1996 et en 2002, tout comme un Sommet mondial sur la sécurité alimentaire en 2009). Elle se présente ainsi comme « la première conférence intergouvernementale du XXIe siècle à être consacrée aux problèmes de nutrition dans le monde ». Son objectif, selon la FAO, est d’apporter des « solutions globales » à des « problèmes globaux de nutrition ».
Elle devrait réunir différents chefs d’Etat et de gouvernement, mais aussi des dirigeants d’organisations internationales (tels que le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon) ou d’organisations de la société civile. Il est à noter que le pape François avait annoncé au mois de mai dernier qu’il participerait à la Conférence. A priori, ni son Président de la République, ni son Premier ministre ne devraient y représenter la France.
La première Conférence internationale sur la nutrition, qui a été organisée par la FAO, s’est déroulée à Rome il y a maintenant 22 ans, en 1992. 159 Etats, la Communauté européenne, 15 organisations du système des Nations unies et 144 ONG y ont participé. Elle partait également du même constat sur le caractère inacceptable de la faim et de la malnutrition dans le monde et sur la persistance d’une sous-alimentation importante et d’une population manquant de micronutriments.
Des progrès notables ont été réalisés en termes nutritionnels. La population sous-alimentée a baissé d’environ 20 %. A l’échelle mondiale, on se nourrit mieux, de façon plus équilibrée et plus saine. En conséquence, on vit plus longtemps et en meilleure santé. Mais le nombre de personnes souffrant de la faim reste tout de même élevé, notamment en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, les problèmes de surpoids et d’obésité sont devenus préoccupants dans de nombreux pays, y compris dans des pays en développement, ce qui n’était pas le cas en 1992. Ceci tend à favoriser certaines maladies, comme les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète et certains cancers.
Il s’agit d’une déclaration qui a été adoptée en prévision de la Conférence du mois de novembre par les représentants des Etats-membres de la FAO et de l’OMS. Elle rappelle que « le droit de chacun d’avoir accès à une alimentation sûre, suffisante et nutritive » et « le droit fondamental de chacun d’être à l’abri de la faim » sont des droits de l’homme reconnus en tant que tels par différents textes internationaux.
Les signataires s’y engagent notamment sur trois points : (1) éliminer la faim dans le monde ; (2) prévenir toutes les formes de malnutrition, en particulier la sous-alimentation des enfants de moins de 5 ans, l’anémie des femmes et des enfants et les autres carences en micronutriments ; (3) inverser la tendance à l’accroissement de l’obésité et au développement des maladies liées à l’alimentation. L’objectif de la Conférence internationale sur la nutrition est que les Etats représentés mettent en œuvre cette déclaration, même si des organisations de la société civile la trouvent insuffisante et pas assez contraignante.
Selon la FAO, la malnutrition correspond à un état physiologique anormal lié à une insuffisance, à un excès ou à une quantité déséquilibrée de macronutriments et/ou de micronutriments. En clair, c’est une mauvaise façon de s’alimenter, que l’on s’alimente trop ou insuffisamment. La malnutrition ne se réduit donc pas seulement à la sous-alimentation, puisqu’elle renvoie aussi à la suralimentation et aux carences en micronutriments. Les nutriments que l’on trouve dans les aliments sont des substances apportant des calories et des éléments pour la croissance et l’entretien de l’organisme et le maintien d’un bon système immunitaire. Les macronutriments sont de gros nutriments dont le corps humain a besoin en grandes quantités : glucides (amidons, sucres et fibres alimentaires), lipides (graisses et huiles), protéines. Les micronutriments sont des petits nutriments dont le corps a besoin en faibles quantités, comme les minéraux (fer, iode, zinc) et les vitamines (vitamines A, B et C). La Conférence internationale sur la nutrition traite de la malnutrition au sens large du terme, à savoir la sous-nutrition (ou sous-alimentation), les carences en micronutriments, le surpoids et l’obésité.
– Deux milliards de personnes souffrent de carences en micronutriments,
– Plus d’un milliard de personnes souffrent d’anémie (liée à diverses carences alimentaires : en fer, en folates, en vitamines ou en protéines),
– 805 millions de personnes étaient sous-alimentées durant la période 2012-2014,
– Plus de 500 millions d’adultes dans le monde étaient obèses en 2010,
– 161 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde en 2013 avaient un retard de croissance, ce qui est un indicateur privilégié d’une sous-alimentation chronique,
– 51 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde en 2013 souffraient d’un dépérissement lié à une malnutrition aiguë,
– 42 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde souffraient de surpoids en 2013,
– Environ 5 millions d’enfants de moins de 5 ans dans les pays en développement meurent chaque année de causes liées à la malnutrition,
– 45 % des décès d’enfants de moins de 5 ans dans le monde en 2013 étaient liés à la malnutrition,
– 5 % des décès dans le monde, soit 2,7 millions de personnes, sont liés à un excès pondéral ou à l’obésité.
La notion de « faim invisible » a été notamment mise en avant dans le rapport publié en 2014 par le think tank américain International Food Policy Research Institute (IFPRI). Cette « faim invisible » correspond à « une forme de sous-alimentation survenant lorsque l’apport ou l’absorption de vitamines et minéraux ou oligo-éléments (comme le zinc, l’iode ou le fer) ne suffisent pas à assurer une bonne santé et un bon développement ». C’est notamment durant les 1 000 premiers jours de la vie que tout se joue car les carences durant cette période ont un impact physique et cognitif grave pour les personnes qui en sont victimes. 1,1 million d’enfants en mourraient chaque année.
D’après l’IFPRI, ceci est lié à une mauvaise alimentation, à des besoins accrus en micronutriments durant certains périodes de la vie (grossesse, allaitement) ou à des problèmes de santé (maladies, infections parasitaires). Ce déficit en micronutriments peut être provoqué par une situation de pauvreté dans les pays en développement, mais aussi par l’adoption d’un nouveau régime alimentaire basé sur des « aliments et boissons hautement transformés, à forte densité calorique mais pauvres en micronutriments ». Certaines personnes peuvent ainsi souffrir à la fois d’obésité et de carences en micronutriments. Or, selon l’IFPRI, cette « faim invisible » concernerait plus de deux milliards de personnes dans le monde, plus précisément en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.
Cette faim est « invisible » car ses effets sur la santé ou le développement économique ne sont généralement pas perceptibles de façon immédiate et ne se font donc sentir qu’à moyen-long terme. Les effets à long terme de ces déficits en nutriments sont, en effet, particulièrement préoccupants avec un accroissement de la mortalité maternelle et infantile, des handicaps physiques (comme la cécité), des déficiences mentales, des problèmes de santé et une productivité amoindrie pour les économies des pays concernés. L’IFPRI estime ainsi que les pertes de productivité liées à cette faim invisible seraient de l’ordre de 1 400 à 2 100 milliards de dollars par an.
Pour un pays, le « double fardeau » de la malnutrition réside dans le fait que, paradoxalement, celui-ci doit faire face à la fois à une sous-alimentation et à une suralimentation. Sa population souffre donc à la fois de faim chronique et d’obésité. C’est notamment le cas dans les pays en développement.
D’après la FAO, cette situation est liée dans les pays émergents à forte croissance économique à une transition nutritionnelle. Il s’agit d’une modification du régime alimentaire d’une population qui consiste à se nourrir d’une quantité importante de matières grasses, de sucres et de graisses saturées provenant principalement de la consommation de produits animaux. Ceci est lié à différents facteurs comme l’urbanisation, un mode de vie plus sédentaire, une modernisation du mode de production alimentaire ou la mondialisation. Si cette transition nutritionnelle a permis de réduire la sous-alimentation, elle a également contribué à accroître les problèmes d’obésité et les maladies liées à l’alimentation.
Différentes études récentes tendent à montrer que le coût de la malnutrition pour l’économie est particulièrement élevé. Ainsi, une étude publiée aux Etats-Unis en novembre 2014 dans le Journal of Occupational and Environmental Medicine indique que le coût de l’absentéisme lié à l’obésité pour l’économie américaine s’élève à 8,7 milliards de dollars par an. Dans ce pays, plus d’un adulte sur trois est obèse. Le coût de l’obésité en termes de frais médicaux serait même de l’ordre de 190 milliards de dollars par an. Selon des données diffusées dans le Global Nutrition Report publié en 2014, l’obésité réduisait le PIB de la Chine de 3,6 % en 2000, tandis que l’Asie et l’Afrique verraient leur PIB se réduire de plus de 10 % en raison de la sous-alimentation.
Un régime alimentaire sain est censé contenir un montant approprié d’énergie, de matières grasses, de protéines et de micronutriments basé sur une alimentation diversifiée évitant toutes formes d’excès. L’OMS recommande ainsi pour un adulte la consommation de 5 portions de fruits et de légumes par jour, et de limiter les sucres ajoutés, les matières grasses et le sel : moins de 10 % des sources d’énergie doivent être liées à des sucres ajoutés, moins de 30 % à des matières grasses et moins de 5 grammes de sel doivent être consommés chaque jour. L’OMS recommande un même type de régime alimentaire pour les nourrissons et les enfants, en insistant sur l’importance de l’allaitement maternel, en particulier les six premiers mois de la vie de l’enfant.
En France, le site internet Manger Bouger du Programme national Nutrition Santé fournit le même type de recommandations : « Bien manger, c’est adopter une alimentation variée et équilibrée, c’est-à-dire manger de tout mais en quantités adaptées. Cela consiste à privilégier des aliments bénéfiques à notre santé (fruits, légumes, féculents, poissons…) et à limiter la consommation de produits sucrés (confiseries, boissons sucrées…) et salés (gâteaux apéritifs, chips…) et gras (charcuterie, beurre, crème…) ».
En savoir plus : http://www.fao.org/about/meetings/icn2/fr (pour suivre la conférence en direct en vidéo) ; www.fao.org/about/meetings/icn2/faq/en/ (informations de base de la FAO sur la Conférence internationale sur la nutrition et la malnutrition), www.who.int/nutrition/topics/nutrition_globaltargets2025/fr/ (cibles mondiales 2025 de l’OMS concernant la nutrition), www.fao.org/about/meetings/icn2/background/fr/ (informations générales de la FAO sur la Conférence internationale sur la nutrition), www.fao.org/docrep/v7700t/v7700t03.htm (informations de la FAO sur la Conférence sur la nutrition de 1992), www.fao.org/3/a-ml542f.pdf (Déclaration de Rome sur la nutrition), www.fao.org/hunger/fr/ (définition de la malnutrition par la FAO), www.fao.org/docrep/008/y5740f/y5740f04.htm (définition des nutriments par la FAO), www.fao.org/about/meetings/icn2/toolkit/hunger-facts/fr/ (données de la FAO sur la malnutrition), www.ifpri.org/sites/default/files/publications/ghi14fr.pdf (rapport 2014 de l’International Food Policy Research Institute, IFPRI), www.fao.org/about/meetings/icn2/news/news-detail/fr/c/265597/ (vidéo de la FAO sur le double fardeau de la malnutrition), www.lalibre.be/dernieres-depeches/afp/usa-l-obesite-coute-huit-milliards-de-dollars-par-an-en-productivite-perdue-etude-54668f993570a5ad0ee3550d (dépêche de l’AFP mentionnant l’étude relative au coût économique aux Etats-Unis de l’obésité), www.ifpri.org/sites/default/files/publications/gnr14.pdf (Global Nutrition Report de 2014), www.who.int/topics/nutrition/fr/ (page du site de l’OMS consacrée à la nutrition), www.mangerbouger.fr/ (site MangerBouger du Programme national Nutrition Santé).