agriculture grecque

La crise grecque et son agriculture en dix points essentiels

La crise grecque est au cœur de l’actualité. Mais on en connaît assez peu la dimension agricole. Or, c’est loin d’être négligeable dans un pays encore très rural et qui vit depuis le déclenchement de la crise un véritable contre-exode rural.

Le défaut de paiement grec sur sa dette vis-à-vis du FMI à la fin du mois de juin, la victoire du « non » lors du référendum organisé le 5 juillet, les nouvelles négociations pour éviter un « Grexit », à savoir une sortie de la Grèce de la zone euro, ont très largement remis la crise grecque sur le devant de la scène européenne. C’était aussi amplement le cas depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza en janvier 2015. Au-delà de cette situation brûlante, il est intéressant de voir cette crise à travers le prisme de l’agriculture autour de dix points importants.

Une crise aussi forte que les plus grandes crises économiques du XXe siècle

(1) Une crise exceptionnelle au regard de l’histoire

La multiplication des crises sur le Vieux continent n’a pas réellement permis de prendre la mesure de la profondeur de la crise grecque. Un certain nombre d’études économiques ont néanmoins montré que la crise traversée actuellement par la Grèce est d’une gravité équivalente par exemple à la crise de 1929 aux Etats-Unis avec une chute du PIB en Grèce de 42 % entre 2008 et 2015 et de 29 % aux Etats-Unis, mais aussi d’une durée impressionnante puisque l’on estime qu’il faudra plus d’une douzaine d’années avant que la Grèce ne retrouve le niveau de sa richesse de 2008. Dans l’état actuel des prévisions du FMI, la Grèce ne retrouverait pas le niveau de son PIB de 2008 à l’horizon 2020 (graphique 1). Au total, la crise grecque pourrait être la cinquième plus forte chute de la production qu’un pays ait connue dans le monde depuis le milieu du XIXe siècle. L’équivalent de l’effondrement économique de la Grèce serait celui de la Russie après la fin de l’URSS, avec un recul de 42 % du PIB au plus fort de la crise et le niveau de richesse de 1990 atteint seulement en 2007, soit 17 ans plus tard.

Graphique 1 : évolution du PIB de la Grèce entre 2000 et 2020, prévisions pour les données entre 2015 et 2020 Source : FMI.

Il en est de même pour la richesse par habitant mesurée en parité de pouvoir d’achat (graphique 2). C’est en 2013 que le point bas a été atteint en Grèce. Le PIB par habitant avait alors chuté de 20 % par rapport à 2008. Le niveau de 2008 serait à nouveau atteint seulement en 2018 selon les prévisions du FMI.

Graphique 2 : évolution du PIB par habitant de la Grèce en parité de pouvoir d’achat entre 2000 et 2020, prévisions pour les données entre 2015 et 2020 Source : FMI.

La violence de la « purge » qu’a subie l’économie grecque se perçoit dans l’évolution du déficit public en 2013-2014. Il s’élevait à 12,3 % du PIB en 2013. Il n’était plus qu’à 3,5 % l’année suivante, soit un taux inférieur à celui de la France (tableau 1). La conséquence est bien entendu un taux de chômage, notamment chez les jeunes, et un taux de pauvreté au plus haut (tableau 2).

Tableau 1 : principales statistiques économiques de la Grèce en 2014Sources : Eurostat, FMI pour le taux de croissance.

Tableau 2 : principales statistiques sociales de la Grèce en 2014Source : Eurostat.

Un pays encore très rural avec de petites exploitations familiales

(2) Un pays encore largement rural

La Grèce figure parmi les pays de l’Union européenne les plus « ruraux » aux côtés de pays comme l’Irlande, le Portugal ou la Finlande. 44 % de la population grecque vit dans un territoire à prédominance rurale, contre un taux moyen de 23 % dans l’UE et de 30 % en France, tandis que 38 % de la population vit en zone rurale. Les territoires à prédominance rurale représentent aussi plus de 40 % de l’emploi en Grèce et environ un tiers de la valeur joutée du pays.

L’agriculture en Grèce ne représente malgré tout que 3,5 % du PIB. Elle emploie tout de même 13 % de la population active. Lorsque le pays a adhéré à la Communauté économique européenne en 1981, elle s’élevait à près d’un tiers de la population active.

(3) Une agriculture de petites exploitations familiales

L’agriculture grecque se compose de petites exploitations familiales. Selon les statistiques de l’Union européenne (Eurostat), le pays comptait 723 000 exploitations agricoles en 2010, soit davantage qu’en France. Cela la situait au cinquième rang européen derrière la Roumanie, l’Italie, la Pologne et l’Espagne. En Grèce, les exploitations sont généralement de petites tailles : 51 % d’entre elles font entre 0 et 2 ha et 88 % entre 0 et 10 ha. Seules 1 % des exploitations ont une taille supérieure à 50 ha. Cette structure est, par exemple, très proche de la répartition des terres que l’on peut observer en Italie ou au Portugal. Par comparaison, en France, 37 % des exploitations ont plus de 50 ha et 64 %, plus de 10 ha. En Grèce, la taille moyenne d’une exploitation était ainsi de 4,8 ha en 2010. C’est l’une des tailles les plus faibles de l’UE, après la Roumanie (3,4 ha) et les îles de Chypre (3,0 ha) et de Malte (0,9 ha). En France, celle-ci s’élève à 54 ha.

L’agriculture rapporte d’ailleurs assez peu en Grèce puisque 52 % des exploitations avaient en 2010 une production standard inférieure à 4 000 €, et 91 % inférieure à 25 000 €. Les riches exploitants agricoles dans le pays, qui ont une production standard supérieure à 250 000 €, sont une infime minorité avec un taux de 0,1 %.

(4) Une surface agricole utile plutôt faible

En Grèce, la surface agricole utile (SAU) n’est pas très élevée. Elle arrive en tête des « petits » au sein de l’UE, avec une SAU de 5,2 millions d’ha, les « gros » (France, Espagne, Allemagne, Royaume-Uni, Pologne, Roumanie, Italie) totalisant quant à eux au moins 10 millions d’ha de SAU. Cette SAU a néanmoins beaucoup progressé de 2005 à 2010, de l’ordre de 30 %, alors qu’à l’échelle de l’UE, cette progression était bien plus modérée avec un taux de 1,5 % (et une hausse de 0,9 % par exemple pour la France). Cela s’est traduit semble-t-il par un processus de concentration des terres durant cette période en Grèce. En 2005, les exploitations de plus de 50 ha représentaient seulement 16% de la SAU. Elles en représentaient 45 % cinq ans plus tard. Il sera bien entendu intéressant de consulter les données de 2015 lorsqu’elles seront disponibles pour voir si ces tendances se poursuivent et sont accentuées par la crise.

(5) Une puissance agricole européenne de taille moyenne

En termes de production, la Grèce fait partie des puissances moyennes en Europe. Les « gros » et les « très gros » ont une production supérieure à 18-20 milliards d’euros. C’est le cas de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, puis du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Pologne et de la Roumanie. La Grèce se situe juste derrière le Danemark en tête du groupe des « moyens », avec une production de 10,3 milliards d’euros en 2013, devant la Belgique, la Hongrie, l’Irlande, l’Autriche, le Portugal, la Suède et la Finlande. La production grecque représentait ainsi 2,5 % de la production de l’UE en 2013. Cette part est en baisse car celle-ci s’élevait à 3,4 % en 2005.

Une agriculture typiquement méditerranéenne

(6) Un important producteur de fruits et de légumes

La production agricole grecque est adaptée au climat méditerranéen. Le pays n’est ainsi pas un gros producteur de céréales. En 2013, sa production céréalière équivalait à peu près celle de l’Autriche avec une production 15 fois moins importante que celle de la France. Sa principale production céréalière est celle de maïs. En revanche, elle est un important producteur de fruits et de légumes (tableau 3). Elle était ainsi le 4e producteur européen de tomates en 2013, derrière l’Italie, l’Espagne et le Portugal ; et le 3e producteur de pêches et d’agrumes, après l’Italie et l’Espagne. Elle était également le 3e producteur d’olives, pour l’huile d’olive.

Si, en 2014, la Grèce représentait seulement 1,3 % du PIB de l’Union européenne et, comme on l’a vu, 2,5 % de la production agricole de l’UE, sa part dans la production de légumes et de produits de l’horticulture s’élevait à 3,6 % ; à 7,9 % dans celle des fruits ; et à 17,2 % dans celle de l’huile d’olive. En quantité, comme en quantité, la Grèce produit d’ailleurs en premier lieu des olives. Elle tend également à développer l’agritourisme.

Tableau 3 : les plus importantes productions agricoles en Grèce, moyenne 2009-2013 Source : Eurostat.

(7) Un cheptel assez singulier

Le cheptel en Grèce est plutôt singulier. Le pays a ainsi très peu de bovins (et produit donc très peu de lait de vache) et de porcs. Il a principalement des chèvres et des moutons. C’est même le 3e cheptel de moutons dans l’Union européenne, après le Royaume-Uni et l’Espagne, et le 1er cheptel européen de chèvres. Ce n’est certainement pas un hasard si le célèbre fromage grec, la feta, est produit sur la base de lait de chèvre ou de brebis. Il en est de même pour le non moins célèbre yaourt grec, qui est traditionnellement fabriqué avec du lait de brebis. La Grèce est aussi très largement le 1er producteur européen de viande de chèvre avec 52 % de cette production en 2013 et le 4e producteur de viande de moutons.

Enfin, n’oublions pas non plus que la Grèce est aussi un pays de pêche. C’est même le 1er pays européen en termes de flotte de pêche. Elle compte deux fois plus de navires de pêche que la France, par exemple. En revanche, sa production est bien moins significative. La Grèce est seulement le 9e producteur de poissons de l’UE. Elle était tout de même en 2012 le 4e producteur aquacole européen.

(8) Un pays exportateur agricole, mais loin d’être autosuffisant

La Grèce est un pays qui exporte de nombreux produits agricoles. Ainsi, en 2013, sur les dix produits les plus exportés par le pays figuraient pas moins de cinq produits agricoles : l’huile, l’olive de table, le poisson d’élevage, le fromage « feta », et les vins (Tableau 4). Le pays n’en enregistre pas moins un lourd déficit en matière d’échanges agricoles. Celui-ci a été de l’ordre de 1,2 milliard en 2014, le montant des importations étant 25 % plus élevées que celui des exportations.

La Grèce importe des denrées agricoles des principaux producteurs européens : par ordre décroissant en 2011, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France et l’Italie (données de la FAO). Elle exporte principalement vers les marchés allemand, italien et bulgare.

Tableau 4 : les produits agricoles les plus exportés et les produits les plus importés en 2011 Source : FAO.

Une agriculture en crise, mais qui suscite un étonnant contre-exode rural

(9) Une agriculture en crise bien avant 2009

Dans la période récente, la crise agricole en Grèce n’a pas attendu le déclenchement de la crise que le pays connaît depuis 2009-2010. Depuis le début des années 2000, l’agriculture grecque connaît beaucoup de difficultés avec une forte baisse de la production totale (graphique 3), de l’ordre de 16 % entre 2002 et 2012, et de la production par hectare de terre cultivée (graphique 4), de l’ordre de 15 % sur la même période.

Graphique 3 : évolution de la valeur de la production agricole totale en Grèce Source : FAO.

Graphique 4 : évolution de la valeur de la production par hectare de terre cultivée en Grèce Source : FAO.

Les taux de croissance ont donc été négatifs durant la période 2002-2012 (graphique 5). Mais de façon un peu paradoxale, la récession a été moins forte depuis 2007.

Graphique 5 : Taux de croissance annuel de l’agriculture en Grèce, 1997-2012 Source : FAO.

Depuis la fin des années 2000, ceci s’explique bien entendu par l’effondrement du pouvoir d’achat des ménages grecs, mais aussi par l’accroissement des impôts et des charges pour les producteurs. En outre, l’agriculture grecque a été touchée de plein fouet par les effets de l’embargo russe en 2014. La Russie importait jusqu’alors la moitié de la production de pêches grecques et la plupart de ses fraises. En 2011, elle était le 10e marché pour les exportations agricoles de la Grèce.

(10) L’agriculture : un secteur attractif en temps de crise

Le plus grand paradoxe réside cependant dans le fait que, malgré la crise qu’elle traverse et l’image assez négative des agriculteurs dans le pays, l’agriculture semble être redevenue un secteur attractif en période de crise. On observe même une forme de contre-exode rural. Une étude publiée en 2011 par la Confédération des agriculteurs grecs (Pasages) montrait ainsi que l’agriculture a été le seul secteur à voir ses effectifs augmenter en Grèce entre 2008 et 2010 (+ 32 000), avec de nouveaux actifs appartenant majoritairement à la catégorie des 45-64 ans, mais aussi des jeunes, qui retournent s’installer sur les terres familiales. Un autre symptôme significatif de cet attrait de l’agriculture est l’explosion du nombre d’élèves dans les écoles d’agriculture, comme l’American Farm School à Salonique. De nombreux articles ont été consacrés à ce sujet notamment dans la presse anglophone. On peut supposer que ces tendances se sont poursuivies depuis lors.

Dans un contexte de chômage très élevé, tout particulièrement chez les jeunes, et de pensions de retraite en baisse, certains Grecs retourneraient vivre dans les campagnes pour y exercer des activités agricoles. De nombreux jeunes dans le pays semblent en effet faire face à une sorte de dilemme : soit partir à l’étranger, soit partir à la campagne. Ce retour à la terre a même été encouragé par le gouvernement grec précédant celui d’Alexis Tzipras. Il avait lancé des programmes d’aide pour un retour à la terre avec notamment deux objectifs. Le premier visait à lutter contre le vieillissement de la population agricole et le second à aider les personnes ayant perdu leur emploi à se reconvertir, à condition qu’elles soient qualifiées dans le domaine agricole.

Dans ce contexte, on doit noter également l’existence dans le pays de nombreuses initiatives « citoyennes » pour favoriser les circuits courts. Le « mouvement des patates » en a été récemment le meilleur symbole. Il s’agit d’une initiative qui permet aux acheteurs de pouvoir se procurer des pommes de terre directement auprès des producteurs via un site internet. Le producteur vend sa marchandise à un prix supérieur à celui qui lui est généralement offert par la distribution, tandis que les consommateurs paient leurs pommes de terre moins cher que dans les grandes surfaces.

En savoir plus : http://ec.europa.eu/agriculture/statistics/factsheets/pdf/el_en.pdf (données de la Commission européenne sur l’agriculture grecque), http://faostat.fao.org/CountryProfiles/Country_Profile/Direct.aspx?lang=fr&area=84 (données de la FAO sur l’agriculture grecque), www.investingreece.gov.gr/default.asp?pid=16&la=1 (données officielles grecques sur l’économie de la Grèce), www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2015/01/weodata/index.aspx (page du FMI où l’on peut trouver des données sur la Grèce), http://ec.europa.eu/eurostat (site Eurostat où l’on peut trouver des données sur la Grèce), http://cdn.intechopen.com/pdfs-wm/34426.pdf (données sur les territoires ruraux en Grèce), www.minagric.gr/index.php/en (page en anglais du ministère de l’Agriculture grec), www.paseges.gr/en (page en anglais de la Confédération des agriculteurs grecs), www.visitgreece.gr/en/nature/agrotourism (site officiel sur l’agrotourisme en Grèce).

Notre illustration d’oliviers en Grèce est issue du site Fotolia. Lien direct : https://fr.fotolia.com/id/69266784

1 Commentaire(s)

  1. le retour à la terre est une logique historique en temps de crise : l’économie de marché remplace l’économie de subsistance par la logique productiviste tant que la croissance peut absorber le « trop plein » …en décroissance le système s’inverse, c’est le retour à la terre… pour ceux qui ont encore un lopin ..

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